21 mai 2021

Du serin au surin

Bon déjà, me revoici. Oui je sais, une telle période d’inactivité pouvait laisser entendre que ces lieux étaient condamnés à l’oubli, voire même à la destruction. Et pourtant, telle une citadelle enterrée sous les lierres, la pierre qui se dissimulait sous la végétation est toujours robuste, toujours bien présente et donc toujours prête à recevoir mes pensées les plus véhémentes.

De ce fait, je dépoussière les lieux, je sors avec satisfaction la hache pour trancher les branches qui encombrent les allées… Puis naturellement pour trancher dans le vif.

Content de reprendre la plume virtuelle, content de voir si, par hasard, il y aura ou non des lecteurs pour venir lire mes nouvelles élucubrations.

Pourquoi un tel titre ? C’est une réflexion que je me suis faite en suivant de très loin l’actualité. Loin de moi l’idée d’épiloguer concernant la crise COVID… le sujet a tellement été rincé, essoré, sali, relavé, tordu et de nouveau englué qu’il me semble vain d’en disserter. Non, là le sujet qui me fait réagir ce jour est la violence urbaine entre des personnes de plus en plus jeunes. Dans ma ville, un adolescent de 17 ans a été poignardé à mort et l’on a mis des adolescents en garde à vue pour cela. Quoi en dire ? Quoi en penser ? Une bonne majorité de gens iront tout de suite exiger (à tort) la nationalité et/ou la couleur de peau des acteurs de ce drame, tout ceci pour se rassurer que « encore des étrangers », ou bien « c’est toujours les mêmes ». Rien ne m’est plus désagréable qu’un tel discours sachant que moi-même je ne suis pas d’un sang qu’ils pourraient qualifier de « moins impur que la moyenne ». Qu’on se le dise : je ne suis pas né français, et j’ai pris la nationalité par fierté et par amour pour cette si belle nation. Alors, évacuons la question sans le moindre scrupule, ça n’est pas intéressant de connaître l’origine ethnique d’une victime ou d’un agresseur. Ce qui l’est, c’est de raisonner sur le contexte, les causes et enfin les conséquences.

En prenant de l’âge, je me suis quelques temps figuré l’enfant comme un oisillon, une chose fragile, complexe, attendant beaucoup des adultes, et qui évolue au fur et à mesure où son expérience croît et s’enrichit des divers évènements de son existence. Je pense que j’étais à proprement parler candide, voire même que je me faisais des illusions à ce propos. Nous sommes théoriquement là pour offrir un nid à nos petits serins, nous devons leur apprendre à voler de leurs propres ailes, et par voie de conséquence de déterminer un peu ce qu’ils seront à terme. Malheureusement, le monde n’a rien d’idéal, et nous ne sommes pas parfaits non plus. Notre incapacité à comprendre le monde dans lequel nous évoluons nous rend bien souvent incapables d’avoir les mots et les attitudes requises pour permettre à ses enfants de faire de nous des repères stables et fiables. Tout entre en ligne de compte : situation sociale, professionnelle, sentimentales, entourage… Tout a une importance, et croire qu’on peut exclure certains éléments de l’équation, c’est fantasmer sur la possibilité de réduire à portion congrue ce qui au contraire se révèle être le plus influent et toxique pour l’évolution de l’enfant. Ainsi, comment prétendre omettre la situation dramatique des banlieues ? En mentant ? Comment mettre de côté le chômage, le manque de moyens, la frustration d’être stigmatisé pour une question ethnique ?

J’ai évolué. J’ai compris que nous ne pouvons pas déformer très longtemps la réalité pour la rendre plus tolérable à nos enfants. Nous ne pouvons décemment pas leur faire avaler des couleuvres basées sur un monde idéal, sous peine de les rendre incapables de se défendre dans le monde. C’est ainsi : tout comme le serin qui grandit dans le nid, l’envol est périlleux. Puis, le temps de voler de manière autonome est pire encore, car le ciel, les branches et la terre sont des endroits très dangereux. Il y a les prédateurs, les dangers inhérents aux accidents de la vie, et tout ceci cumulé fait de l’existence et la survie des miracles. Alors, quand je vois un petit serin, un adolescent, un gosse finir sur la table d’autopsie, je ne peux que me désoler et me demander ce qui a pu amener à un tel désastre. Est-ce la société ? Les parents ? Les deux ? Aucun des deux, juste la colère d’un tiers ? Lui-même à travers des actes qui l’ont mené à un affrontement ? C’est là le vrai cœur de la question, et non des divagations sur « d’où il vient ».

Le béton n’est pas un endroit agréable. Le bitume n’est ni accueillant ni tendre avec ceux qui l’arpentent. La ville n’est pas un endroit fait pour être le meilleur parti pour l’enfance. On s’adapte au béton, et non le contraire. Je crois qu’il y a une vraie réflexion de fond qui manque notoirement à la majorité des observateurs, à savoir si maintenir un paysage urbain fait pour l’accumulation et non l’intégration est une solution réellement viable. Pire : on accuse les habitants des cités d’être la première cause de délinquance et de violences… Mais n’est-ce pas la cité par elle-même qui fait émerger cette colère sourde et cette haine ? La facilité est de retourner la perspective, et donc de cibler les conséquences et non les causes. Et plus cela va, plus les victimes sont jeunes, et pire encore plus les conséquences sont dramatiques. Qu’est-ce qui mène à cette brutalité exacerbée ? Est-on face à l’implosion des valeurs ? A la désintégration des dernières barrières qui retenaient cette rage ?

Suis-je triste ? Non. Nul lecteur ne l’est, ou tout du moins pas plus que le temps de l’émotion naturelle de voir un jeune mourir pour rien. Ce qui me révolte en fait, c’est que ces faits divers ne font qu’apporter de l’eau aux moulins des plus intégristes et radicaux… Et pas uniquement du côté des xénophobes. C’est là toute l’horreur : d’un côté, les racistes profitent pour mettre en avant l’origine des victimes et criminels, et de l’autre les radicalisés religieux iront expliquer aux jeunes « voyez un peu comment ils vous perçoivent. Pour eux c’est vous les fautifs. Rejoignez-nous pour lutter contre ça ». Chaque nouvelle victime est une nouvelle pierre ajoutée à ce mur qui se bâtit chaque jour entre la société et ceux qui vivent à sa marge. Oui, je dis bien à sa marge car la banlieue, la cité, c’est un lieu dénigré, craint, haï même, et qui fait l’objet de tous les fantasmes. La rue est, pour reprendre une belle analogie d’un rappeur marseillais, une forge où la jeunesse se voit fixée de force à des clichés, et où qui sont en quête d’une identité et d’une manière de s’intégrer. Oui, contrairement à l’idée reçue, tous veulent être intégrés, tous espèrent qu’on ne les juge plus, qu’on ne les regarde plus avec mépris et peur.

Nous sommes tous, depuis le dernier citoyen jusqu’à celui qu’on qualifie comme premier de ceux-ci en la personne du président de la République, tous nous sommes responsables à un niveau plus ou moins important de cette situation. Pourquoi ? Songez-y. Réfléchissez, ne vous laissez pas avoir par les discours des uns et des autres. N’ayez pas peur de regarder en face la réalité. Nous colportons tous une image terrible et même terrifiante de ces villes où l’on a parqué des citoyens pour en faire des esclaves de la machine. La machine morte, nous en avons fait des lieux pour prétendre ne pas avoir à faire mieux que les loger et leur laisser les miettes qui leur permettent de ne pas mourir de faim ou de froid. Est-ce suffisant ? Il ne s’agit pas de vouloir faire de la nation une structure paternaliste versant dans l’assistanat béat, mais bel et bien de se souvenir que, dans le fond, ce qui fait qu’un être n’a pas de travail, c’est bien souvent faute de réflexion coordonnée et structurée par l’état, nous avons développé un tissu professionnel ne privilégiant désormais plus que la classe moyenne. Les usines ? Elles ferment et délocalisent. Les petits métiers divers et variés ? Trop taxés, ils en deviennent tout bêtement invivables. Je pourrais continuer l’énumération jusqu’à la nausée. Nous tous nous avons une part, car nous choisissons nos élus, nous colportons les rumeurs, régurgitons des discours de peur et même de haine, alors que le fond serait déjà de rendre la société plus attrayante que tous les discours radicaux dont ces enfants sont farcis à longueur de journée.

Le serin a appris à voler. Il a appris à être autonome. Hélas, la faune autour était hostile. Nous lui avons accordé que trop peu d’intérêt. Cela lui a coûté la vie, mort d’un coup de surin. Ce jour-là, ce n’est pas qu’un enfant qui est mort, c’est aussi l’innocence de ses bourreaux qui est morte de la pire des manières. Que faire ? Leur pardonner ? Non. La cité, la pauvreté, cela n’excuse ni la violence ni la haine. Cela peut l’expliquer, pas diminuer la gravité de leurs actes. C’est pour les proches de toutes ces familles que je suis le plus triste. Tous vont avoir un terrible fardeau, les uns en victimes, les autres en coupables.