30 décembre 2010

Anarchie

Je rebondis sur mon dernier texte pour aborder une question très délicate, car celle-ci renvoie vers une mouvance politique très complexe sur laquelle nous collons facilement l’étiquette « anarchie ». Sa complexité est si grande qu’elle a fait l’objet d’une quantité énorme d’ouvrages, à tel point qu’il me semble presque ridicule d’espérer résumer ces opinions extrêmes avec un seul mot. Le confort du résumé aidant, la foule admet donc un raccourci non seulement dangereux, mais surtout erroné. A mon sens, il faut donc pratiquer une analyse précise de chaque revendication, ceci afin d’en extraire la véritable source, et donc pouvoir identifier le socle identitaire et politique qui se cache derrière.

Tout d’abord, n’oublions pas que l’anarchie, sous sa forme revendicative et terroriste n’est pas nouvelle. Chaque période historique peut présenter un certain nombre de partis, de mouvements d’opinions tendant vers l’anarchie au sens étymologique du terme. Toutefois, si l’on veut effectuer une simplification, l’immense majorité des partis anarchistes actuels trouvent leurs racines dans l’anarchisme de la fin du XIXème siècle, début XXème, avec des personnages forts comme Ravachol. Dans l’absolu, l’idée est de combattre l’état, son emprise politique et son formatage social, ceci afin de rendre une forme de liberté aux individus. Il faut se souvenir que l’époque était plus à des dictatures qu’à des démocraties, et malgré la notion de république, la plupart des gouvernements appliquaient des politiques très strictes, pour ne pas dire dictatoriales. De plus, la notion de classes sociales avait une forme de sens, étant donné que les sociétés étaient très hiérarchisées. C’est donc contre un système que luttaient les anarchistes, ceci en employant des méthodes toujours d’actualité : braquages de banque pour le financement, assassinats de personnes symboliques (ou estimées comme telles), attentats à la bombe. La notion de terreur était déjà mise en œuvre pour secouer l’opinion publique, les journaux (média principal de l’époque) ne se privant alors pas de s’en faire l’écho. Cependant, à force de dériver et de pratiquer la violence, tous ces mouvements furent réduits au silence, tant par la perte de confiance de la part de la population, que par la mise en place de gros moyens pour arrêter les membres de ces groupes anarchistes.

Par la suite, nombre de groupuscules revendiquèrent leur anarchisme : groupes terroristes en Italie, en Allemagne, et en France, partis divers et variés souvent interdits dans la plupart des pays d’Europe, le « A » stylisé fut donc employé pour servir de base de revendication, et de symbolique compréhensible par les masses. Cependant, furent-ils tous réellement anarchistes ? Toute la difficulté est de justement faire le tri entre ceux qui, sous couvert d’action militante, se révèlent être néo communistes, et ceux qui, réellement, désiraient pratiquer l’anarchisme utopique. Cette classification, je ne me permettrai pas de la faire, d’autant plus qu’il y a souvent des écarts entre la doctrine initiale, et celle présentée par chaque groupe. C’est d’ailleurs l’écueil principal rencontré par les partis anarchistes : comment se fédérer, donc se gérer, quand la doctrine revendique justement de se débarrasser des lois et des chefs ? Le plus gros problème est donc celui qui serait normalement sa plus grande force, c'est-à-dire une mutation d’une unité d’idées en une unité dogmatique. Communautarisme idéologique et anarchie font donc, hélas, bon ménage. A terme, la plupart des mouvements (pour ne pas dire tous) finissent par se déliter, soit faute de membres actifs, soit suite à une radicalisation du mouvement. La perte de crédibilité, l’usage d’attentats aveugles sapent systématiquement le soutien populaire, si tant est qu’il y en ait eu un.

Ces dernières semaines signent le retour d’actions militantes et trop aisément étiquetées « anarchistes », notamment en Italie et en Grèce où des attentats ont été perpétrés soit contre des symboles de l’état, soit contre des symboles du capitalisme. Qu’en penser ? Tout d’abord, sans vouloir m’avancer, il est évident que capitalisme et anarchisme ne sauraient coexister. Le capitalisme nécessite évidemment une structuration sociale et économique complexe, où les entreprises et l’état s’accordent sur la manière d’organiser la société, tandis que l’anarchisme, s’il est dans sa forme la plus exacte, milite lui pour faire voler en éclats ces maillons et ces articulations riches/pauvres. Plus de riches ni de pauvres, n’est-ce pas un des fondements du « vrai » communisme ? Que l’on s’entende bien : je ne dirai pas que le communisme et l’anarchisme sont associés, je dis simplement qu’ils partagent un certain nombre d’idées communes qui, bien que légitimes et moralement séduisantes, s’avèrent généralement problématiques, pour ne pas dire dangereuses à mettre en place. D’autre part, je ne peux évidemment pas les rapprocher au-delà de ces quelques ramifications idéologiques, car le collectivisme appliqué par les gouvernants communistes s’oppose totalement au principe de liberté totale, sans loi, que prône le véritable anarchiste.

Alors, que sont ces nouveaux anarchistes ? Pour une part, je crains qu’ils soient de la même veine que ceux qui se retrouvent embrigadés dans les partis fascistes et assimilés. En effet, mêmes causes, mêmes effets. La crise économique majeure que nous traversons a eu pour effet principal d’anéantir des pans entiers de certitudes sociales. Faire travailler l’argent s’avère plus rentable que de faire travailler l’homme. L’homme qui n’est pas assez riche pour se le permettre est donc tributaire de ceux qui jouent avec ses biens. En cas d’instabilité économique, c’est donc celui qui n’a pas grand-chose qui est le plus touché. Les déçus de l’économie de marché, les naufragés du chômage représentent donc un excellent terreau pour la revanche radicale. Les partis fascistes, et plus particulièrement les partis néonazis s’appuient sur l’usage du discours sécuritaire, et ciblent l’étranger et la différence comme des causes de l’échec social. Donnez des thèses faciles à assimiler, ciblant un ennemi facile à identifier, et vous aurez des endoctrinés malléables. A l’autre bout du scope politique, les radicaux anarchistes ciblent l’état et le système capitaliste comme seuls responsables du naufrage. A leurs yeux, pour des mêmes effets, la cause majeure provient donc de l’absence de « moralité » en politique et en économie. Sans morale, pas d’humanité, donc un système inhumain doit absolument disparaître. Coûte que coûte.

Je ne crois pas que les anarchistes se trompent de cible. Il est effectivement évident que l’absence totale de contrôle des financiers par les états ne peut qu’amener à de nouvelles crises cycliques. La seconde guerre est une conséquence indirecte de la crise mondiale de 1929. L’usage de la force dans nombre de pays n’est qu’une conséquence directe du pouvoir que représente les matières premières sur le marché mondial. La manipulation des gouvernements, ainsi que le chantage au travail sont en droite ligne de cette omnipotence des finances sur la politique. Dans ces conditions, difficile de dire que les anarchistes se trompent de cible. Par contre, je suis fermement convaincu qu’ils se trompent lourdement de méthode et de solution. En effet, anéantir sans rebâtir, rêver d’une utopie égalitaire dépourvue de lois, c’est croire que l’homme n’a pas d’ambition. Les fondamentaux de l’anarchisme sont donc séduisants, faciles à transmettre et à expliquer, mais impossibles, en l’espèce, à mettre en place.

Existe-t-il une troisième voie, entre économie libre et instable, et la voie du radicalisme ? Entre ces deux bouts du spectre, il y a énormément de mouvances. Depuis le parti communiste qui, malheureusement, n’a pas assez de crédibilité pour peser dans la politique française, jusqu’à l’extrême droite qui pèse par la volubilité de ses chefs, chaque parti a des idées à offrir sur le « comment mettre un terme à la gabegie ». Où se positionner ? Ce n’est pas vers un choix unique qu’on doit forcément se tourner, car choisir un seul chemin, c’est, en politique du moins, se fermer trop de portes et d’idées novatrices. Les dissensions internes du PS réduisent à néant les discours idéologiques au profit des discours de personnes. L’excès d’influence des entreprises dans les cercles amicaux des dirigeants de droite musèlent trop les suggestions qui vont à l’encontre de leurs intérêts. L’absence de charisme des leaders de la gauche « dure » (PC et NPA) réduit son poids dans les élections. Les excès médiatiques des dirigeants du FN se font au détriment des idées de fond, rendant le parti séduisant qu’aux yeux des votes dits « de réaction ». Pourquoi ne pas les voir s’asseoir autour de la même table ?

Je suis tout particulièrement inquiet concernant l’émergence forte de ces nouveaux groupes anarchistes et terroristes. En effet, pour l’heure, ces actions sont ciblées, et d’une efficacité relative. Il n’y a pas encore de psychose, comme à l’époque sombre des années de plomb en Italie. Mais, de là, rien n’empêcherait que d’autres suivent le mouvement, s’associant à ces actes à travers l’Europe. On peut donc légitimement craindre la réapparition de l’anarchisme terroriste en France, le retour des tags « A » sur les murs, ainsi que le retour en grâce d’une idéologie anarchiste dans les mouvements souterrains. Soyons prudents tout de même. Je me demande également ce qui peut pousser les états, et donc les médias serviles, à associer des attentats à l’étiquette anarchiste. Jusqu’à présent, c’était l’islam radical qui était l’étendard terroriste, à tel point que le nom Ben Laden était une véritable marque de fabrique. Cependant, peut-on parler de terrorisme quand celui-ci ne frappe pas votre état ? La Grèce et l’Italie ont ce problème fondamental à régler, d’autant plus que l’Italie a déjà pratiqué une politique obscure d’attentats (loges P2 en tête) pour faire accuser des groupuscules ciblés. Je me demande donc si, pour l’heure, ce qu’ils appellent « anarchistes » existent réellement, et si ce n’est pas des justifications pour pratiquer des politiques sécuritaires accrues. La crise sociale majeure que traversent ces deux nations peut aisément faire dériver l’état vers une radicalisation politique…. C’est ce qui a mené l’Italie à se donner aux fascistes. C’est ce qui a amené la France à accepter sans broncher des politiques sécuritaires et liberticides. C’est ce qui pourrait donc être une conséquence du prétexte anarchiste.

Une conclusion ? Attendons de voir s’il y a réellement une renaissance de l’anarchisme militant avant de lui jeter la pierre. L’anarchisme n’est pas une mauvaise opinion, pas plus mauvaise qu’un communisme radical ou un capitalisme à outrance. Les voies intermédiaires sont à explorer, mais reste à voir si les dirigeants et idéologues de chaque parti seront capables, un jour, de s’asseoir ensemble pour discuter et trouver une façon de faire concertée. L’absence d’échange et de réflexion nous mène à des élections où un parti d’opposition, supposé faible, est capable de faire pencher la balance. L’absence de concertation et de tolérance idéologique nous jette dans les bras de la dictature tacitement acceptée par les masses. Les médias, pour l’heure, se font plus l’écho des attentats « anarchistes », que des prises de position de notre gouvernement qui, actuellement, réduit nos libertés, crée des lois autorisant que l’on nous épie en permanence, sous couvert de protection de l’économie (HADOPI), et de protection des personnes (LOPPSI).

Soyez à l’écoute, et osez la réflexion, la contre analyse.

29 décembre 2010

Wikileaks en chanson

28 décembre 2010

Nationalisme

Il m’est déjà arrivé d’aborder des questions politiques, historiques, voire même religieuses, mais je ne me suis que très rarement attaqué à des montagnes telles que le nationalisme. Chose difficile s’il en est, le sentiment « national » a une connotation des plus négative en France, notamment depuis que l’extrême droite comme le FN s’est emparé de nombre des sentiments qui sont le fondement du nationalisme. En effet, loin des clichés tels que le nazisme ou le fascisme, le nationalisme est malheureusement un terreau fertile pour les opinions les plus dangereuses, notamment celles qui mènent au totalitarisme et à la dictature. Il est donc délicat d’en parler sans risquer de dériver, voire de perdre le fil et donc d’être mal compris, ou tout du moins perçu comme quelqu’un de douteux. Pourtant, le sentiment nationaliste n’est pas nécessairement nauséabond, et encore moins nocif, surtout s’il s’appuie sur le bon sens et une certaine compréhension dépassant les frontières de son propre pays.

Tout d’abord, à mon sens, le nationalisme est un besoin identitaire. On ne saurait restreindre ce besoin à de vulgaires opinions racistes ou xénophobes, car dans une certaine mesure, ce n’est pas la pluralité ethnique qui différencie le nationaliste des autres, mais avant tout une forme de reconnaissance personnelle derrière une entité supérieure, celle d’une nation, celle d’un pays uni. En conséquence, le nationalisme ne saurait pas être aisément associé aux mouvements tels que le nazisme. Par contre, ses déviances sont évidentes, car il suffit de se demander « qu’est-ce qu’une personne qui fait partie de la nation » pour y faire un tri ethnique, ou encore religieux. Même les pays ayant une forte mixité ethnique peut avoir des mouvements qui revendiquent une suprématie quelconque, s’adossant à des ères de l’histoire, ou encore à des considérations politiques et/ou culturelles. Donc, s’identifier comme nationaliste, cela n’exclue pas une autre ethnie, pas plus que cela véhicule nécessairement une haine d’un étranger, quel qu’il soit.

De là, le nationalisme revêt un aspect dangereux quand il est confronté à des problématiques maintes fois exploitées par les chantres du fascisme : immigration, non intégration d’ethnies non historiques, ou encore haine viscérale d’un voisin suite à une guerre passée par exemple. Entre nationalisme et patriotisme, c’est la « préférence nationale » qui est le différentiel. En effet, le nationalisme aura pour principale action d’estimer plus efficace une personne du territoire qu’une personne provenant de l’étranger, et ce pour des raisons culturelles, linguistiques, ou juste d’assimilation sociale. Fondamentalement, difficile de dire que l’idée soit saugrenue, car il est élémentaire de dire qu’une personne intégrée est plus propice à être efficace dans la société, qu’une autre qui ne parle pas la langue, ou bien qui ne connaît pas les us et coutumes locales. De là, deux écoles s’opposent : celle qui incitera, à travers de l’éducation, les « étrangers » à faire parti du socle social, ceci en les faisant entrer dans un moule formaté par le pays, et la seconde qui repoussera toute forme d’intégration, estimant de fait que la différence est mieux dehors que dedans.

Concrètement, alors quoi penser du nationalisme ? La fibre patriotique n’est pas mauvaise. Au contraire, j’estime qu’elle est une nécessité en cette époque. Savoir qui l’on est, d’où l’on vient, cela se révèle être une force intellectuelle et morale. C’est par ailleurs une problématique connue dans nombre de banlieues, où l’absence de prise en compte de la jeunesse, de la mixité culturelle, ont eu pour conséquence une absence chronique de reconnaissance de la jeunesse dans l’état. On peut effectivement suggérer qu’en réponse à cette défection de l’état les uns se sont reconnus dans la religion, et donc dans le communautarisme, et à l’autre bout du spectre des croyances, dans une politique nationaliste forte. Le discours sécuritaire a alors des échos favorables dans les mouvements nationalistes, eu égard à la menace potentielle des services de police contre ce qu’ils appellent « la racaille ». Le risque est alors grand qu’une forme étrange de fascisme soit revendiquée, ceci pour contrer une influence grandissante d’une population en marge des clichés sociaux déjà périmés.

Et moi ? Je me pose parfois la question. Je me crois patriote, et légaliste, au titre que j’ai une forte conviction que c’est par la loi et l’éducation et l’ordre que nous pouvons faire s’entendre des gens différents. Je n’ai aucune confiance en celles et ceux qui pensent que la couleur de peau ou la foi font une différence. J’ai d’ailleurs pour eux un profond mépris, parce qu’ils oublient un peu qu’en pressant les gens à être des parias, on en fait des gens agressifs, qui se débrouilleront comme ils pourront. La pauvreté, la promiscuité des cités, l’absence de repères, tout ceci fournit des raisons à la violence, à la haine des symboles de l’état, ainsi qu’à une recherche d’une identité, hors du système. Je suis profondément outré quand on me parle de discrimination positive, car celle-ci est forcément négative pour quelqu’un. Je suis profondément en colère quand on me demande de choisir un camp. Je suis nationaliste car je crois en la nation, souveraine, unie derrière des symboles comme le courage de celles et ceux tombés pour le drapeau, mais je ne suis pas le nationaliste qui pense qu’un « Français » est meilleur qu’un étranger. L’étranger d’hier, c’est le Français de demain, et j’espère que nous saurons inculquer aux prochaines générations que ce n’est pas la différence la menace, mais la peur de la différence. Le patriotisme est en berne depuis deux bonnes décennies, et le nationalisme, lui, s’est nourri de cette décrépitude. Charge à chacun de rappeler que la République doit s’appuyer sur les forces vives du pays, et cela signifie tous ceux qui font en sorte que la France soit un pays riche, fort, où l’identité nationale, c’est celle de respecter autrui et l’état.

27 décembre 2010

Pas trop de bobos ?

Non, ne vous méprenez pas ! Pour une fois, je ne vais pas agresser cette population prétentieuse, pédante et insupportable de petits bourgeois qui annoncent vouloir la révolution, tout en étant les chantres du capitalisme, ceci tant par les actes que par les urnes. Non, là, honnêtement, je vais juste me contenter d’aller titiller votre tempérament et vos aigreurs d’estomac, ceci à travers un lendemain de fête qui peut déchanter assez brutalement. Pour autant que je sache, noël tout comme le jour de l’an sont nécessairement la cause de beuveries pour les uns, d’excès alimentaires pour les autres, et de déceptions pour pas mal d’entres eux. Notez que c’est sans aigreur personnelle que j’y songe, au titre que je n’aime pas ce genre de fête d’une part, et que d’autre part je n’ai pas eu un noël déprimant. Mais qu’en est-il pour les autres ?

Tout d’abord, il y a ce foutu folklore nauséeux à souhait qui est de s’empiffrer. Pourquoi diable attendre une telle date pour pratiquer l’orgie ? En quoi une date sur le calendrier suffit-elle à déclencher nos instincts les plus bas ? Non content de trop manger, on le fait sans se priver, alors que le reste de l’année, on est foutus de se contenter de féculents, de steak premier prix au soja (PS : que vient faire le soja dans un steak... qu’on m’explique, je dois être trop con pour comprendre), et de pâté produit dieu seul sait où. Pour noël ? Dinde farcie, huîtres, foie gras, champagne, rien n’est trop bon pour notre appétit d’ogre, quitte à s’en mordre les doigts le lendemain. Ce n’est pas tant que je n’aime pas les dits produits, mais surtout que je ne saisis pas le besoin irrépressible qu’ont les pauvres hères que nous sommes à vouloir imiter les nantis qui, eux, mangent et boivent ces produits sans en tenir compte. C’en est affligeant : n’est-ce pas ridicule, cet ouvrier qui se ruine pour goûter au fameux et surfait caviar Russe ? N’est-ce pas dramatique, le besoin de se dire « tiens, j’ai goûté cette connerie de champagne à 150 Euros la bouteille », tout ceci pour être au mieux déçu, au pire carrément écoeuré ? Encore une fois, n’y voyez pas une critique ni sur le prix, ni sur la qualité intrinsèque du produit. La seule chose qui fâche, c’est de se dire qu’on vient de lâcher un ticket d’une semaine de courses pour une petite boîte de 50 grammes, laquelle s’avère avoir un goût d’eau de mer mâtiné d’un je ne sais quoi de poisson pas frais. Ah, l’envie du pauvre concernant les habitudes du riche !

Mais si ce n’était qu’à table ! Avant, il y a l’apéritif qui généralement vous noie un foie bien plus vite que n’importe quelle taverne de renom. Pire encore pour le pauvre organe : noël se révèle être une source intarissable de consommation de chocolat, qu’il soit de qualité ou pas. Les lendemains qui déchantent, avec ses migraines, ses vomissements, ses « crises de foie » (qui, notons le, n’existent pas, puisque le foie n’est pas un muscle), ou encore ces deux jours de nausée permanente où chacun cherche désespérément refuge dans les bras de Saint Alka-Seltzer. Hé oui, l’homme aime se retourner le cerveau, sous prétexte qu’il faut faire la fête, ou bien est-ce le fait d’aimer voir son cerveau réduit en purée qui sert de prétexte à la fête, allez savoir. Bref, les hôpitaux, et surtout les pharmaciens doivent forcément récupérer de l’égaré de la gamelle, du démonté de l’estomac, et ce à la pelle. L’automne est propice aux feuilles mortes, noël et le jour de l’an sont propices aux cadavres de bouteilles. Pas tout à fait la même ambiance je dois dire.

Il y a également ce rituel des cadeaux. Qui n’a pas eu des envies d’homicides face à une horreur absolue, face au cadeau dont personne ne veut, ou pire encore, qui se refile de mains en mains, en attendant que quelqu’un ait enfin le cran de le mettre à la benne ? On ne sait jamais quoi offrir, sauf à le demander ouvertement, ou à faire preuve d’un éclair de génie qui n’arrive que trop rarement. Alors, on se déleste de quelques Euros en prenant la première saleté qui trône sur un étal, comme par exemple un encensoir, une lampe hideuse, ou encore un service à thé dont personne n’aura jamais l’usage. Et là, que faire ? Grogner, se plaindre ? Ce serait de l’incorrection de la pire espèce ! Alors, on se force, on sourit, on maugrée dans sa barbe, tout en attendant le départ de celui ou celle qui vous fait le cadeau, afin d’aller faire découvrir au dit présent qu’il y a un placard pour lui. Mais là, généralement, c’est le drame, car le dit placard dégorge lui aussi d’anciens objets, de ces cochonneries dont on ose pas se débarrasser. Tenez, d’ailleurs, bonne blague : on ne peut que très rarement se débarrasser de ces abominations, parce qu’on ne veut pas froisser qui que ce soit. Dès fois que la tante Ursule demande à boire un thé sans « son » service... Pathétique, non ?

Alors, entre l’hypocrisie qui vous arrache des larmes de sang, et les abus qui vous tirent des larmes de désespoir, avez-vous eu bobo à la tête pour noël ? Pour ma part, pas vraiment. En effet, j’ai trouvé LA stratégie gagnante : offrez sciemment des horreurs en représailles, tout en montrant bien qu’il s’agit là d’une attaque, une déclaration de guerre. En réponse, bien entendu, chacun réfléchira à deux fois avant de vous offrir quoi que ce soit, et surtout quoi que ce soit de hideux... Ou alors la personne est aussi tordue que moi, et se lancera, elle aussi, dans une guerre à l’objet le plus débile possible. Et merde !

24 décembre 2010

Et voici Xmas...

23 décembre 2010

Tu avais raison John

Demain, nous fêterons Noël. Certains seront en famille, d’autres en solitaires, et nous aurons tous en tête des instants associés à ce battage, à ces flocons de neige en aérosol, à ces guirlandes de pacotille, et à ces papiers d’emballage qui vont s’entasser dans un coin d’une poubelle. Alors, qui pensera à autre chose qu’à ces cadeaux qu’il recevra, ou au contraire à ces objets que personne ne lui offrira ? Riches comme pauvres, nous allons vivre le rituel de Noël, en se demandant intensément « Est-ce que cela a vraiment un sens ? ».

John Lennon a répondu de manière très juste à cette question en chantant « War is over, if you want it ». Trente ans après, elle a encore un sens, elle est d’une actualité affolante, et pourtant, malgré les horreurs de la guerre, malgré les atrocités de la violence, nous n’avons toujours pas tiré d’enseignement de ces paroles d’espoir. C’est Noël, pour les forts et les faibles, pour les jaunes et rouges. Joyeux Noël…

Tu avais raison John,
Il faut savoir rêver et avoir de l’espoir.
Il faut savoir ne pas sombrer dans le noir.
Tu avais raison John,
C’est à Noël qu’on devrait faire la paix,
Savoir tendre la main pour de vrai.
Tu avais raison John,
C’est sous le sapin qu’on devrait se réunir,
S’aimer simplement et cesser de haïr.
Tu avais raison John,
On pourrait arrêter de faire la guerre,
Le jour de Noël, les canons pourraient se taire.
Tu avais raison John,
Il n’existe pas de différences chez les hommes,
Tu étais vraiment un grand bonhomme.
Tu avais raison John,
Moi aussi je voudrais voir ce monde,
Se tenant la main, dans une seule ronde.
Tu avais raison John,
Vivre en paix n’est pas une utopie,
Je ne veux pas d’un monde où l’on supplie.
Tu avais raison John,
Tout est possible quand l’homme le veut,
Changer les choses, cela demande si peu.
Tu avais raison John, mais…
L’homme ne change pas,
Il ne t’écoute toujours pas.
Il a choisi la déchéance,
La haine et la violence.
Pardonne leurs péchés,
Comme je voudrais leur pardonner.

Adieu ou à bientôt, John Lennon

« Happy Xmas ! »

22 décembre 2010

Prof dans l’assistance

Je me demande parfois si j’aurais fait un bon enseignant. En effet, certains de mes proches n’hésitent pas à me flatter l’ego en prétendant que je suis suffisamment cultivé pour prétendre enseigner. Erreur atroce s’il en est, je ne suis guère convaincu que mes méthodes pédagogiques soient réellement adaptées à l’instruction, notamment pour enfourner dans des crânes quasi vides d’adolescents écervelés et convaincus de tout savoir nombre de choses pouvant remettre leurs systèmes de valeurs en cause. Pour autant que je sache, réussir à faire apprendre quoi que ce soit à des gosses, c’est soit à l’aide de corruption, soit par la menace latente d’une sanction en cas de mauvais résultat. Certains classent d’ailleurs ces punitions sous le terme élogieux et inapproprié d’ « éducatif ». Or, si la sanction était si efficace, on n’aurait de biens meilleurs résultats avec nos détenus… mais passons, là n’est pas le sujet.

Donc, moi professeur. L’idée est tout de même risible, au titre qu’il n’y guère que les rêveurs (donc les débutants) et les blasés (en l’occurrence le reste de la profession) qui résiste réellement à l’usure de devoir gérer des gosses. Notez qu’entre les deux reste une population qui tangue, hésite, et se demande s’il est vraiment si intéressant et enrichissant que cela de faire ce métier pénible de prof. Ah ça, pour vous vanter le confort des congés en surnombre, pour vous dire « une fois la méthode écrite, tous les ans ce sera la même rengaine », il y en a des wagons, mais pour vous dire la vérité sur « tu vas te cogner, et ce chaque année, au moins un branleur, un petit con prétentieux, une petite peste cachant ses conneries derrière un sourire enjôleur, et quelques fayots », ils sont déjà moins nombreux ! Croire que la mission d’éducation suffit à faire ressortir en moi la fibre enseignante ? Hérésie !

J’admire ces professeurs. Sans rire, quand je me souviens de mon tempérament curieux certes, mais particulièrement pénible, je me dis que ces hommes et ces femmes ont une résistance incroyable à la bêtise. Que de fois ils doivent se répéter, ruminant intérieurement leur lassitude de redire les mêmes propos, les mêmes explications, au point que cela en devienne une ritournelle ! Dites vous bien que tous, oui je dis bien tous, nous avons été des sales gosses, quoi que notre mémoire puisse nous dire. Cela semble mignon, un gosse qui vous demande sans cesse la même chose… Mais arrivé au point de saturation, notamment quand la dite question est réitérée par une trentaine de marmots, il y a de quoi légitimer l’usage massif de tranquillisants ! En l’espèce, je serais curieux de voir le nombre d’enseignants qui suivent un traitement à base d’anxiolytique, de calmants, ou d’antidépresseurs. Je pense que le résultat serait des plus effrayant.

Et puis, là dedans, il y a aussi une forte responsabilité morale. Vais-je les baratiner en leur faisant voir l’histoire sous un jour particulier, ou bien énoncer des faits en comptant sur leur jugeote pour qu’ils analysent correctement le passé ? Je doute qu’il soit simple d’agir de la sorte, d’autant plus que les programmes sont on ne peut plus orientés. J’avais déjà critiqué la censure globale qui est pratiquée sur les heures sombres de la France, ainsi qu’a contrario l’acharnement à imprimer des dates dites « glorieuses » de cette même France. Pourquoi ? Parce qu’il faut absolument que le môme soit convaincu de la grandeur de son pays, quitte à occulter sciemment les choses où l’on pourrait remettre en doute les décisions prises, si lointaines soient-elles. Enfin bref, enseigner, c’est alors censurer, déformer, ou du moins interpréter l’histoire à sa sauce, et comme je suis un très mauvais cuistot, difficile d’espérer que mes classes seraient promptes à avaler n’importe quel de mes bouillons.

Finalement, transmettre le savoir, apporter la connaissance, c’est un travail souvent ingrat, avec majoritairement aucun remerciement de la part des gosses, et encore moins des parents démissionnaires. Je suis accablé par l’absence quasi-totale d’implication de la part de ces géniteurs qui se délestent de leur marmaille dès le portail de l’école atteint, qui viennent les récupérer le soir, et qui, sombres idiots qu’ils sont, se foutent totalement de ce que viennent d’apprendre leur descendance. Ca n’a rien de si grave finalement, avec un peu de chance, ces odieuses petites bestioles se vengeront d’eux en les taxant de rétrogrades, d’imbéciles, d’incultes et j’en passe. C’est marrant, n’est-ce pas là l’attitude classique des adolescents dits rebelles ? Il y a quelque chose à creuser là !

21 décembre 2010

Poussés au désespoir

Nombre d’évènements sont traités avec une étrange constance : on ne parle que de « coup de folie », d’acte « incompréhensible », voire même on parle de terrorisme. Or, il me semble indispensable de réfléchir plus profondément sur les actes des gens, surtout si ceux-ci mènent à des situations intolérables. Depuis le type qui tire sur la foule, jusqu’à celui qui se fait exploser en pleine rue, il y a de quoi se poser des questions. Est-ce réellement que la seule folie ou le fanatisme politique et/ou religieux qui mènent à l’extrême, ou bien a-t-on un éventail d’émotions plus difficile à admettre ?

On ne saurait nier l’existence du fanatisme. En effet, l’endoctrinement est une constante dans nombre de régimes, ne serait-ce que pour s’assurer d’avoir une force de frappe dénuée de sentiments, et surtout capable d’aller au-delà des limites de la conscience. De là, évidemment, la question fondamentale qui se pose est de savoir par quels moyens on peut obtenir cette main-d’œuvre capable d’aller au suicide ou au massacre, qui n’hésitera pas à tuer femmes et enfants, et qui finalement acceptera l’ultime sacrifice avec le sourire. A mon sens, le terreau n’est pas uniquement constitué de gens faibles, de gens sans éducation et sans intelligence. Je dirais même que c’est paradoxalement le contraire, car agir, c’est aussi une part de réflexion et d’acceptation des dogmes et autres règles régissant nos actes. Je crois qu’il y a foncièrement une cause majeure à l’engagement extrême des gens, et cette cause n’est rien de plus que le désespoir. Poussez quelqu’un dans ses retranchements, ôtez lui tout espoir dans la vie, démolissez tout ce qui faisait de lui un être civilisé, et vous obtiendrez quelqu’un capable de tout. Que ce soit la guerre, le racisme, la déportation, ou bien le chômage, la pauvreté, ou encore la détresse sociale, rien n’est plus efficace pour pousser à bout une personne. Inutile de parler de foi ou de convictions, là on ne peut qu’être persuadés qu’il s’agit uniquement d’une détermination à sortir du monde de la manière la plus violente possible, comme pour marquer ce passage dans les esprits.

Il est notable qu’on tente de rassurer la foule à travers des discours confortable. Les médias décrivent des gens déprimés, suicidaires, ou ayant des antécédents psychiatriques. Pour certains, il s’agit effectivement de pathologies, mais pour bien d’autres, l’essentiel serait de savoir pourquoi ils sont suivis. Cela n’a rien d’anormal de consulter des psychiatres, car la vie est capable de nous confronter à des situations que nous pouvons avoir du mal à surmonter. Un décès, l’effondrement de la sphère familiale, la violence conjugale, nombre de choses peuvent pousser à bout n’importe qui. Mais pourquoi ne pas avoir l’honnêteté de se demander si les gens sont plus que des fous ? Parce qu’il est bien entendu évident qu’on ne doit pas effrayer le consommateur de base en lui faisant comprendre, à travers sa télévision, que son voisin peut potentiellement craquer, qu’il peut, lui aussi, sortir le fusil et aller au bout d’acte déraisonné. Notre société individualiste ne peut certainement pas admettre que l’isolement de chacun de ses membres peut amener bien au-delà de nos barrières morales et sociales, car ce serait remettre en cause un de ses fondements.

Peut-on, et ce concrètement, lutter contre ces actes de folie pure ? Je crains qu’il n’y a pas de solution universelle. L’internement des pathologies les plus lourdes et les plus dangereuses n’est en soi qu’un palliatif, car les camisoles chimiques ne règlent pas grand-chose. Pour toutes les autres situations, je crois qu’il y a déjà une révolution sociale à mener, ne serait-ce que dans l’acceptation des autres. L’indignité collective est flagrante concernant les maladies mentales, tout comme concernant les dépressions nerveuses. Nous refusons, et ce en bloc, d’admettre que l’autre puisse fléchir, voire craquer, ceci face aux pressions qu’il s’impose lui-même en plus des pressions du groupe. Il est autrement plus facile de faire sortir quelqu’un du moule social que de lui offrir un échange cohérent et solide. Il faut également noter qu’à travers nos attitudes, nous isolons d’autant plus facilement que nous refusons d’être à l’écoute des autres. Le drame est profond, car il faut peu pour tout perdre. Pardessus tout, l’orgueil est souvent la première cause d’échec. Notre fierté mal placée nous pousse à admettre que nous allons mal, elle nous amène à nous enfoncer encore un peu plus dans le désespoir.
Aider, c’est non un acte de charité, c’est un acte d’humanité. Nous devons absolument protéger les autres pour nous protéger, et c’est aujourd’hui que le besoin est le plus flagrant. La pression sociale, s’appuyant sur le consumérisme, est actuellement une de nos pires difficultés. En effet, sans emploi pas d’argent, sans argent pas de consommation, pas de consommation pas d’existence sociale. En perdant son emploi, n’importe qui peut rapidement partir à la dérive, parce que notre monde le considèrera à tort comme un poids mort. Il est urgent que nous prenions la pleine mesure de ce phénomène, notamment dans les classes les moins aisées. Quelqu’un de « riche » pourra, un temps, croire que tout va bien à travers son pécule. Quelqu’un vivant déjà sur la corde raide sera rapidement aculé, pressé par des dettes, mis à la rue par un propriétaire inquiet pour ses revenus. Ne laissez surtout jamais un proche dériver à ce point. Le plus élémentaire sera de l’aider à reprendre pied moralement. Quelqu’un bien dans sa tête peut reprendre un travail, quel qu’il soit. Quelqu’un en échec perpétuel coulera d’autant plus vite que ses erreurs s’accumuleront, le confortant alors dans son désespoir. Aidons, aimons, communiquons, sous peine d’avoir de plus en plus de gens « pétant un plomb », et tuant aveuglément celles et ceux qu’ils auront rendus responsables de leurs malheurs.

20 décembre 2010

Un an

Elle ne court pas encore, elle n’a pas de mots pour exprimer ses sentiments. Elle est là, elle sourit, elle pleure, elle peste contre les contraintes de ce monde qu’elle découvre peu à peu. De ses mains potelées, elle saisit chaque chose, depuis des objets incongrus et colorés, jusqu’aux traits des gens qui s’approchent d’elle. Elle est belle, adorable, elle va avoir bientôt un an. C’est un cadeau de plus pour ce monde qui a tendance à oublier que la beauté existe, elle est la magie incarnée sous des traits ronds et chaleureux. Ma nièce va avoir un an, et je la trouve plus belle à chaque fois que je la vois.

Le temps passe, on dénombre les années sur les calendriers, on s’entête à reprendre des dates qui peuvent nous rendre heureux, tristes, ou nostalgiques. Faire un bilan de l’année me semble à chaque fois saugrenu, car, après tout, l’année suivante sera elle aussi à analyser de la même manière. Donc, se préoccuper d’un premier janvier ou d’un premier juillet, cela revient au même. Pourtant, je peux en compter des souvenirs doux ou tristes qui se retrouvent prisonniers de mon esprit. Bientôt deux ans qu’un colosse est mort, bientôt quatre qu’un autre est parti pour l’au-delà. Bientôt cinq qu’une amie a dit son dernier au revoir. Cinq ans aussi que je connais un ange que j’aime d’une manière étrange… Et ainsi de suite. Il est difficile de ne rien oublier, de se souvenir de tout.

Les visages défilent, les sourires des uns m’emportent, les larmes des autres me terrassent, puis je me relève, essayant de maintenir un semblant de dignité dans mon attitude. Il n’est pas facile de rester stoïque, parce que la Vie n’a pas pour rôle de nous faciliter les choses, elle n’a pour seul but que de nous faire cumuler des expériences, tant douces que douloureuses. On existe, on respire, on vit, puis l’on meurt, et c’est ainsi que vont les gens pour les autres. Il nous arrive d’envier le sort des autres, songeant à nos petits malheurs personnels, comme si le monde ne tournait qu’autour de notre personne. Pourtant, à tout bien réfléchir, je peux m’estimer heureux, puisque je suis en vie, en bonne santé, entier, offrant ma plume et mes mots à celles et ceux qui comptent à mes yeux. Bien sûr que je peux être triste, obsédé par des souvenirs qui me hantent parfois, mais ce n’est pas que mon lot, c’est celui de tout être, celui de toute personne ayant un cœur. Après tout, je vis, et ce n’est déjà pas si mal, non ?

L’année s’avance, inexorable. On se prépare, on apprête les sapins et les maisons, on colle du papier brillant sur les cadeaux, et l’on noue les rubans à la hâte. On désire faire plaisir, parfois on agit que par obligation morale, comme si offrir tenait d’une règle immuable, et non d’un choix authentique d’être généreux et sincère. Noël, jour de l’an, ce sont deux dates supposées représenter joie et festivités pour tout le monde. Dehors, quelque part, loin ou proche, il y aura forcément quelqu’un pour haïr le mauvais temps, l’existence, le cœur, la vie, tout le monde, personne en particulier, parfois même soi-même. Que dire, que reprocher à ces gens ? Ils vivent, eux aussi, ils sont plus malheureux que je ne le suis, et je ne saurais pas leur dire qu’ils ont tort. Au fond, je suis quelqu’un qui a de la chance, qui son lot de choses que j’aimerais changer.

Elle grandit. Elle va avoir un an. Dans ses yeux, seule la pureté d’un cœur qui s’enrichit chaque jour n’est lisible. J’y vois l’intense réflexion qui, au fil des jours et des moments partagés, m’interroge sur le sens de la Vie : pourquoi as-tu l’air triste aujourd’hui ? Pourquoi ne pas jouer pour oublier ? Pourquoi tu te préoccupes trop ? Laisse les choses aller, comme je suis tenue de le faire moi-même. On s’occupe de moi, on me change, on me nourrit, on me couche, et puis je vis. Je grandis. Je change de pointure de chaussures, mais est-ce important ? Non. Le plus important, c’est nous, c’est moi, c’est toi, ce sont mes parents, mes frères. Je suis heureuse. Je suis heureuse, donc je suis.

17 décembre 2010

Perplexité musicale

Je dois avoir passé le cap de la bêtise inhérente au syndrome « Vieux con ». En effet, épargnant mes tympans de la soupe insipide servie tiède sur les ondes, et les yeux du florilège d’images saccadées des chaînes thématiques, je ne suis absolument plus au courant de ce qui se fait dans la musique populaire. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir tenté de me raccrocher aux branches, simplement parce que je n’ai pas spécialement envie de passer pour un ignare quand parle de X ou Y en société. Ceci dit, j’admets non sans une certaine ironie que j’applique dans ces circonstances la fuite bien organisée. J’admets mon inculture, j’énonce mes groupes favoris, puis, une fois le tout déclamé avec un rien de fierté, je file et m’approche du buffet pour y trouver de quoi rassasier mon appétit physique.

Quoi que je puisse dire, il y a tout de même des choses qui se vendent, et plutôt bien apparemment. Il y a toujours les hits, les ventes à plus de 100.000 exemplaires, les concerts, les spectacles, les interviews dans les émissions de variété. Cependant, cela n’en fait pas pour autant des références, et encore moins des choses marquantes. Si je me penche avec curiosité sur ce qui est « à la mode », force est de constater qu’il y a des mouvances qui me mettent au mieux mal à l’aise, au pire hors de moi. Prenons par exemple ces groupes de hip-hop qui caracolent en tête des ventes : paroles fades et sans imagination, ou alors vindicatives et incitant à la violence, ils cumulent toutes les tares et tous les clichés qu’on peut aisément coller sur le portrait des jeunes de banlieues. Et pourquoi diable cela se vend-il alors ? Parce que cela donne un air rebelle que d’écouter ça, parce qu’entonner des paroles virulentes donne un semblant d’épaisseur « politique »… Mais c’est aussi faire le jeu des critiques qui n’hésitent alors plus à faire l’amalgame entre chanteurs et braqueurs de petites vieilles. Déprimant, non ?

A l’autre bout du spectre musical, il y a cette mode des brailleurs et brailleuses qui s’égosillent pour mon plus grand déplaisir. Ils hurlent, donnent de la trachée à tout rompre, ceci avec pour fond de commerce le mielleux des sentiments bouleversés. Ah, du « Je t’aime, tu m’as quitté », ça il y en a des bacs pleins les commerces, du « Je t’ai quitté parce que je ne t’aime plus » (histoire de refaire un tube l’année suivante), vous en trouverez dans les mêmes proportions. Et les ventes ne trahissent pas la passion populaire pour les ritournelles. Allez, admettons, la vie et l’amour sont des thèmes essentiels, mais de là à avaler n’importe quel bouillon supposé parler d’amour, il y a quand même une marche bien haute à franchir ! Et puis, les campagnes de communication n’hésitent pas à insister sur un romantisme à l’eau de fond de cuvette, à tel point qu’on tentera de vous caser et le spectacle, et le disque, et le DVD, voire même le parfum qui va bien avec tout ceci.

Et que penser de ces spectacles jouant à plein sur la nostalgie des quinquagénaires, ou sur une pseudo éducation « musicale » ? On a fait revivre les chansons de ABBA, fait rechanter Joe Dassin, alors à quand le spectacle de Michael Jackson sans Michael ? Tout est bon pour faire vibrer la corde sensible, rien n’est trop glauque pour faire du beurre. Cela n’ôte pas forcément de la qualité aux spectacles en question, mais ils me laissent inquiets sur le devenir de la création musicale. Ah tiens, on m’apprend que Mike Brandt a, lui aussi, le droit à son revival d’entre les morts. Sortez les pelles et les pioches mes frères, on a des cimetières à vider ! Un autre truc étrange au fait : pourquoi ces (censuré) de producteurs ont-ils fait traduire les chansons d’ABBA ? Ces tubes mythiques n’ont pas à passer au filtre du français ! On n’aurait pas idée de traduire Joe Dassin en anglais…. Si ? Et merde !

Et puis le summum, le fin du fin : faire de Mozart un opéra rock. Défendez la chose comme vous le voulez, revendiquez le côté punk qu’a certainement eu ce compositeur de génie en son temps, mais ne tentez surtout pas de me faire avaler que ses œuvres s’accommodent à la sauce électrique ! Bordel, si l’on commence à dire que Mozart c’est « ça », alors je ne m’étonne plus que nos descendants soient des incultes finis ! Par pitié, ne massacrez pas le classique pour faire n’importe quoi avec. On n’a pas à moderniser Beethoven, Haydn, ou quelque compositeur que ce soit. On doit en respecter l’intemporalité, l’incroyable fraîcheur, et ce des siècles après, et en savourer toute l’inventivité, mais certainement pas les remixer pour faciliter leur écoute à des gens qui ne jurent que par le synthétiseur Bontempi ! Pitié !

16 décembre 2010

Rien ce soir

Rien ce soir : pas le temps...
A demain!

15 décembre 2010

Richess

Je dois certainement être de ceux qui s’amusent d’un rien, tant je ris de nous voir nous agiter pour des notions telles que la fortune, le patrimoine, ou encore la saugrenue idée qu’on puisse préserver un maigre pécule. En effet, l’or, l’argent, le pognon, le papier monnaie, toutes ces conceptions humaines de la valeur des choses ne sont là que pour nous signifier notre égoïsme permanent. Quoi de plus prétentieux que de soupirer d’aise face à l’alignement stupide de chiffres sur un bout de papier ? Quoi de moins attirant qu’un bout de métal embouti, qui n’a pour seul but que de vous signifier, quand il vient à n’être plus en poche, que vous allez avoir des problèmes pour vous nourrir ? L’argent, ce n’est pas le malheur des pauvres, c’est le malheur de l’humanité toute entière.

Regardons avec honnêteté notre incapacité à gérer les choses autrement que par sommes et soustractions. On additionne les richesses, on soustrait les impôts, taxes et autres remboursements divers, et ce n’est qu’une fois le tout bien calculé qu’on peut, non sans un grognement d’agacement, constater que nous sommes fauchés. Ah, les comptes d’apothicaires ! Ah, la joie du crédit qui fait faire de l’argent sur de l’argent ! bien qu’on soit tous conscients de cette aberration, nous nous entêtons à jouer avec l’argent, à le dépenser de manière complètement ridicule, et pardessus le marché à nous plaindre qu’il nous manque toujours une certaine somme. Notez que les problèmes du pauvre ne sont pas si éloignés de ceux des riches. En effet, le riche attend que le pauvre dépense, or si le pauvre n’a rien à dépenser, le riche devient donc, en conséquence, moins riche et moins heureux ! Cercle vicieux s’il en est, le riche a donc besoin des économies, si maigres soient-elles, des prolos en manque de pognon.

C’est sidérant de bêtise. L’économie dite de marché, modèle libéral s’il en est, a déjà montré ses faiblesses à plus d’une reprise. D’ailleurs, son effondrement a bien provoqué l’avènement de gouvernements dictatoriaux, de famines inacceptables, de chômage, ou encore de crises longues et douloureuses. Tout cela pour quoi ? Pour avoir voulu valoriser le travail, d’avoir voulu mettre sous la forme de chiffres la force physique et intellectuelle des petites mains. Spéculons, valorisons sans réel bon sens des sociétés aussi vides que la huche à pain d’un prolo mis à la porte de sa PME ! C’est le concept même de la bourse, ce monstre qui absorbe impitoyablement les capitaux du monde, les voit grandir n’importe comment, puis vomit parfois quelques entreprises décrétées non viables parce que pas assez rentables. Amusant, cynique, et parfaitement inapproprié. Ceci étant, cela a fait le bonheur de quelques uns qui, bien entendu, estimeront que s’enrichir vaut bien quelques sacrifices.

De fait, j’ai attendu avec une certaine incrédulité l’action d’un Cantona suggérant de faire s’effondrer le système bancaire, en ôtant tous nos capitaux des banques. Pourquoi pas : après tout, ils bossent avec notre pognon, avec notre labeur, et ne se privent pas de faire n’importe quoi avec... Sans compter qu’ils nous font ensuite payer leurs erreurs ! Pourtant, cela ne fut pas suivi d’effets, et les politiques, faute d’avoir su mettre au pas les financiers, se sont empressés de prévenir les masses qu’il serait dangereux de faire s’écrouler le système mondial. Parce que tolérer que celui-ci se soit remboursé sur notre dos, et que nous n’ayons, à ce jour, aucun recours pour les voir sanctionnés ? J’adore le concept : c’est comme si votre voisin utilisait votre tondeuse, la déglinguait, et trouvait le moyen de vous facturer son usage ! Et c’est bel et bien les préceptes appliqués par les banques, non ? Dommage que monsieur Cantona ait un peu perdu de vue le fait que les gens ont fondamentalement peur de tout perdre, ce qui est malgré tout compréhensible. Stupide, face à la vacuité de la vie, mais compréhensible.

Finalement, nous sommes encore et toujours les prisonniers du monétaire, de l’économique, du financier, du boursier. Que cela nous plaise ou non, les banques ont encore de beaux jours devant elles, notamment parce que tous nous espérons de l’argent facile. Qui n’a pas ouvert un quelconque plan d’épargne, histoire de voir de l’argent faire des petits ? Qui ne s’est pas enthousiasmé à l’idée de toucher plus sans rien faire ? Joli rêve... Si demain quelqu’un trouve comment faire pousser un arbre à billets, je m’empresserai d’aller en planter quelques uns, bien à l’abri des regards envieux du FISC. D’ici là, je vais me contenter de continuer mon labeur, en bon larbin que je suis...

14 décembre 2010

Une vie en bouteille



Les gens aiment à voir les ennuis qu’ont les autres. Voyeurs impénitents, ils n’hésitent pas à scruter les sites tels que « vie de merde », ou encore « Youtube », pour y observer les accidents et autres galères de leur congénères. Pourtant, ils devraient comprendre qu’il s’agit là d’une attitude des plus malsaine, et que rire du malheur d’autrui n’a vraiment rien de réjouissant. Pourtant, dans cet entêtement qu’est celui de l’homme moderne face à son pupitre interactif, nul ne semble offusqué par la situation. Pour ma part, j’ai du mal à rire du malheur de mes semblables, puisque je sais que je vais subir le même sort.

Ca commence toujours mal d’ailleurs. La naissance est forcément brutale, on a le corps empli de choses dont on taira la nature, puis ensuite on vous manipule sans égard, pour finir souvent brisé par la vie et les évènements. Je ne vois pas grand-chose de glorieux là dedans, si ce n’est de tenir correctement son rôle, avec dignité et honnêteté, parce que c’est la seule chose qu’il vous reste au bout du compte. Même si la mémoire devient floue avec le temps, force est de constater qu’on a des relents de mauvais souvenirs à revendre. Et vas-y que je te secoue, que je te tape au cul, que je t’ouvre le crâne par inadvertance, qu’on regrette pour remettre le couvert… ah, si la vie pouvait être autre chose qu’un enchaînement malheureux de douleurs !

Quand j’y songe, d’autres sont plus mal lotis. Moi, je peux me targuer d’avoir supporté l’ivresse de luxe, celle arrosée par le meilleur crû de champagne ; D’autres, plus malheureux, eurent à subir l’humiliante acidité d’un picrate pas même digne de décaper un évier d’hôtel de passe. C’est ainsi, le destin ne se choisit pas, il se subit. Et puis, honnêtement, mieux vaut être envié qu’envier soi-même, non ? Cependant, si, de loin on peut sembler être plus heureux que les autres, il faut quand même voir où sont les inconvénients. Le roi de la Villageoise, lui, va avoir le droit aux ritournelles les plus navrantes des prolétaires imbibés. Moi, j’ai eu le droit aux pires bassesses, aux mensonges éhontés, mais teintées par la classe naturelle d’un langage châtié. Ca, le bourgeois, il aime à baratiner son monde, mais à condition que cela soit couvert par l’auréole du bon esprit. Ainsi, madame peut cocufier monsieur, mais il faut en parler avec élégance et propreté. Chez le prolo, par contre, on va s’engueuler ferme, traiter madame de (passez moi le propos) « Salope ! », pour finir par s’envoyer la vaisselle sur la gueule. Le bobo, lui, ne jettera pas sa porcelaine griffée, il s’enverra des invectives fleuries…. Comme si le mot d’esprit pouvait réduire à néant la connerie humaine !

Enfin bref, derrière ces façades de bonnes manières, j’en ai vu de la connerie en barre. Notez que l’endroit le plus propice pour en entendre s’avère être à proximité des tablées réservées au buffet froid. Là, on discute le bout de gras sur la voisine qui est une morue, mais qu’on appellera avec tendresse « la chiante », on taillera au PDG d’une firme le costume de « mal luné », et le chauffeur bosniaque à l’accent infernal sera classé parmi les « handicapés sociaux ». Ben voyons, messieurs dames, parce que du débile profond, de l’abruti grand teint, ça n’existe pas chez les nantis ! Qu’importe, je songe au plaisir cruel auquel je me suis adonné en les voyant ivres, et se jetant alors les mêmes insultes que ces mêmes prolétaires utilisent. Amusant, bas, méchant… Oui, je confirme, c’est petit et égocentrique, mais ça me fait marrer.

Maintenant, mon sort est scellé. Ces salopards en Gucci et Chanel m’ont fait sauter le bouchon pour s’en coller une bonne couche dans le cornet. Ah, c’est bon le Piper hein ?! Salauds ! Bourrez vous la meule jusqu’à plus soif, histoire que moi, votre bouteille de champagne, je puisse savourer une revanche mesquine. Quand est-ce que madame de la chose va aller faire son petit vomi élégant ? Tiens, les deux larbins se chargent de la traîner jusqu’aux toilettes. Au chiotte la vieille ! Ca y est, je suis vidée de mon essence, on me balance dans la grande poubelle, au milieu des cartons de jus de fruits et des papiers gras des petits fours. M’en fous, je serai recyclée, moi. On me reverra bientôt, et avec un peu de chance, je serai à nouveau là, pour le prochain noël, à me payer la fiole des péteux enrubannés, des blaireaux à cravate, et des maîtresses de maison jamais saoules mais toujours « pompettes ». Connasse : quand tu bois, tu est saoule, comme tout le monde !

Allez, c’est la benne, le compacteur. Salut les plateaux de fruits de mer ? Vous en avez empoisonné un au moins ? Ouais ! Cool ! Bien joué les mecs ! Oh, des boites d’aspirine ! Alors les filles, on a soigné les gueules de bois ? Rendez-vous l’année proch…

« Hé, Norbert, t’as pas entendu un truc causer là ? », demande Julien en pressant le bouton du compacteur de son camion. « Toi mec, t’as trop fait la fête je crois », répond son collègue en sautant sur le marchepied pour faire signe au chauffeur d’avancer à la poubelle suivante.

13 décembre 2010

Morr

Nous acceptons, bon gré, mal gré, qu’il existe une hypothétique force supérieure à nous et qui, au gré de ses envies et autres lubies, créée le monde tel que nous le connaissons. Que ce soit à travers les religions monothéistes, ou bien les fois polythéistes, chaque culture s’est échinée à nous montrer que l’homme est petit, vain, égocentrique, et qu’au fond toute chose le domine d’une hauteur inimaginable. Ainsi, l’enfer, le paradis, le purgatoire furent mis en textes divers afin de faire comprendre aux masses qu’il existerait un au-delà, et que pour accéder à sa partie la plus douce, la solution serait d’être correct et honnête, afin de se savoir méritoire sur terre, pour qu’au ciel le jugement soit adouci. Loin de moi l’idée de mettre en doute les dogmes et autres idéologies, car après tout, la Vérité est une chose très personnelle à ce sujet. Les agnostiques doutent, les athées n’y croient pas, les fervents sont convaincus, et dans cette quête de spiritualité je ne serai pas de ceux qui critiqueront les autres. Toutefois, j’ai en tête une toute autre image de la destinée humaine, une sensation très étrange et sans fondement pour définir le dernier passage, le « grand départ » tant redouté.

Je nous vois tous liés d’une manière ou d’une autre, à l’instar de la rumeur qui fait le tour du monde à travers une tradition orale millénaire. Chacun de nous porte une part de l’humanité, de sa culture, de son histoire et de son futur, et si l’on a quelque chose à revendiquer, c’est que si l’homme était amené à disparaître demain, ce serait plus sa mémoire que ses réalisations qui seraient perdues. Ce qui compte pardessus tout en fait, c’est que nous puissions partager cette mémoire collective, tout en l’enrichissant tant individuellement que collectivement. Par conséquent, c’est à travers cette connexion sociale que nous perdurons, car notre existence personnelle n’est pas précisée que par notre capacité à philosopher, mais également parce que nous sommes vus et connus des autres. Typiquement, le « je pense donc je suis » est finalement bien insuffisant, et j’y ajouterais sans hésitation « je suis vu par les autres, donc j’existe ». Maintenant, suivons un inconnu, vous, moi, n’importe qui poussant le dernier soupir… Et écoutons le penser, raisonner, ressentir.

C’en était fait. Je devais partir, d’une manière ou d’une autre. Je le savais, c’était inéluctable, mais le temps s’était alors gaussé de mon arrogance et de mon entêtement à vouloir survivre. A présent, la victoire revenait à la mort, cette ennemie de tous et future amie pour moi. Loin d’être aussi terrifié que je l’aurais cru, je ressentis même une forme de soulagement à l’idée de rejoindre quelque chose d’autre que ce monde où j’avais erré, l’espace de quelques instants, ceci en attendant l’éternité. Pensées saugrenues d’un homme qui s’en va pour toujours, qui espérait laisser une trace qui, de toute façon, sera effacée comme celles de ses prédécesseurs. Damné soit l’orgueil de se vouloir immortel, car c’est une des plus grandes futilités de ce monde. Inutile d’avoir peur de disparaître, ce qui est le plus effrayant c’est d’être oublié.

Je fermai les yeux, et j’écoutai le son du monde qui bourdonne. Autour de moi, le temps se mit à accélérer, comme si un an devenait une seconde. Je sentis la connaissance me traverser de part en part, percé par les vérités du monde, de l’existence, de la bêtise humaine, de la richesse de l’imagination des êtres dont je fus un temps un membre ordinaire. Je vis d’abord les gens que j’aimais grandir, vieillir, puis me rejoindre. Je sentis leur présence dans cette même posture d’observateur incrédule, et tous semblèrent ressentir le même apaisement que moi. Inutile de lutter, nous sommes devenus des ombres, des restants d’âmes flottant çà et là, au hasard, épiant le monde qui fonce à une vitesse folle. La pluie, la neige, le soleil, le jour, la nuit, tout s’alterne si vite qu’on n’en oublie que les saisons durent des mois. Ici, une maison disparaît au profit d’une autre, puis d’un immeuble, qui lui-même est alors rasé, reconstruit différemment, incendié, repeint, rénové, puis enfin dévasté par une guerre. Les gens sont différents, ils s’habillent différemment, et tout ceci défile en moi, devant mes yeux, alors que je suis immobile depuis des mois, des années, des siècles. Là haut, ils changent la topographie des quartiers, ils parlent de technologies, je les vois acheter, utiliser, puis jeter quantité de choses aussi temporaires que futiles. Que font-ils ? La même que j’ai pu faire, à savoir se sentir exister par la propriété individuelle, ils se sentent devenir importants avec des bouts de métaux frappés, ou de papiers imprimés. Puis ils meurent, et nous rejoignent dans cette attitude contemplative.

Et le monde change sans vraiment progresser, les gens évoluent tout en stagnant totalement. Chaque génération se croit meilleure que la précédente, tout en réitérant les mêmes atrocités. Guerre, famine, haine, fascisme, xénophobie, toutes les civilisations défilent devant nos âmes, et c’est avec le même amusement que tous nous voyons les temples s’effondrer, la nature pousser et démolir les derniers symboles de leur monde. Le temps passe, il n’accélère ni ne ralentit alors, il défile simplement, à son rythme, au rythme de mon éternité de gisant. Je ne suis ni prisonnier ni libre, je suis là, tout simplement. Ils se déchirent, ils se massacrent, ils meurent, puis eux aussi comprennent toute la vacuité de l’existence terrestre. Et enfin, après des milliers de générations, après des millénaires de haine et de brutalité, le monde se consume, disparaît, et nous avec. « C’en est fait » a dit un texte aujourd’hui détruit à tout jamais, et rien n’est plus vrai que cette phrase, car tout une fois le dernier passage franchi, c’est le néant, tout comme l’existence supérieure, la vie et la mort s’enlaçant à tout jamais. Pur esprit ? Que sais-je, je suis, c’est déjà pas si mal, et je suis connu des autres qui, comme moi, ont vu le monde et l’éternité. Qu’en est-il des autres ? A-t-on tous le même sort ? Est-ce important ?

10 décembre 2010

Mort apaisante


Tandis que s’affolent les gens pour faire leurs derniers achats de noël, d’autres luttent pied à pied avec le froid, la torpeur du sommeil qui vient quand le corps se refroidit. Atroce idée que celle d’anonymes qui s’assoupissent à jamais dans les villes modernes des pays riches, idée insoutenable qu’ils tombent d’épuisement, tandis que d’autres gaspillent sans vergogne et se moquent de la misère au dehors. Il faut croire que la misère serait donc plus belle quand elle est couverte par une pellicule de neige, comme si l’horreur de la vie errante serait moins intenable quand on la supporte en hiver. Notre vue est déjà réduite quand il s’agit des autres, mais c’est bien pire quand il s’agit de s’oublier soi-même. Je me dis que l’impuissance individuelle n’est qu’une façade, qu’une façon de se détourner de nos obligations morales. « Je ne peux rien y faire » est si facile à dire, il est si simple de se résoudre à ne pas agir...

Noël approche à grands pas, et son cortège de propagande consumériste n’a de cesse de nous harceler. Publicité, télévision, radio, tout est bon pour nous faire consommer et nous faire oublier que nous ne sommes pas tous bien lotis, au chaud, assis à table pour déguster un bon repas. D’autres se contentent de nos restes, ou survivent grâce à des tablées qu’on leur met à disposition dans des centres d’aide. Charité, entraide, humanité, que de mots vides quand ils sont proférés par celles et ceux qui s’en préoccupent le temps d’un passage à la télévision, le temps d’une publicité personnelle malsaine. D’autres, des anonymes, des petites mains déterminées, continuent la besogne hors caméra, parce qu’une vie n’a pas de prix, parce qu’un homme, ça ne se compte pas en monnaie. Un homme, une femme, c’est une existence, quelque chose de plus précieux que tout. Je les admire, connus et inconnus, qui n’arrêtent pas le combat contre la misère une fois que les médias se sont désintéressés du sujet. Qu’honneur et respect leurs soient destinés, je les admire dans cette volonté de donner, d’offrir sincèrement leur cœur de la sorte.

Il est tombé beaucoup de neige sur Paris et sa banlieue. Les routes ont été paralysées, nombre de conducteurs malchanceux furent pris au piège dans leurs voitures. Ils ont vécu ce que d’autres vivent au quotidien, à savoir se calfeutrer dans un endroit exigu, se réchauffer comme on peut, en espérant que le redoux va vous tirer de ce temps infernal. Etait-ce un drame que de subir les éléments ? A mon sens, Paris, comme toutes les villes du monde, vient de prendre sa leçon de choses, car la nature, elle, se moque du fantasme du risque zéro. Que j’aurais aimé que cette leçon soit multiple, qu’elle enseigne enfin aux indifférents que le froid n’est pas qu’une sensation, que c’est aussi un bourreau sans sentiment, qui envoie à la mort des gens ordinaires, qu’il peut donc être dangereux pour tous. Nous qui sommes dans le confort de nos maisons, nous poussons le chauffage. Dans la rue, le chauffage n’existe plus, il n’y a plus le réconfort d’un radiateur bouillant, il n’y a plus la torpeur du foyer qui vous attend au bout de la route. Rendons grâce à la météo pour avoir, l’espace de quelques heures, remis les pendules à l’heure.

Je sais que certains ont été dans des positions délicates, qu’ils ont souffert de ces intempéries exceptionnels. Qu’ils apprennent à remercier la vie d’avoir pu se réfugier quelque part, qu’ils remercient la providence d’être toujours en vie pour pouvoir s’en plaindre. D’autres s’effondrent, d’autres s’affaissent à jamais dans le givre et la glace. Quand j’arrive chez moi, que je sens l’apaisante sensation d’être « chez moi », je me dis que je suis un nanti, une personne chanceuse. La vie m’offre chaque jour la chance d’être là, entier, vivant, en bonne santé. Dieu ou quoi que ce soit d’autre me donne un nouveau matin, si blême qu’il soit, si gris et sale qu’il puisse être. Le soleil a du mal à percer ? Quelle importance, je sors d’un lit propre, agréable, doux, chaleureux. Je peux appeler mes amis, entendre leurs voix, je peux aller les voir, me sentir accueilli et aimé pour ce que je suis. Qui aime ces naufragés de la société ? Aimons les, parce qu’ils sont ce que nous sommes tous, des gens ordinaires, des infortunés qui ont subi la vie pour que d’autres la vivent avec bonheur. Je ne me reprocherai pas d’avoir une bonne existence, je nous reprocherai toujours d’être collectivement des égoïstes et des lâches.

On me dit que donner, c’est risquer de se tromper. Je dis que donner, c’est partager. Quoi de plus naturel que de donner de soi aux autres, quoi de plus naturel que d’être charitable, sans prétention, sans autosatisfaction ? Je me refuse à admettre que la faim puisse exister en France. Je me refuse à admettre que le froid puisse encore tuer ici, dans un pays riche. Je me refuse à accepter qu’on puisse laisser souffrir ainsi une partie de notre population. Etrangers, Français, aucune différence, aucune importance. Les papiers ne définissent pas un homme, c’est l’homme qui est décrit dessus. J’ai honte de nous. J’ai honte de moi, de ne pas être meilleur, de ne pas donner plus. Probablement parce que je suis un trouillard ordinaire, un type banal...

09 décembre 2010

Génome party

Si l’on réfléchit intelligemment sur le sujet de la génétique, force est de constater que le débat est terriblement délicat. D’un côté, nous pouvons à présent espérer de gros progrès thérapeutiques pour des millions de patients, comme par exemple les diabétiques, les hémophiles, ou encore pour soigner des pathologies plus rares. De l’autre, nous avons des firmes qui manipulent sans vergogne des animaux, des plantes, ceci pour le seul et unique but d’envisager un profit immédiat, que ce soit par le développement de résistances à des insectes, par la stérilisation des plantes pour s’assurer une obligation d’achat des semences, ou bien pour obtenir un rendement plus fort (croissance rapide des plantes, prise de poids pour les animaux). Dans ces conditions, débattre de génétique, c’est nécessairement un débat qui va dériver vers le financier et l’éthique.

J’aborde avec curiosité l’aspect économique, parce qu’il mérite réellement qu’on s’y attarde. Depuis de nombreuses années, des actions sont menées pour aider la recherche scientifique, ceci notamment lors du téléthon. Me concernant, cette action annuelle est méritoire, car elle rappelle aux masses que la différence et la maladie peuvent attendre n’importe qui. Donc, concrètement, je suis pour aider la science à offrir des solutions aux malades, surtout quand il s’agit de pathologies où les traitements traditionnels sont inefficaces. Mais de là, est-ce quelque chose de réellement acceptable ? Etudier, tester, et enfin produire des médicaments susceptibles d’intervenir sur le génome humain, cela représente des coûts non négligeables. Ne nous leurrons pas, il ne s’agit plus d’un Fleming bidouillant dans son laboratoire des échantillons de pénicilline, mais de grandes structures dépensant des milliards par an, appliquant des procédés terriblement complexes, et protégés par le sceau du secret. Dans ces conditions, ces industries privées veulent naturellement un retour sur investissement. La philanthropie n’a que peu de place dans l’entreprise, et c’est pourquoi on ajoute des brevets à la conception des médicaments.

Quelles conséquences ? Tout d’abord, la mise sur le marché du génome humain, où chaque industriel déposera un brevet protégeant ses découvertes. Au lieu d’avoir un patrimoine de l’humanité, nous aurons alors un patrimoine privé, géré, mercantilisé, ceci ne permettant en aucune façon une équité face à la maladie. Ensuite, en admettant que ces thérapies fonctionnent, les coûts seront probablement inabordables, et très certainement associées à des traitements au long cours, comme de la consommation de médicaments à vie. Qui pourra prétendre à des soins aussi complexes et dispendieux, si ce n’est la population riche du monde ? L’autre aspect terrifiant serait, à mes yeux, que les laboratoires s’assurent d’une relative « inefficacité » de leurs produits, de sorte à créer une dépendance perpétuelle des patients. Qui pourrait alors mettre en doute ces pratiques ? Un concurrent ? Un laboratoire indépendant ? Notons enfin une autre conséquence à long terme qui, pour moi, relève de la terreur pure et simple, à savoir la dissémination de ces substances modifiant la génétique humaine, ceci de manière indirecte. Depuis l’enfantement, où le fœtus profite du génome du père et de la mère, jusqu’aux dons du sang, il n’y a pas qu’une méthode pour qu’un gène humain passe d’un homme à un autre. Le risque est tout de même très fort que ces thérapies dégénèrent, qu’elles interviennent au-delà du patient lui-même, et que nous constations que trop tard que ces traitements ont amenés des déformations génétiques imprévues.

Pour ce qui est de la manipulation de notre alimentation, la question est élémentaire : a-t-on envie d’ingérer des produits dont la carte génétique est une construction artificielle ? Il faut tout de même savoir qu’aujourd’hui, il est quasi impossible de prétendre à n’avaler que des produits non modifiés, simplement parce que les OGM sont déjà présents à tous les étages de la production agroalimentaire : animaux trafiqués ou gavés d’anabolisants et autres hormones de croissance, fruits et légumes modifiés à outrance, soja transgénique utilisé comme base dans énormément de produits… Le profit en étendard, les géants de l’industrie ne se contentent plus de chercher des solutions pour améliorer le rendement, mais vont jusqu’à créer des cercles vicieux pour les producteurs. Le cas le plus connu est la stérilisation des graines. Jusqu’à récemment, un agriculteur récoltait ses céréales, puis gardait une partie de la récolte pour la semence de l’année suivante. A présent, plus de garde, puisque les graines sont stériles, le pied initial ne pouvant donner que des fruits impropres à la germination. Dans ces conditions, obligation d’aller se fournir chez l’industriel, donc de lui assurer la pérennité de ses bénéfices. L’aspect complémentaire et effrayant est que cette modification n’est visiblement pas totalement efficace, car les semis modifiés viennent à présent contaminer les champs « sains », voire même se mêler aux autres semences, ceci amenant à ce que des OGM soient présents ailleurs que là où ils étaient prévus. Quid des croisements génétiques avec des plans sains ? Quid des effets sur l’homme avec une alimentation dénaturée ?

Ethique, encore un mot qui fait peur, qui dérange, parce qu’elle est variable d’une personne à une autre. Bien souvent, le raisonnement tenu est « Dans le doute, ne faisons pas », ce qui est devenu le sacro-saint principe de précaution. Dans l’absolu, je ne doute pas que nombre de chercheurs acceptent ce précepte comme une règle d’or, d’autant plus qu’ils sont tout de même capables d’avoir une certaine morale. En revanche, je reste perplexe sur le fait que tous soient atteints par cette tare qui se nomme conscience. L’histoire n’est pas avare en exemples atroces de « chercheurs », pratiquant la vivisection sur l’homme, soutenant l’eugénisme, ou encore n’hésitant pas à tuer pour obtenir de pseudo résultats. Qui croire ? Ceux qui affirment que la génétique, bien contrôlée, offre des perspectives sans précédent, ou bien s’en méfier en songeant aux mauvais films de SF ? Clonage, manipulations pour obtenir des surhommes, massacre des populations à l’aide d’armes génétiques, la SF s’est emparée du sujet pour en décrire les pires possibilités. Rien n’empêche, hélas, de douter de la capacité de l’homme à se tourner vers de telles méthodes, si infâmes soient-elles. N’a-t-on pas assisté à des génocides ? N’a-t-on pas jugé des bourreaux pour cela ? De quoi pourrait relever un crime aussi atroce que l’anéantissement de populations entières, ceci par l’usage d’armes génétiques ? Et quel devenir pour l’humanité en cas de conflit s’appuyant sur de telles technologies ?

La question du bien fondé de l’étude de la génétique n’est plus d’actualité. Il faut que nous progressions, que nous en utilisions, à mon sens, le potentiel de soins et de progrès pour l’homme que peut cacher cet assemblage complexe en double ellipse. Mais savoir qui sera le garde-fou suprême, qui pourra bloquer des actions inacceptables, là je suis déjà plus circonspect. A la lumière de l’attitude de l’humanité, il y a peu de doutes à fonder sur le fait que l’homme ira dans la mauvaise direction pendant un temps, puis se ravisera, après avoir payé chèrement ses erreurs. Prions pour que cela ne soit pas sa dernière.

08 décembre 2010

Crise d'Ivoire

Comme dans nombre de nations où ce sont les despotes qui décident avant les urnes, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui plongée dans une crise majeure, et malheureusement propre à créer les conditions idéales pour une guerre civile. Suite aux présidentielles début Décembre, deux homme se disputent le pouvoir : Alassane Ouattara, reconnu par la commission électorale, la communauté internationale, et même par la très prudente Communauté économique des états d’Afrique de l’ouest (Cédéao), et Laurent Gbagbo qui, lui, s’est vu renouvelé dans ses fonctions par le conseil constitutionnel Ivoirien. Concrètement, le pays a donc deux présidents : l’un sortant et qui refuse de céder sa place, et le second qui est apparemment l’élu du peuple. De ce fait, on pourrait facilement réduire la crise à un dictateur refusant de céder sa place à un démocrate. Mais est-ce aussi simple ?

Il est évident que L.Gbagbo n’a jamais été considéré comme un président démocrate, pas plus que comme l’homme du peuple. De là, les dernières élections l’ont mis hors du pouvoir. Jusqu’ici, aucune complication à constater, si ce n’est l’entêtement de l’homme à se présenter comme le président légitime. Lui, tout comme ses fidèles, se sont d’ailleurs lancés dans une large campagne de mobilisation, de sorte à lever un maximum de supporters pour contrer ce que disent les urnes. C’est effectivement l’attitude typique du perdant cherchant à tout prix à revenir sur le devant de la scène, et ce malgré le désaveu de la foule. Dans le même temps, Ouattara reçoit le soutien de la communauté internationale, nombre de nations (dont la France à travers le président Sarkozy) se prononcent clairement sur le sujet, et demandent à Gbagbo de céder sa place. Cela reste donc, encore une fois, très clair pour tous : Ouattara est l’élu, Gbagbo le « méchant » de l’histoire.

Ne contestons pas le fonctionnement ni le résultat des élections présidentielles. Il n’est pas légitime, du moins pour le moment, de remettre en doute la fiabilité des comptages. Le pays a beau être délabré, l’ONU a ;effectué un travail à peu près efficace pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de fraude. D’ailleurs, c’est cela qui a évité que le président sortant sorte glorifié par une arnaque électorale. En revanche, posons nous quelques questions sur les deux candidats. Le nouvel arrivant est-il un candidat du peuple, ou simplement l’alternative la plus crédible à un président incompétent, et qui plus est dangereux ? Il est essentiel de noter que Ouattara est musulman, et Gbagbo catholique. Cette différence religieuse, si anodine soit-elle en Europe, compte énormément en Afrique, car elle définit deux peuples distincts, qui malheureusement sont susceptibles de transformer un débat politique en affrontement armé. Eglise au nord, mosquées au sud. C’est la caricature du terreau fertile pour une guerre civile, surtout si elle prend ses racines dans une haine ethnique.

Depuis que l’islam est mis sous les projecteurs, et surtout depuis que l’islam est considérée par beaucoup de médias comme la source première de terrorisme dans le monde, force est de craindre que les catholiques Ivoiriens se tournent vers Gbagbo, de peur que leur pays en vienne aux mêmes lois iniques de la charia, tout comme en Somalie par exemple. A tout choisir, la foule pourrait très bien prendre la peste dictatoriale, plutôt que le choléra religieux. Et pour peu que quelqu’un daigne mettre le feu aux poudres, un second Rwanda pourrait très aisément apparaître. Mettons nous à la place des protagonistes. D’un côté, il y aura la crainte d’un retour à un système féodal, et de l’autre la peur d’être traité en inférieurs par un nord plus riche, mais aussi plus corrompu. Difficile de savoir si, dans les faits, Ouattara sera, ou pas, un candidat fiable, tant parce que le pays n’est pas encore sorti du principe de république bananière, que parce qu’il y a fort à faire pour prouver sa bonne foi à un peuple épuisé par le despotisme d’état.

Dans ces conditions, on ne peut que craindre une escalade, avec d’abord des escarmouches locales, notamment pendant des manifestations ou des mouvements de foule. Une émeute, quelques morts, la vengeance, puis ensuite les représailles, quelques morts de plus pour rien, et l’armée s’en mêlera, de gré ou de force. Ensuite, elle devra choisir son camp, et les problèmes ethniques internes pourraient mener à une scission, et des affrontements frontaux entre militaires. De là, la situation ne pourra qu’empirer, chacun défendant jusqu’au bout un candidat à qui le crime ne profitera de toute façon pas. En effet, quel profit auront-ils, l’un comme l’autre, à voir le pays dériver vers la guerre ? En dehors d’instaurer l’état d’urgence, de devoir financer les combats, et de devoir en assumer les conséquences, ce pays déjà en situation difficile ne pourra clairement pas sortir grandi d’une telle catastrophe. La France est déjà présente sur place, en tant que force d’interposition, afin de stabiliser le pays. Le résultat, pour le moment, semble relativement efficace. Qu’en sera-t-il si cette mission vire à la mission d’ingérence ? Difficile de rester neutre en cas de conflit total, où les civils comme les militaires ouvriront le feu. Il faudra alors envisager de prendre parti, avec le risque non négligeable de soutenir un despote qui cache ses intentions, ou bien un despote autoproclamé.

J’espère que Ouattara n’est pas qu’un comédien de plus de l’Afrique, un de ces présidents parlant de réforme le lundi, armant ses associés le mardi, pillant le mercredi, s’enfonçant dans la crise le jeudi, et quittant le pouvoir par la petite porte pour le week-end. Les prochains jours seront cruciaux, surtout si Gbagbo refuse de se rendre à l’évidence de sa défaite. Certains suggèrent que Ouattara serait avisé de partager le pouvoir, de sorte à éviter tout conflit. L’idée est séduisante, trop même, car elle cache nombre de vices graves. Tout d’abord, pourquoi partager ? Ouattara est élu ; il n’a pas à donner une partie de sa victoire au perdant, surtout quand il s’agit d’un chantage aussi ouvert. Ensuite, partager le pouvoir, mais comment ? Une assemblée nationale, découpée de manière proportionnelle au vote de l’élection ne sera pas légitime, puisque la majorité absolue est nécessaire pour avoir le statut de président. Cela impliquerait donc que le parti de Ouattara serait, de toute façon, majoritaire… Donc laissant que peu d’influence aux partisans du président sortant. Jouer l’alternance ? Impossible, surtout quand il s’agit d’obtenir une vraie continuité politique. Et surtout, et avant tout, Ouattara ne peut et ne doit surtout pas fléchir de la sorte. S’il accepte une telle compromission, cela mènera immanquablement à une autre crise politique. Plus tardive, plus technique, moins frontale, mais pas moins dangereuse pour le pays. Quant aux avis internationaux, la question va être de savoir qui va oser affronter frontalement les partisans de Gbagbo, et qui va assurer la sécurité de l’état. A ce jour, ces questions mènent donc à l’envenimement de la situation, sans véritable porte de sortie ni pour l’un, ni pour l’autre des deux protagonistes. A mon sens, une solution improbable serait d’exhorter la foule à ne pas s’affronter, à ne pas s’entretuer, et de laisser les deux vrais faux présidents se déchirer, jusqu’à temps qu’ils trouvent une solution concertée. De cette manière, le pays resterait alors contrôlable, vivrait au quotidien, et éviterait tous les écueils cités précédemment. C’est un vœu pieu je le crains...

07 décembre 2010

Opération noire

L’iconographie cinématographique n’hésite jamais à grossir les traits concernant tant la politique que les manipulations en arrière-plan, notamment quand il s’agit d’exactions fomentées par les services secrets. C’est une évidence : l’espion rejoindra un service généralement tourné en clair-obscur, il sera systématiquement vêtu d’un costume apparemment neutre, mais toujours suffisamment distinctif pour qu’il soit visible dans la foule lors des plans séquence, et au surplus le téléphone de bureau, l’ordinateur, tous les accessoires propres à rappeler la bureaucratie seront utilisés à outrance pour décrire les plans d’action comme des choses immuables, définitives, impitoyables car mécaniques. Qu’en est-il de la réalité ? Est-ce aussi « simple », ou est-ce aussi complexe que certains films le laissent apparaître ? Avec l’avènement des théories du complot, force est de constater que les scenarii les plus tordus s’étalent en cinémascope, avec des ficelles difficiles à dénouer, le tout jusqu’au dernier instant du film. Pourtant, je crois que la vérité est autrement moins manichéenne, car je suis convaincu que tous ces agents, ces espions agissent et s’adaptent en fonction des évènements. Pourtant, on pourrait croire qu’il y a une ligne directrice, des constructions stratégiques pour justement tendre vers un résultat, mais je crois que ce n’est pas aussi clair ni aussi pointu qu’on oserait l’espérer.

Et si je vous faisais lire un scénario d’espionnage bien classique, charpenté de manière très ordinaire, pour ne pas oser dire « cliché » ? Jouons avec les codes, avec les définitions, et voyons si, au final, le tout semble crédible ou pas.

La salle principale du service d’étude documentaire se trouvait au troisième étage d’un bâtiment anonyme du centre ville. Neutre, gris au point de se confondre avec les autres immeubles, ce coin d’avenue hébergeait pourtant nombre d’opérations des plus inavouables : écoutes téléphoniques, services dédiés au décryptage de communications sécurisées, analyse de documents spéciaux, rédactions d’ordres illégaux, on y épluchait la vie des citoyens et des criminels sans distinction, sans la moindre considération pour la vie privée. Le haut intérêt de la nation passait avant tout. Dans la grande salle s’entassaient une cinquantaine de fonctionnaires zélés, répartis dans des box créés à partir de cloisons temporaires. Chaque employé avait ses deux téléphones, son ordinateur protégé, et son bureau pourvu d’un classeur fermant avec une clé sécurisée. Leur boulot ? Dépouiller d’innombrables coupures de presse, extraits de courriers, transcription d’écoutes, et d’en recouper les résultats pour éliminer l’ivraie inutile du bon grain. Cela pouvait prendre des mois d’analyse que de trouver l’information intéressante, le secret qui ne devait jamais sortir. Un bon analyste pouvait aussi s’épuiser sur un dossier strictement inutile, mais vérifié et recoupé « au cas où », notamment dans le cas de personnes sensibles comme des experts scientifiques, des officiers, ou encore des diplomates en poste à l’étranger, en territoire inhospitalier.

A force de découpage, l’employé X avait eu, semble-t-il, une révélation : il avait découvert, selon sa conviction intime, qu’un agent ennemi s’était infiltré dans l’équipe d’analyse, et qui remontait donc nombre de résultats propres à aider l’adversaire dans nombre de dossiers brûlants. Pris indépendamment, les pièces analysées n’avaient rien en commun : une négociation économique qui avait lamentablement échouée, des tractations difficiles pour récupérer des otages civils, ou bien encore des incidents militaires incompréhensibles en zones pacifiées. Difficile de procéder à un recoupement cohérent, sauf à se demander pourquoi tout ceci se produisait. Et là, l’illumination, la révélation, il y avait quelqu’un qui avait fourni de quoi déstabiliser ces dossiers. Le marché de plusieurs milliards qui échoue ? Il suffisait de fournir nombre de pièces prouvant que le prix pratiqué était exorbitant. La négociation des otages ? Facile, surtout en dénonçant dans les médias que l’état s’abaissait à traiter avec les terroristes. Une opération militaire tournant à la bavure ? Fournissons donc les plans de déplacement des forces spéciales à l’ennemi, par l’entremise d’une personne de bonne volonté. Mais qui diable avait donc autant de poids pour agir de la sorte ? Qui pouvait donc torpiller les actions de l’état ? Et surtout, pourquoi ?

X retourna longuement la question dans sa tête. Argent, chantage, motivation morale ou politique, il fit la revue de tous les prétextes possibles à la vente de secrets aussi sensibles. Bien sûr qu’il avait vu et lu les fuites de Wikileaks, bien sûr qu’il doutait même de la fuite en supposant, comme beaucoup, que le tout avait été orchestré par la CIA pour justifier une augmentation de la sécurité des discussions, donc du budget. Mais là, c’était concret, c’était de la donnée de terrain, propre à envoyer à la mort nombre de gens. Quelques mots pour les tuer tous. Quelques mots pour provoquer des crises majeures. Quelques mots pour dénoncer et bloquer un sauvetage qui aurait du rester secret. Qui accuser ? Parmi la cinquantaine d’employés, lui y compris, tous avaient accès à ces différents dossiers, et il ne lui fut pas difficile de constater que plus de la moitié des analystes avaient, tôt ou tard, eu recours à ces dossiers pour approfondir des enquêtes en cours. Quoi de plus logique : on vérifie le comportement parfois douteux d’un ministre d’un gouvernement africain, et il s’avère que c’est à proximité de son pays que s’arrivent des enlèvements, donc on creuse la piste pour s’assurer qu’il n’y est pas mêlé. Une négociation échoue, et une entreprise étrangère concurrente obtient le marché à milliards, on investigue donc du côté des négociateurs pour trouver s’il n’y a pas eu fuite parmi eux. Et ainsi de suite.

Et là, le doute : s’adresser au chef ? Et si c’était lui, la taupe ? Après tout, nul n’est innocent en ce bas monde, surtout quand il s’agit d’espionnage. Alors lui parler, cela pouvait vouloir dire mourir, disparaître, ou voir sa vie foutue en l’air, manipulée et torturée avec talent par des experts en désinformation. Personne n’est réellement propre, surtout aux yeux des services secrets. Il fallait pourtant agir, et vite, trouver des gens avec qui échanger l’information, ne serait-ce que pour se protéger. C’est là que la confiance est mise à l’épreuve, car après tout, s’il y a un traître, il faut tôt ou tard se trouver des alliés, et seule la confiance irrationnelle est capable de faire le « bon » choix. X choisit donc d’en référer à son chef, de lui montrer ce qu’il avait compris, analysé, et surtout découvert. Après tout, c’est à la hiérarchie que revient le triste devoir d’intervenir pour régulariser la situation. En sueur, tremblant presque, X édita la documentation complète, ainsi que ses grilles d’analyse. Le dossier prit vite de l’ampleur, emplissant une pochette, puis une deuxième, pour finalement remplir quatre pochettes. Il se leva, et, fébrilement, se rendit chez son chef de service.

L’homme était assis derrière un bureau ordinaire, simplement différencié du reste du service par le fait qu’il était indépendant du grand espace des analystes. Affaire au téléphone, tout en tapotant sur son clavier, il semblait profondément inspiré par sa discussion. L’attente parut interminable, et X frémit à l’idée de s’être peut-être trompé. Après tout, une analyse, cela ne vaut pas plus que quelques mots sur un papier, et accuser quelqu’un de trahison, c’était autre chose que de pointer du doigt un terroriste potentiel, un inconnu, quelqu’un qu’on pourrait innocenter par la suite. Quand le chef fit enfin mine d’écouter son subordonné, celui-ci eut d’abord du mal à s’exprimer. Troublé, un peu perdu, il se lança dans plusieurs directions, perdant le fil pour le retrouver quelques phrases plus tard. Circonspect, son supérieur lui demanda de reprendre calmement, de faire le tri dans ses idées, et de détailler le cheminement de l’analyse. X prit une grande inspiration, et il se lança dans un exposé brillant, circonstancié d’environ trente minutes. Exalté par sa conviction, il traça nombre de schémas, de liaisons sur un tableau de conférence, annotant occasionnellement les liens pour préciser ce qui menait immanquablement à sa conclusion : un traître était parmi eux.

Quand il eut enfin terminé, son chef le pria de fermer correctement la porte, de la verrouiller, et de s’asseoir. Joignant ses mains en signe de réflexion, l’homme sembla pénétré d’une méditation profonde, comme s’il avait un aveu à faire. Lentement, il fit répéter plusieurs affirmations à X qui répéta mot pour mot ses conclusions. Alors, le chef, apparemment satisfait, arborant un sourire teinté de cynisme, lança plusieurs éditions sur son imprimante personnelle. Une fois les documents sortis de la machine, il les étala devant son interlocuteur, et se mit à compléter les « trous » du raisonnement de son subordonné. Le dossier de la vente de technologie qui a échoué ? Le but n’avait jamais été de leur vendre quoi que ce soit, mais au contraire de le leur faire croire, et de saboter volontairement la négociation. Pourquoi ? Pour leur sembler être des escrocs pour qu’il n’y ait jamais d’entente, tout en faisant croire, à l’international, que l’état acceptait de traiter avec cet état classé « presque voyou ». La négociation des otages ? On organisait un acte de propagande pour montrer que l’état se préoccupait des otages, tout en refusant de payer quelque rançon que ce soit. Cela donnerait le temps de monter une opération de libération, ou bien de contre-attaque à travers une intervention d’un tiers moins visible. Pour les soldats morts au front ? Il fallait absolument qu’il y ait une action militaire dans la région, et question fuite, il n’y avait jamais eu la moindre zone démilitarisée dans le coin. Ajouter le doute, la suspicion, cela faciliterait le travail des services secrets à qui l’on donnerait plus de libertés et une plus grande largesse dans leurs prérogatives. Désinformer, prêcher le vrai pour le faux, vendre et acheter le silence, tout n’était donc qu’écran de fumée. Après tout, faire croire à l’ennemi qu’on est son allié, ce n’est pas tant danser avec le diable, que de faire croire au diable que l’on danse avec lui.

X fut estomaqué. Il avait donc cru lire une trahison d’une personne, alors qu’il y avait eu manipulation totale de l’information. Le monde était donc convaincu qu’on traitait avec les terroristes, qu’on vendait notre âme, alors que c’était au terroriste qu’on faisait croire qu’on traitait avec eux. Jeu de dupe où les vrais alliés savaient certainement que tout ceci n’était rien moins que de la déformation de réalité. X n’osa d’abord pas dire un mot, puis il demanda à son chef le sens de ces actions. Celui-ci, calme, serein, évoqua alors une petite histoire tirée d’un film.

« Un oisillon, en hiver, se mit à brailler tout son saoul. Une vache, passant par là, lâcha sur lui une grosse bouse. Embourbé, l’oisillon se rendit vite compte qu’il était au chaud…. Et en fut content. Malheureusement, ses cris avaient alerté un renard qui s’approcha, saisit l’oisillon, le décrotta dans la neige, puis finalement le mangea d’une seule bouchée.

Moralité : Celui qui te met dans la merde ne le fait pas forcément pour ton mal, et celui qui t’en tire ne le fait pas forcément pour ton bien ».

05 décembre 2010

quand Brel rencontrait l'humour

Brel, indémodable, se parodiant pour jean Poiret... et c'est tellement d'actualité!

02 décembre 2010

Je me sens capable de tout

J’ai déjà parlé du docteur Steel dans un article précédant, encensant sa musique, son style décalé, et sa façon amusante d’envisager l’invasion du monde. Sa stratégie ? Utiliser la célébrité de musicien, utiliser les fonds récoltés pour monter une armée de robots serviles, puis enfin prendre le contrôle de la planète. Me concernant, je trouve cette idée on ne peut plus crédible, surtout si l’on réfléchit un instant au fait que les multinationales procèdent de la même manière ou presque : créer un besoin, engranger des bénéfices, et recycler cet argent dans de l’influence auprès des gouvernants de la planète. Que ce soit Exxon, Total, Microsoft, Boeing, Airbus, ou encore les lobbies des équipementiers militaires, tous agissent sur le même modèle en noyautant les états à travers le financement des campagnes. Intéressante idée que de s’attaquer au marché des enfants à travers des jouets !

Mais de là, mon cher docteur Steel, sachez que vous avez de la concurrence sur ce terrain. Moi aussi j’envisage sérieusement la conquête du monde, la prise du pouvoir à travers toutes les méthodes possibles et imaginables, même si certaines peuvent apparaître comme peu honnêtes, voire déshonorantes. L’honneur ? C’est bien la dernière chose dont doit se préoccuper un despote, en tout cas dans les actes. Après, vendre une certaine image de rigidité légale et morale à la plèbe, pourquoi pas, mais cela ne restera jamais rien d’autre que de la propagande à destination des masses. En plus, un gouvernement se gardera systématiquement de tout dire à la foule, parce qu’elle est réactionnaire d’une part, et d’autre part parce qu’il n’est pas utile d’admettre ouvertement que le gouvernement roule dans la farine (pour être poli) ceux-là même qui sont dirigés. On a le devoir de leur mentir ! C’est là toute la vérité, simple, propre et directe qui doit être énoncée… Et pas plus.

Bref, en toute connaissance de cause des ficelles de l’escroquerie qu’est la politique, j’imagine assez aisément une prise de pouvoir à travers divers moyens immoraux : corruption des masses à travers la propagande qu’on peut distiller à travers la désinformation, montage de rumeurs infondées mais dévastatrices contre toutes les formes de résistance ou d’opposition, dénoncer des scandales, qu’ils soient vrais ou faux, et enfin proposer des solutions radicales, même si celles-ci peuvent sembler utopiques. Les gens aiment les illusions, ils adorent visiblement le baratin, et surtout ils préfèrent s’entendre dire que tout va bien, quant bien même cela s’avère totalement faux. Par quoi commencer ? Tout d’abord, ne pas se placer dans un parti quelconque, tout en récoltant les plus réacs dans chacun des partis traditionnels. Ensuite, vilipender ceux qui ont des idéologies trop laxistes et molles, de sorte à exciter les sentiments nationalistes, puis enfin, jouer la carte de l’action militante ; Rien ne vaut le défilé de quelques dizaines de milliers de fanatiques sous les fenêtres des élus, d’autant plus quand vient s’additionner les foules curieuses. Efficace, peu coûteux, très médiatique, et terrifiant pour l’ancienne élite.

Une fois cette place faite, il faut s’immiscer dans la vie publique : mener de grosses actions dans les mairies, participer à toutes les réunions, même les plus anodines, dans les quartiers, afin d’agir pour le citoyen, tout en contrant les intérêts des élus en place. Il sera utile de les inquiéter en agissant, quitte à voir quelques partisans faire un peu de prison. Vous voulez les voix des socialistes intégristes ? Prenez d’autorité les logements vides détenus par des banques. Vous voulez le soutien des bourgeois traditionalistes ? Exercez une police quasi parallèle pour effrayer la délinquance, menez des actions coup de poing contre les différents trafics qui peuvent exister dans les villes. En étant visibles, efficaces, cela ne pourra qu’inviter la foule à croire dans une politique sécuritaire et résolue… Mais tout ceci en évitant l’écueil d’aller à la bêtise fasciste, c'est-à-dire en amalgamant problèmes sociaux avec immigration. Le mieux sera alors de trouver des soutiens et des portes paroles aptes à expliquer que ce n’est pas l’étranger le problème, mais celui qui ne respecte pas l’état.

Dans tout ceci, il sera alors vital de rédiger un ouvrage, un manifeste percutant, voire virulent à l’intention des militants. A l’instar d’un petit livret rouge, ce livre devra être concis, précis, impossible à mettre en doute. Ne pas hésiter à en faire un peu trop, de sorte à provoquer des vocations, tout en évitant, encore une fois, tout sujet pouvant être sujet à confusion. La doctrine ne doit pas être raciste, elle se doit d’être juste celle de la droiture morale. Certains seront critiques en faisant des rapprochements avec le nazisme. Là ? Débat public, défense des idéaux, usage des médias à outrance avec explications à l’appui pour distinguer les horreurs nazies de vos méthodes. Je crois qu’il y a là une arme redoutable pour faire croître encore un peu plus les rangs des fanatiques, des vrais soutiens. Appuyer là où ça fait mal ne suffit pas, il faut en plus trouver les plaies cachées et les mettre en avant.

Après quelques années, voilà que le pays sera contrôlé, que les élections seront gagnées… Et qu’ensuite une politique d’expansion pourra être envisagée. J’en suis là pour le moment, me demandant comment j’asservirai les états Européens à ma cause. Ah merde, faudrait déjà que je sois élu bordel… Comme quoi, l’ambition dévorante ne suffit pas à créer les despotes, il faut aussi que le despote soit suivi. A aujourd’hui, je n’ai pas le moindre bidasse. Y a du boulot !