08 décembre 2010

Crise d'Ivoire

Comme dans nombre de nations où ce sont les despotes qui décident avant les urnes, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui plongée dans une crise majeure, et malheureusement propre à créer les conditions idéales pour une guerre civile. Suite aux présidentielles début Décembre, deux homme se disputent le pouvoir : Alassane Ouattara, reconnu par la commission électorale, la communauté internationale, et même par la très prudente Communauté économique des états d’Afrique de l’ouest (Cédéao), et Laurent Gbagbo qui, lui, s’est vu renouvelé dans ses fonctions par le conseil constitutionnel Ivoirien. Concrètement, le pays a donc deux présidents : l’un sortant et qui refuse de céder sa place, et le second qui est apparemment l’élu du peuple. De ce fait, on pourrait facilement réduire la crise à un dictateur refusant de céder sa place à un démocrate. Mais est-ce aussi simple ?

Il est évident que L.Gbagbo n’a jamais été considéré comme un président démocrate, pas plus que comme l’homme du peuple. De là, les dernières élections l’ont mis hors du pouvoir. Jusqu’ici, aucune complication à constater, si ce n’est l’entêtement de l’homme à se présenter comme le président légitime. Lui, tout comme ses fidèles, se sont d’ailleurs lancés dans une large campagne de mobilisation, de sorte à lever un maximum de supporters pour contrer ce que disent les urnes. C’est effectivement l’attitude typique du perdant cherchant à tout prix à revenir sur le devant de la scène, et ce malgré le désaveu de la foule. Dans le même temps, Ouattara reçoit le soutien de la communauté internationale, nombre de nations (dont la France à travers le président Sarkozy) se prononcent clairement sur le sujet, et demandent à Gbagbo de céder sa place. Cela reste donc, encore une fois, très clair pour tous : Ouattara est l’élu, Gbagbo le « méchant » de l’histoire.

Ne contestons pas le fonctionnement ni le résultat des élections présidentielles. Il n’est pas légitime, du moins pour le moment, de remettre en doute la fiabilité des comptages. Le pays a beau être délabré, l’ONU a ;effectué un travail à peu près efficace pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de fraude. D’ailleurs, c’est cela qui a évité que le président sortant sorte glorifié par une arnaque électorale. En revanche, posons nous quelques questions sur les deux candidats. Le nouvel arrivant est-il un candidat du peuple, ou simplement l’alternative la plus crédible à un président incompétent, et qui plus est dangereux ? Il est essentiel de noter que Ouattara est musulman, et Gbagbo catholique. Cette différence religieuse, si anodine soit-elle en Europe, compte énormément en Afrique, car elle définit deux peuples distincts, qui malheureusement sont susceptibles de transformer un débat politique en affrontement armé. Eglise au nord, mosquées au sud. C’est la caricature du terreau fertile pour une guerre civile, surtout si elle prend ses racines dans une haine ethnique.

Depuis que l’islam est mis sous les projecteurs, et surtout depuis que l’islam est considérée par beaucoup de médias comme la source première de terrorisme dans le monde, force est de craindre que les catholiques Ivoiriens se tournent vers Gbagbo, de peur que leur pays en vienne aux mêmes lois iniques de la charia, tout comme en Somalie par exemple. A tout choisir, la foule pourrait très bien prendre la peste dictatoriale, plutôt que le choléra religieux. Et pour peu que quelqu’un daigne mettre le feu aux poudres, un second Rwanda pourrait très aisément apparaître. Mettons nous à la place des protagonistes. D’un côté, il y aura la crainte d’un retour à un système féodal, et de l’autre la peur d’être traité en inférieurs par un nord plus riche, mais aussi plus corrompu. Difficile de savoir si, dans les faits, Ouattara sera, ou pas, un candidat fiable, tant parce que le pays n’est pas encore sorti du principe de république bananière, que parce qu’il y a fort à faire pour prouver sa bonne foi à un peuple épuisé par le despotisme d’état.

Dans ces conditions, on ne peut que craindre une escalade, avec d’abord des escarmouches locales, notamment pendant des manifestations ou des mouvements de foule. Une émeute, quelques morts, la vengeance, puis ensuite les représailles, quelques morts de plus pour rien, et l’armée s’en mêlera, de gré ou de force. Ensuite, elle devra choisir son camp, et les problèmes ethniques internes pourraient mener à une scission, et des affrontements frontaux entre militaires. De là, la situation ne pourra qu’empirer, chacun défendant jusqu’au bout un candidat à qui le crime ne profitera de toute façon pas. En effet, quel profit auront-ils, l’un comme l’autre, à voir le pays dériver vers la guerre ? En dehors d’instaurer l’état d’urgence, de devoir financer les combats, et de devoir en assumer les conséquences, ce pays déjà en situation difficile ne pourra clairement pas sortir grandi d’une telle catastrophe. La France est déjà présente sur place, en tant que force d’interposition, afin de stabiliser le pays. Le résultat, pour le moment, semble relativement efficace. Qu’en sera-t-il si cette mission vire à la mission d’ingérence ? Difficile de rester neutre en cas de conflit total, où les civils comme les militaires ouvriront le feu. Il faudra alors envisager de prendre parti, avec le risque non négligeable de soutenir un despote qui cache ses intentions, ou bien un despote autoproclamé.

J’espère que Ouattara n’est pas qu’un comédien de plus de l’Afrique, un de ces présidents parlant de réforme le lundi, armant ses associés le mardi, pillant le mercredi, s’enfonçant dans la crise le jeudi, et quittant le pouvoir par la petite porte pour le week-end. Les prochains jours seront cruciaux, surtout si Gbagbo refuse de se rendre à l’évidence de sa défaite. Certains suggèrent que Ouattara serait avisé de partager le pouvoir, de sorte à éviter tout conflit. L’idée est séduisante, trop même, car elle cache nombre de vices graves. Tout d’abord, pourquoi partager ? Ouattara est élu ; il n’a pas à donner une partie de sa victoire au perdant, surtout quand il s’agit d’un chantage aussi ouvert. Ensuite, partager le pouvoir, mais comment ? Une assemblée nationale, découpée de manière proportionnelle au vote de l’élection ne sera pas légitime, puisque la majorité absolue est nécessaire pour avoir le statut de président. Cela impliquerait donc que le parti de Ouattara serait, de toute façon, majoritaire… Donc laissant que peu d’influence aux partisans du président sortant. Jouer l’alternance ? Impossible, surtout quand il s’agit d’obtenir une vraie continuité politique. Et surtout, et avant tout, Ouattara ne peut et ne doit surtout pas fléchir de la sorte. S’il accepte une telle compromission, cela mènera immanquablement à une autre crise politique. Plus tardive, plus technique, moins frontale, mais pas moins dangereuse pour le pays. Quant aux avis internationaux, la question va être de savoir qui va oser affronter frontalement les partisans de Gbagbo, et qui va assurer la sécurité de l’état. A ce jour, ces questions mènent donc à l’envenimement de la situation, sans véritable porte de sortie ni pour l’un, ni pour l’autre des deux protagonistes. A mon sens, une solution improbable serait d’exhorter la foule à ne pas s’affronter, à ne pas s’entretuer, et de laisser les deux vrais faux présidents se déchirer, jusqu’à temps qu’ils trouvent une solution concertée. De cette manière, le pays resterait alors contrôlable, vivrait au quotidien, et éviterait tous les écueils cités précédemment. C’est un vœu pieu je le crains...

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