19 décembre 2014

Taikos, ces percusions incroyables

Elles viennent du Japon, elles sont spectaculaires, pénétrantes... A écouter!


12 décembre 2014

Et un autre tout aussi incroyable...

Merci au génie de Wagner...


Un morceau incroyable...

Que dire... sublime, envoûtant, terrifiant, c'est un classique des classiques! Rien d'étonnant qu'il ait été recyclé dans je ne sais combien de films ou de publicités...

11 décembre 2014

Odeur de sang

J'avais souvent entendu les adultes affirmer que le sang versé a l'odeur de l'âme de celui qui meurt. Pour ma part, j'eus rapidement la conviction que le sang ne sentait pas différemment d'un être à un autre, et que cela n'était qu'une façon de se rassurer sur les actes commis. Pourtant, c'était effectivement une idée confortable que de se rassurer en revendiquant que le sang de l'ennemi terrassé sentait mauvais. Là, après ces batailles, j'appris à mes dépends que le sang est une matière épaisse, visqueuse, qui vous colle à la peau et au cœur sans la moindre pitié pour votre âme. J'avais négligé un aspect essentiel de l'entretien de ma tenue et de mon armement, à savoir m'empresser de tout nettoyer aussi méticuleusement que possible, et ce malgré les conseils de mes camarades. Je n'avais absolument pas saisi en quoi une telle obsession de la propreté avait la moindre importance. Ironiquement, ce fut la nature qui se chargea de se rappeler à moi, mais dans les pires conditions qui soient.

Nous avions évacué le corps de l'assassin, et reprit notre route avec une certaine morosité. J'éprouvai une forme bizarre de lassitude, comme si tout ceci n'avait que peu d'intérêt. Non que je ne me sentisse pas impliqué, mais j'avais une sensation étrange m'avertissant de ne surtout pas être trop proche des grands maîtres de cette guerre. De ce fait, renfrogné et songeur, j'eus plusieurs jours de voyage sans conversation ou presque, jusqu'au moment où Seiji vint me reprocher ce mutisme. Nous nous écartâmes du convoi, et j'eus alors l'occasion de tenter de mettre des mots sur des sensations anormales. "Je ne sais pas si nous ne nous fourvoyons pas mon ami", lui dis-je en substance. "C'est difficile de croire que nous agissons pour le mieux, alors que nous tuons, purement et simplement". Le samouraï me jaugea, et contrairement à ma crainte, il ne se renfrogna pas et me répondit d'une seule tirade qui me laissa coi sur le chemin. "Mon ami, si tu crois que j'ai attaché mon sort à celui de ce daimyo pour une question d'honneur, c'est que tu n'as pas saisi mon but. Lui ou un autre, nul doute qu'il est tout aussi tyrannique, tout aussi veule et dangereux que les autres. La seule différence est que je lui suis redevable, et que je m'acquitte de cette dette par mon arme. Ne perds pas non plus de vue qu'ici, la loi est à celui qui dispose des juges, et que la justice est une convention malléable entre les doigts des politiciens. Alors, agis en conséquence. Je veux faire payer à ceux qui m'ont trahi, et il s'avère qu'ils soutiennent l'autre camp. Toi, à toi de choisir si tu poursuis la justice, ou si tu accompagnes ma vengeance. Dans un cas comme dans l'autre, tu te trompes peut-être de cause… je ne saurais te le dire, c'est à toi, et à toi seul d'en décider". Une fois ces mots lâchés, il donna un coup de talon à son cheval, et rejoignit l'avant de la troupe.

Alors mon ami, lui aussi, n'arborait sa présence que par pure obligation? Qu'en était-il des autres? Etaient-ils déterminés à vaincre, ou bien faisaient-ils mine de participer par pure obligation? Dans un monde d'apparences qu'est celui de la cour d'un chef, dans une philosophie de devoir, difficile de savoir qui était sincère ou bien tenu par une servitude. Pour ma part, j'en étais quitte d'une réponse cinglante mais on ne peut plus exacte: je devais m'attacher à défendre une cause, car il n'y avait plus de neutralité. J'avais tué pour un étendard, et seule la victoire m'épargnerait le sort des vaincus.
J'en étais là de mes réflexions quand j'entendis un son étrange venant de la droite du chemin. En avançant, ce bruit se fit cacophonie, un mélange strident semblant être créé par des centaines d'oiseaux surexcités. Pourtant, par-delà le talus herbeux, je ne pus rien apercevoir, et il me fallut remonter à hauteur de mes camarades pour les avertir. D'un cri, on fit stopper le mouvement, et des éclaireurs eurent pour mission de passer la crête pour s'informer du pourquoi de ce bruit. Ils revinrent, et tous arboraient une mine livide, visiblement écoeurés par un spectacle inattendu. Tous les officiers et moi-même mirent pieds à terre, et les rejoignirent pour comprendre de quoi il en retournait. J'eus un peu de peine à gravir ce surplomb d'herbe, puis finalement je pus poser mon regard sur une plaine presque nue, aux rares touffes jaunies. Je crus d'abord ne rien voir, comme si nos éclaireurs avaient croisé un fantôme. Malheureusement, cela ne dura pas du tout…

J'eus un haut le cœur quand mon nez fut étrillé par une piqûre acide, amère et tenace. Je reconnus immédiatement quelque-chose que je connaissais bien, à savoir le parfum du sang versé. Là, il n'était pas frais, il n'avait plus cette onctuosité si caractéristique d'une mort récente. Non, là, ce fut littéralement un mélange entre puanteur fétide de pourriture, et l'âpreté d'un fruit qui aurait fermenté au sol. Je faillis vomir, et ce n'est qu'au prix de longs efforts que je pus me contenir, et enfin identifier d'où provenait cette horreur. Là, sous nos yeux, je pus distinguer une sorte de fosse, un trou creusé en plein milieu, avec en son sein des corps alignés, et souvent étêtés. Les mouches, nombreuses, sales, vermine bourdonnante, avaient couvert les corps, d'où mon incompréhension initiale. De plaine, il s'agissait en fait des restes carbonisés d'un village de paysans, et tout ce qui avait été en vie avait fini dans le trou. Hommes, femmes, enfants, vieillards, animaux, on avait jeté en vrac les corps dedans, sans même daigner les recouvrir. Ce n'était pas une sépulture, c'était un avertissement pour les autres villages alentours.
Le maître d'armes fit immédiatement reboucher le trou, et nos hommes eurent toutes les peines du monde à œuvrer pour en finir avec cette vision de cauchemar. Seiji ne dit mot de la journée, pas plus qu'il ne mangea. Je vis ses traits contractés, mais surtout la pression de ses doigts sur le manche de son sabre. Je pense qu'il eut toutes les peines du monde à contenir sa fureur, et qu'il dût, au prix d'efforts monstrueux, se refuser à pourchasser les barbares qui s'étaient permis un tel acte. Lentement, on vit disparaître les têtes séparées, ainsi que ces regards évidés des pupilles dévorées par les insectes. Lentement, je pus ressentir un apaisement de ne plus être épié par ces victimes qui me disaient en silence "Pourquoi tout ceci? Pourquoi mourir?". Je fis comme Seiji ce jour-là. Je ne pus que jeûner, et m'interroger sur le sens profond d'un tel massacre… Et je n'en vis aucun, si ce n'est la nécessité morale de faire peur à l'ennemi, et de contenir les éventuelles rébellions paysannes; Mais, à mes yeux, cela n'avait aucun sens.

Au petit jour, on fit prononcer quelques prières, purifier la fosse commune, et nous reprîmes notre chemin. Dès que je fus en selle, Seiji s'approcha de moi et me murmura "Tu devrais laver cette armure". Je le fixai, incrédule, ne comprenant pas le sens de sa remarque. Ensuite, il s'éloigna. A l'heure de la pause, il refit la même remarque, puis me lança enfin "Si tu tiens à sentir comme ces morts, alors reste ainsi… Mais pour moi, sentir la mort n'apporte rien si ce n'est la mort elle-même". Je sentis mes manches, mes avant-bras, et je compris alors quelque-chose de terrifiant et de triste: je m'étais habitué à cette puanteur. Je m'étais accommodé de l'odeur du sang séché, de cette senteur infecte, et au fond, j'avais laissé ces traces comme des souvenirs de mes victimes. J'avais tué, et chacun des morts avait sa trace sur mon armure, sur ma peau, en moi et sur moi. Je m'étais donc révélé tout aussi cruel et insensible au sort des autres que l'était le chien errant dévorant les restes puants d'un relief de repas abandonné.
J'avais la peau et le cœur sale, l'âme souillée et cette armure portait des taches indélébiles, celles des cœurs ayant cessés de battre, des coulures venant se figer sur le vernis soigné de ma tenue. Dès que je compris la remarque, je demandai à trouver un puits, une rivière, n'importe quoi pourvu que je puisse me laver aussi rapidement que possible. Un éclaireur me signifia qu'il y avait en avant de la route un cours d'eau assez paisible qui ferait l'affaire. Je me mis immédiatement en selle, et Seiji, ainsi que deux soldats m'emboîtèrent le pas

Je suis resté assis dans l'eau pendant un long moment. Malgré le froid, malgré le fait que je grelottais et que mes doigts bleuissaient, je ne voulais pas me redresser. Je sentais l'eau glisser, se faufiler, lécher l'armure, ma chair, mes cheveux, je n'avais pas l'impression d'être propre. Seiji pénétra dans l'eau, et me tira lentement de mon assise. Il me fit m'asseoir sur la berge et me tendit des lés de tissu pour me sécher. Ensuite, il s'assit à côté de moi tandis que je tremblais et bredouillais n'importe quoi. J'avais perdu l'esprit, ou bien j'étais perdu dans cette folie qu'est la guerre. "Ne crois jamais que l'eau lavera ton âme, mais crois bien que laver ton armure t'évitera de sentir la salissure de ton cœur. Sois propre au combat, pour que tu puisses partir sans avoir eu la honte de puer la mort des autres". Ensuite, il me tapa sur l'épaule, m'aida à me remettre en selle, et fit embarquer les autres morceaux de mon armure.
Je mis de nombreux jours à me décider à remettre les pièces pourtant propres de mon équipement. Dès que j'en approchais les doigts, j'avais la sensation de me brûler les extrémités, comme si la colère de mes victimes venait me dévorer la peau. C'est le maître d'armes qui me fit comprendre qu'il me fallait passer outre. "Tu tues, tu peux être tué. C'est le principe de la guerre, de la vie. Et porter une armure, c'est essayer de survivre. Ce n'est pas l'armure qui est propre ou sale, c'est son porteur qui est propre ou sale à l'intérieur. A toi de choisir". Et, lentement, j'ai choisi, j'ai remis l'équipement, soigneusement, sentencieusement, comme un moine prenant soin de bénir chaque morceau de sa tenue durant un rituel très particulier. Je devais continuer ma route, et ma salissure intérieure n'était ni pire ni moindre que celle des autres que j'affronterais encore sur le champ de bataille. La seule différence serait alors de savoir qui a la "meilleure cause", et qui vaincra.