31 mai 2018

Battage médiatique

N’attendez pas ici le spectacle sensationnaliste dédié à celles et ceux qui aiment se rincer la rétine à coups de faits divers. Non, là c’est juste une petite réflexion sur le traitement de l’information, et par conséquent sur l’art qu’on les gens de mettre de l’huile sur le feu, à tort ou à raison. Ces derniers jours se sont d’ailleurs révélés édifiants à propos du « Et on met comment en avant une info somme toute ordinaire » pour en faire « c’est le scoop de l’année les mecs, y a de la vue/clics/like à faire sur la toile ! ». Songez donc : un clandestin qui sauve un mouflet sous les regards médusés de la foule inactive ! Alors, le gentil migrant vient donc sauver les femmes et les enfants de France mes amis, soyez en assurés, les migrants ne sont pas les barbares violeurs parasites voleurs décrits par les xénophobes !

Dites, ça ne fait pas un peu trop gros comme pilule à avaler là ? Non que je sois cynique et présuppose que ce battage médiatique commence plus à tenir de la propagande que de l’événement pris sur le vif, mais il me semble qu’il y a tout de même quelques soucis à prendre en compte dans ce qui fait suite à ce sauvetage. Alors, je vois déjà les « humanistes » (ou plutôt les crétins qui se proclament comme tels sans se préoccuper des conséquences de leurs choix) me bassiner en me lançant que je suis raciste, trop suspicieux voire paranoïaque, et qu’en plus c’est méchant de se méfier de la sorte. Non mesdames et messieurs, ce qui va suivre n’est en rien lié à du racisme ou à une quelconque méfiance vis-à-vis de la différence ou de l’étranger. Non, ce qui m’interpelle et me fait me gratter la tempe avec circonspection, c’est bien les décisions politiques et le flux incessant d’informations dédiées à ce fait divers.

Commençons simple. Est-on tellement en manque de courage et d’héroïsme pour aller saturer les écrans et les ondes concernant ce sauvetage ? A-t-on besoin de marteler en permanence qu’un clandestin (donc situation précaire et risquée) a mis sa propre vie en péril pour sauver un gosse pendu à un balcon ? Je rappelle que de tels incidents ne sont pas aussi rares qu’on veut le penser, et que les pompiers, par exemple, font des milliers d’interventions par an, et que personne ne leur donne une seconde ou même un reportage. Curieuse démarche… à moins de considérer que la nationalité/origine ethnique est un critère pour mériter, ou non, un focus médiatique de cette importance. Alors quoi ? L’héroïsme ordinaire du flic qui sauve une femme battue, le courage ordinaire du pompier qui va sauver un gosse dans les flammes, ça n’est pas assez photogénique ? Reconnaissez tout de même qu’il y a un vrai problème à régler là… A moins que la démarche soit intéressée, et que le but est donc de faire admettre à la foule méfiante des citoyens qu’un migrant n’est pas un ogre de foire, que sa couleur de peau et/ou sa religion ne font pas de lui une menace mais plutôt une richesse. Déjà, rien qu’en s’interrogeant sur ce constat, on est bien dans une phase de propagande, bien au-delà d’une simple couverture de fait divers, non ?

Et là, le martèlement se poursuit. Le gosse est en sécurité, et on relance régulièrement le spectateur en annonçant pourquoi cela s’est produit, que le père est un monstre indigne placé en garde à vue pour son attitude irresponsable. Jusqu’ici, allez admettons, il faut bien nourrir un peu la polémique et stimuler la curiosité. C’est ensuite que ça s’emballe. Qu’est-ce qui a pris le président Macron d’inviter ce jeune homme ? Pourquoi un président aurait à faire venir ainsi une personne héroïque, si ce n’est pour récupérer l’aura ponctuelle du plus tout à fait anonyme ? Il y a comme un souci… Et puis, quid des précédents, comme pour le président Hollande avec Léonarda ? ça ne vous rappelle pas ? L’humiliation du chantage de la jeune fille, la médiatisation à outrance de l’évènement, tout ceci pour rien ou presque ? Sérieusement, monsieur le président, vous auriez été avisé de vous contenter d’une lettre quelconque, ou bien éventuellement de l’intervention d’un chargé de communication, mais certainement pas de pousser le cirque médiatique jusqu’à ce point ! Tels les empereurs romains qui entraient dans l’arène pour rappeler au peuple qu’ils étaient « les maîtres », on a donc un président qui se fait fort d’être « au plus près des courageux du quotidien ». Si ça, ce n’est pas maltraiter les autres héros comme celles et ceux qui s’engagent quotidiennement pour nous protéger, nous soigner et finalement nous sauver de nous-mêmes.

Le troisième acte, pas moins nauséeux, a été l’intervention de la mairesse de Paris par un « J’appuierai la régularisation du jeune homme ». Là, je dis clairement non. Non que je sois contre sa régularisation en guise de récompense pour son acte de courage, mais un non catégorique sans un traitement équitable de sa situation. Je ne vois pas de raison d’appliquer un régime de faveur, sous peine de traiter les autres demandeurs d’asile de manière parfaitement inéquitable. Est-ce qu’on a une idée des antécédents du bonhomme ? A-t-il eu des problèmes avec la loi en France ? Ce sont des questions vitales qu’il ne faut absolument pas exclure de la question. Alors, oui pourquoi ne pas lui accorder l’asile à la seule condition qu’il ne soit pas un criminel ! Je ne dis naturellement pas qu’il l’a été de quelque manière que ce soit. Je dis uniquement qu’il ne faut pas créer une situation de passe-droit dangereuse et forcément incomprise… voire instrumentalisé conte le demandeur. C’est contre-productif que de jouer l’exception face à la norme.

Tout comme au théâtre, nous avons un quatrième acte, à savoir l’interrogation face à l’événement. On a là toutes les théories possibles : une mise en scène sordide, un rebond médiatique démesuré et hors de propos, des critiques acerbes vis-à-vis des migrants, le racisme qui est remis au goût du jour pour critiquer le fait (je cite ne me pinçant le nez tant le propos sent mauvais) « Un noir immigré clandestin musulman fuyant un pays pas en guerre, y a quoi de héroïque ? Qu’il fasse le héros funambule au Mali, pas en France ». Hé oui, et tenter de faire taire ces voix dissonantes c’est donner une tribune idéale pour stimuler l’idée d’une censure des idées en contradiction avec la ligne politique de l’état. Pour ma part, je ne remets ni l’acte ni même le courage du personnage, mais je doute qu’on ait été judicieux d’en faire autant autour.

Et là, le dernier acte, le pire, le plus désagréable, pour ne pas dire le plus scandaleux se produit en ce moment même. Le bonhomme va entrer chez les pompiers… Pardon ? Bien que je sois certain qu’il puisse être un excellent membre de cette magnifique profession, j’ai quand même les dents qui grincent à l’idée même qu’on puisse lui redonner un ticket coupe-file face aux candidats qui, eux, vont devoir faire leurs preuves par des tests impitoyables. Tout comme pour son droit d’asile, j’exige qu’il passe les sélections et qu’il soit validé par une hiérarchie non politisée et encore moins partisane. Le « C’est magnifique » lancé sans ironie c’est pour ma part tout aussi scandaleux que la critique « C’est magnifique » jetée avec une pleine caisse d’ironie. Il y a un vrai problème de communication pour l’Elysée, et plus encore pour les médias qui font leurs choux gras sur cet événement.

Non, cet homme n’est pas représentatif de toute l’immigration, pas plus que je suis un exemple représentatif de quelque population que ce soit. Il faut bien garder à l’esprit qu’afficher ainsi un personnage exemplaire en fait une cible facile, et que dans l’esprit des gens il ne sera pas un étendard pour l’intégration, mais plutôt une provocation en disant « tiens lui, on va le mettre en avant, lui faciliter la tâche, là où nous on va avoir des galères sans nom… c’est bien les médias hein ». Le souci de l’exception est qu’elle ne confirme pas la règle, et qu’en l’espèce il n’y a pas de règle. La problématique migratoire ne doit pas être subornée à une telle propagande, sous peine de décrédibiliser toutes les actions tant de l’état que des associations. Omettre tous les problèmes d’intégration, c’est continuer à maintenir des crises sociales (religion, assimilation, scolarité défaillante…), tout comme légitimer les discours radicaux de l’extrême-droite. Dans ces conditions, messieurs les politiques, n’agitez pas un exemple, là où votre politique n’arrive pas à traiter le plus grand nombre. Quid des gens en grande précarité en France ? Quid du mal-logement devenant la norme pour les plus petits salaires ? Quid du racket des marchands de sommeil ? Quid des écoles débordées par des populations ne parlant très peu voire pas du tout la langue ? Il s’agit là d’un débat autrement plus vital pour l’avenir du pays que d’afficher X ou Y comme représentant significatif d’une migration économique (et non politique pour le coup).

N’allez pas me dire que je place la chose de manière raciste. Ca n’est réellement pas la question. La question économique n’est pas innocente, parce que c’est elle qui sert de déterminant pour fuir ou non une nation. On a parlé des migrations syriennes suite à la guerre. J’entends bien… mais parmi eux, combien de réfugiés économiques ? Combien se disent syriens pour avoir un peu de compassion de la part des citoyens ? Ceux qui fuient la misère ne le font pas de gaité de cœur. Ce qui me dérange, c’est que les nations « riches » n’agissent pas de tout leur poids pour pousser au développement les pays pauvres, mais au contraire agissent quotidiennement en seigneur face à des vassaux ! Regardons-nous en face : nous créons l’immigration économique, parce que nous sommes gras, que nous affichons notre tyrannie culturelle, puis ensuite nous piétinons les plus faibles en leur imposant des salaires ridicules et des conditions de travail inhumaines… tout ça pour finalement repousser le migrant en lui disant « non on ne partage pas le gâteau ». Qui est le parasite ? Celui qui se fringue à vil prix sur le dos des esclaves modernes, ou celui qui fuit ce système pour tomber sur un autre pas moins sale finalement ?

De fait, monsieur Macron, maîtrisez votre communication. N’allez pas au-devant des ennuis en vous affichant de la sorte ! C’est une faute lourde de sens où vous vous êtes présente, involontairement j’espère, en roi adoubant un serf, comme si vous lui donniez une sorte de récompense selon votre gré de grand seigneur généreux et bienveillant.

29 mai 2018

Prends la valise, merde !

Ah les joies du tourisme, les bonheurs intimes de découvrir le monde et de poser ses valises ailleurs que chez soi. Qui n’a pas rêvé d’arpenter les plages vierges d’une île éloignée de tout, de voir un coucher de soleil sur l’Himalaya, ou encore de prendre un bain de minuit dans un océan à l’azur de carte postale ? Aujourd’hui, l’avion, le train, la voiture, tout nous permet d’aller plus loin et surtout plus vite. Fini ce temps « perdu » à se traîner dans une voiture à chevaux, fini le temps supposément honni des voyages maritimes dont le temps variait en fonction du sens du vent. Et pourtant, le touriste, lui, bien qu’il ait accès à plus de choses, qu’il puisse visiter son monde et découvrir, n’évolue pas, voire même régresse de la pire des manières Quoi de plus stupide que le beauf attablé dans un restaurant d’un pays tropical réclamant son steak frites beaujolais ? Quoi de plus désagréable que l’abruti qui soutient que la nourriture locale est dégueulasse, tandis que des gosses font la manche pour pouvoir avoir de quoi manger ?

Le tourisme, c’est comme se balader dans une bibliothèque. On peut s’arrêter au rayon des grands philosophes, ou bien faire le pied de grue dans le rayonnage des romans de gare. Celui qui arpente une ville à l’histoire chargée peut dès lors autant visiter un monument, découvrir une culture, que faire le sport des bars parallèles sans se préoccuper le moins du monde des beautés qui l’entoure. Quel drame que de constater qu’un touriste parvient à vous dire « ah bon, y avait tout ça à voir ? Moi j’ai vu que le bar de l’hôtel, la piscine de l’hôtel, la bouffe de l’hôtel… ». Si l’on y songe, ce pauvre type a donc économisé sur tout pendant un an, pour s’offrir des prestations qu’il aurait pu avoir à dix kilomètres de chez lui. Navrant et même insultant pour les populations locales. Mais, dans le fond, ça n’est que le reflet de celles et ceux qui voient le reste du monde non comme une source d’enrichissement, mais uniquement comme une source de loisirs et d’oisiveté. Le « boy » n’est théoriquement plus d’actualité, mais la femme de ménage de l’hôtel de Cancoon n’est finalement pas si éloignée que ça de la case de l’oncle Tom…

Alors quoi, je hais les touristes ? Non, ce n’est pas le touriste qui m’horripile, parce qu’il n’est jamais simple d’intégrer les us et coutumes du pays qu’on visite. Au demeurant, cela sous-entendrait de s’informer avant de voyager, ne serait-ce que pour ne pas faire d’impair dans le pays hôte. Qui dit s’informer dit s’intéresser, qui dit s’intéresser suppose une démarche intellectuelle préalable. Or, les voyages, on les consomme désormais comme on consomme un plat prétendument asiatique alors que l’usine qui le produit est à deux ou trois pâtés de maison du domicile du consommateur final. C’est l’ironie de la mondialisation : plus on a accès aux choses, moins en fait quelque-chose. Si ce n’était comique de voir un pigeon se trimballer avec son T-shirt « I love NY », cela aurait des aspects finalement tragiques. La comédie et le drame sont deux frères trop proches pour qu’on les dissocie, et quand on a fini de se moquer du comédien, on en vient à le plaindre tant le grotesque s’empare de son existence. Je ne hais donc pas le touriste pour ce qu’il est, car il dépense, finance des pays, maintient une activité économique. Non, celui que je hais, c’est l’imbécile, l’arriéré, le consommateur irrespectueux, celui dont la curiosité s’arrête au prospectus de l’agence de voyage.

Il y a un côté gâchis dans cette frénésie de déplacement. On a créé des compagnies « low cost » pour assouvir et asseoir ce droit à consommer du voyage à outrance. Les gens s’entassent comme du bétail dans des avions aux sièges trop serrés et trop petits, ils se jettent sur la première bonne affaire parce « ouais on veut voir du pays ». Dites, les pigeons, vous avez vu votre propre pays avant d’aller emmerder nos lointains voisins ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas voyager, je dis simplement que, comme pour la nourriture, il faut savoir savourer son voyage. Je trouve insultant de rester dans une ville sans en avoir humé l’air et goûté les saveurs ! Je dis qu’il est cruel de passer devant un musée et de revendiquer « m’en fous c’est pas mon style, je veux voir le stade de foot ». Crétins, abrutis, je n’ai pas d’épithète assez rude et méchant pour décrire mon aversion pour cette engeance prétentieuse.

Alors oui, j’admets volontiers qu’il y a des lieux où c’est la beauté des paysages qui attire, ceci faute d’autre chose. On ne va pas dans certains coins du monde pour y découvrir des livres où des lieux culturels, mais pour autant goûter à la cuisine locale, faire marcher le commerce des petits artisans, ce sont des actes simples, parce que la cuisine est autant culturelle que peut l’être une cathédrale ! C’est quoi cette vision étriquée des choses ? En quoi la bouffe de tel pays est infecte ? Parce qu’elle n’est pas ressemblante à la nôtre ? En ce cas, cessez de trouver avenante une femme au physique d’un autre continent, arrêtez de dire qu’un gosse métisse est vraiment la preuve que le monde se doit d’être un mélange, parce que c’est faux-cul d’une part, et parce que vous êtes dès lors en contradiction avec vous-même. Sous vous êtes ouvert, soit vous êtes fermé (ou bleu comme le dirait… et voilà, je radote !). La curiosité et la tolérance ne sont pas à géométrie variable…

J’ai failli oublier les faux touristes. Par « faux », j’entends ceux qui profitent d’autrui pour voyager, qui se servent des ficelles du système pour vadrouiller à l’œil ou presque. Parmi les « faux » touristes, il y a cet emmerdeur qui pense que voir le monde c’est lever le pouce et compter sur la générosité d’autrui. Le hippie m’emmerde, il me gonfle profondément, parce qu’il dissimule derrière sa fausse pauvreté sa vraie volonté de ne surtout pas faire fondre ses capitaux. Ce petit con (car majoritairement on parle de jeunes adultes rompus à l’art de se faire plaindre et donc assister) aime qu’on le prenne en charge, à la limite qu’on lui offre des clopes voire un café à la prochaine station-service. J’appelle ce gus la tique du routard, l’inutile qui vous squatte la banquette arrière comme le personnage de Coluche qui se plaindra du carrosse qui a pourtant la générosité de le prendre en charge. En un mot : un pourri.
Ce squatter de bagnole a un frère siamois tout particulier, à savoir le voyageur qui vient vous tenir la jambe, parce qu’il profite de l’avion/train/bus pour trouver un psychothérapeute à vil prix. Ce sale con, ce chieur, cet empêcheur de roupiller en rond, je le maudis, je le hais ! Il est là, prétendant s’ennuyer, sans vous demander si lui ne vous ennuie pas naturellement, et vient dès lors chercher une pseudo conversation. Tôt ou tard, la discussion -quand il y en a une- glissera vers son ex qui l’emmerde encore et encore, ses gosses qui sont assis au bout du wagon, le temps qu’il fait, le prix du baril auquel il ne comprend rien, la santé du pape, ou la politique internationale de X ou Y dont il ne parvient même pas à bredouiller correctement le nom. Ceux-là méritent le bâillon, le scotch salvateur sous les naseaux. J’en viendrais même à lui grogner « ta gueule », bien que la bienséance en communauté me l’interdise formellement. Et pire que tout, si j’en arrivais à lui jeter cette demande de silence, on me taxerait d’égoïste, d’asocial aigri, de mauvais voyageurs… Mais vos gueules merde, je prenais le train, pas un billet pour devenir le confesseur d’un imbécile en manque d’oreille à gaver !

Suis-je un mauvais touriste ? Assurément. Je n’ai aucune envie de voyage organisé, de bétaillères à crétins arpentant des chemins touristiques déjà vus mille fois, pas plus que je ne désire me taper un ersatz de repas local revu et corrigé par tricatel ou toute autre chaîne d’hôtellerie spécialisée en escroquerie culinaire. Laissez-moi mon temps de vivre, de me faire une grillade dans un stand, de sentir l’odeur du marché du coin, d’être un passant, un quidam à qui on n’ira pas dire « t’es un gros con de touriste toi ». La carte postale ne vaut rien, rien ne vaut le souvenir, l’image intérieure, le moment partagé… D’ailleurs, cette ère technologique du mitraillage photographique a un côté ironique : plus le touriste voit du pays, moins il voit les pays puisqu’il ne le voit plus qu’à travers l’écran de son téléphone/appareil photo. Douce ironie ! Comme quoi, il y a une justice…

28 mai 2018

Relancez la pellicule les gars, ça tourne à nouveau!

Ça y est, j’ai trouvé un peu de temps pour reprendre la plume. Curieusement, la fin du printemps se fait propice à l’écriture, parce que le calendrier de mai est tout particulièrement creusé par les fissures des jours fériés et des « ponts » que s’emploient à prendre les salariés de France. Alors, forcément, qui dit absences dit une légère baisse de l’activité, ce qui pour une fois ne m’est pas désagréable. De fait donc, je reprends ma plume pour m’amuser, m’offusquer et même me moquer de ce monde qui est tant le mien que le vôtre, au grand dam de mes détracteurs, et, je l’espère, le plus grand plaisir de mon (mes ? Vous êtes combien à lire mes élucubrations ?) lecteur(s) (et lectrices j’espère, point de sexisme ici).

Donc, j’ai un triste constat à faire. Non, je n’ai pas « célébré » les trente ans de la disparition de Pierre Desproges. On ne célèbre pas les dates de décès, si ce n’est celles des despotes ou autres bourreaux dont l’Histoire est constellée. On n’oublie pas un monstre ou un despote, alors qu’on arrive fort bien à oublier les grandes âmes, nombre de grands artistes, et le génie individuel finit relégué aux pages obscures d’une encyclopédie fermée, garée sur l’étagère poussiéreuse d’une bibliothèque où, semble-t-il, de moins en moins de personnes daignent aller traîner ses guêtres. Et là, en feuilletant cette littérature passablement élimée, on peut trouver tout un tas d’auteurs, peintres, caricaturistes, fabulistes dont l’existence même paraît désormais comme « Ah bon ? C’est lui qui a gribouillé ce truc ? ». Hé oui Maître Desproges, vous n’êtes pas encore remisé parmi les « Ah, c’est lui qui a dit cette connerie », mais plus dans les « Ah… c’est lui qui a eu le cran de dire ça… ». Le culot caractérisait sa prose, le plaisir d’agacer les consciences faisait le sel même de ses diatribes, ce qui en fait maintenant un écrivain à manipuler avec précaution. Ah, la bonne conscience collective qui refuse qu’on puisse rire de tout, et surtout d’elle-même ! Elle a tant et tant censurée les artistes qu’elle est maintenant le tout premier rempart à renverser avant même d’envisager l’étape médiatique. De là, célébrer une disparition qui à chaque année se voit de moins en moins être rappelée pour rétablir le souvenir d’un grand penseur, c’est donc fêter qu’on finisse, tôt ou tard par oublier le personnage indispensable à ma culture personnelle… ce que je me refuse obstinément. Je lutte donc pour sa mémoire en rabâchant que j’aime cette plume au présent, en espérant que je pourrai apprécier, au futur, qu’il y ait encore des gens pour encenser ces écrivains aussi subversifs qu’amoureux de l’homme minuscule face à la bêtise Humaine majuscule.

D’ailleurs, Maître Desproges, j’aurais jubilé à l’idée que vous puissiez scrute notre quotidien à travers votre monsieur Cyclopède acide. Tenez, vous auriez sûrement émis un rire amical attendri à l’annonce de la mort de Pierre Bellemare. La disparition d’un tel homme, une telle image de la télévision vous aurait poussé à en chroniquer le vide laissé, en suggérant sûrement que le téléachat a perdu son père et son grand chantre, que le blanchi de la boite crânienne a été une icône vivante du grand spectacle télévisuel, et qu’au surplus il sa su imposer une présence débonnaire incitant à la tendresse et à la curiosité. Le grand-père narrant le sordide des affaires criminelles sur le ton du conteur pour marmots fascinés, c’est tout de même marquant, non ? Alors, forcément, le maître Desproges aurait poussé une petite ironie sur le jeunisme du petit écran, sur la mort des dinosaures en attendant, non sans une certaine impatience, la disparition d’un Bouvard qui se fait « enfin moins omniprésent, depuis le temps que je disais que les courts sur patte n’ont que faire à la télévision. La radio a l’avantage de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité… tant qu’on sait articuler ».

Alors, à la suite de cet épitaphe aussi tendre que mordant, Pierre (oui je vous appelle Pierre, parce que j’ai une énorme tendresse pour vous et vos mots) aurait étrillé la manie qu’on les gens à tout enregistrer, photographier, depuis le souvenir anodin d’un anniversaire, en passant par la revue des dernières vacances prédigérées dans un club fermé sur un territoire pauvre « où on n’a pas vu un seul affamé, les médias disent de la merde. Notre hôtel bunker était génial, même si on n’a bouffé que des steaks frites, la bouffe locale étant dégueulasse », pour terminer sur « Tiens, j’ai filmé un type qui s’est vautré par la fenêtre… quelle pitié ! Ne pas savoir tenir debout en équilibre sur une rambarde polie et détrempée. Les gens manquent vraiment de sens commun ». Alors, pour rebondir sur cette idée de l’omniprésence narcissique du cliché et de l’appareil caméra en poche, notre Desproges se serait attaqué à cette foule qui s’est amassée sous un balcon pour filmer un gosse pendu à la barrière, et sauvé in-extremis par un clandestin prenant son courage à deux mains pour aller récupérer le mouflet maladroit. N’est-ce pas là une vraie maladie que de « vouloir préserver le souvenir d’un incident marquant, tout ne prenant évidemment pas la peine de tenter soi-même d’être acteur et non spectateur dudit évènement ? ». Maître Desproges, sur sa station de radio perché, aurait serré entre ses dents le fromage coulant de la morale puante. Il aurait certainement traqué la ménagère ébahie par le courage du sauveur en lui disant « ma bonne dame, qu’il m’est plus marquant qu’un seul parmi des dizaines s’est bougé pour agir », brisé les reins aux spectateurs en leur demandant « vous êtes donc d’excellents cinéastes. Dites, pensez à vous inscrire à Deauville, ils raffolent des bouffeurs de pellicules pédants et obsessionnels », pour terminer sur les médias en grognant sur « quel besoin de diffuser cela en boucle ? Pour le seul plaisir de boucher les trous béants de la programmation, trous laissés par la mort de vos émissions nauséabondes traitant avec condescendance la foule abêtie des ménagères sans espoir pour leur prouver qu’il y a pire qu’elles ? »

Quelle douleur, quelle frustration singulière que de se sentir désespéré par l’Homme parce qu’il n’a d’yeux que pour lui-même. Tenez, je me demande ce qu’ont fait ces photographes de non-presse de leurs clichés du sauvetage. Comme il n’y a plus besoin de développer LA photo digne du Pulitzer, qu’on n’a plus recours à l’album cartonné parce que la tablette/écran/télé/ordinateur fait le boulot sans encombrer les étagères, et parce qu’on n’a rien d’autre à faire que d’engranger des milliers de clichés que personne ne regardera plus jamais… Ont-ils donc glissés ces photos « héroïques » dans leurs propres albums personnels, ceci comme pour dire « j’y étais ». Triste époque où un souvenir d’un Berlin réunifié de 89 avait une valeur sur la pellicule… aujourd’hui c’est la photo de la dernière gourde de la semaine prise en position scabreuse qui fait l’actu. Saint Pierre, priez pour nous… ou pas, vous l’athée, l’amoureux du sens et non du divin, épris d’humanisme là où d’autres idolâtrent des icônes.

Et puis, au fond, la matière de l’humoriste est forcément la bêtise, la folie, l’infâme. L’ironie n’a de sens que lorsqu’elle est forgée avec le métal des armes de guerre, l’humour se construit avec les briques d’une société nécessairement malade d’elle-même, et le chroniqueur à l’œil affûté ne peut que se délecter que son monde est tel qu’il est… « Sinon je ne pourrais plus faire de calembour, et ce à pas moins de deux cents balles la blague. Faut pas déconner, l’humoriste doit vivre de son art, sous peine de ne plus avoir de sens ! ».

Merci Pierre, merci de m’avoir enseigné le sens aigu de l’apostrophe, du délié et de la virgule assassine. Merci d’avoir étendu mon vocabulaire au-delà des trois cents mots semblant être une norme, et pardessus tout merci d’avoir éveillé mon esprit à la verve et la vivacité d’esprit. Sans vous, j’en serais resté cantonné à « Prends ce qu’on te donne, ça fera le boulot » à « Surtout n’arrête jamais d’élucubrer, sous peine de perdre ton âme l’ami ». Je ne suis pas photographe de mon monde, j’ai en horreur de saisir l’instant par le polaroïd trop prompt à jaunir. D’ailleurs, dit-on encore polaroïd, ou bien a-t-on remplacé cette marque par selfie ou une autre atrocité technologique du même acabit ? Je me fais vieux Maître Desproges, je tance le jeune de mon importante inexpérience, je me prends à être réactionnaire là où, fut un temps pas si éloigné, je me révoltais autant extérieurement qu’intérieurement. De mon esprit bunker bétonné à coups de murs moraux et hérissés des barbelés tressés par mes opinions, que d’assauts verbaux j’ai pu lancer contre la bêtise humaine. Désormais, je me ferai à nouveau une machine d’assaut, déterminée, roulant sans vergogne sur nos travers, piétinant de mes bottes ferrées par l’humour notre tendance à tout dramatiser et tout mettre en scène.

Le barbare verbal est de retour. Le vandale s’apprête à brûler Sodome et Gomorrhe. Le viking à la blondeur blanchissante a affûté ses haches. Soyez prêts !