28 mai 2018

Relancez la pellicule les gars, ça tourne à nouveau!

Ça y est, j’ai trouvé un peu de temps pour reprendre la plume. Curieusement, la fin du printemps se fait propice à l’écriture, parce que le calendrier de mai est tout particulièrement creusé par les fissures des jours fériés et des « ponts » que s’emploient à prendre les salariés de France. Alors, forcément, qui dit absences dit une légère baisse de l’activité, ce qui pour une fois ne m’est pas désagréable. De fait donc, je reprends ma plume pour m’amuser, m’offusquer et même me moquer de ce monde qui est tant le mien que le vôtre, au grand dam de mes détracteurs, et, je l’espère, le plus grand plaisir de mon (mes ? Vous êtes combien à lire mes élucubrations ?) lecteur(s) (et lectrices j’espère, point de sexisme ici).

Donc, j’ai un triste constat à faire. Non, je n’ai pas « célébré » les trente ans de la disparition de Pierre Desproges. On ne célèbre pas les dates de décès, si ce n’est celles des despotes ou autres bourreaux dont l’Histoire est constellée. On n’oublie pas un monstre ou un despote, alors qu’on arrive fort bien à oublier les grandes âmes, nombre de grands artistes, et le génie individuel finit relégué aux pages obscures d’une encyclopédie fermée, garée sur l’étagère poussiéreuse d’une bibliothèque où, semble-t-il, de moins en moins de personnes daignent aller traîner ses guêtres. Et là, en feuilletant cette littérature passablement élimée, on peut trouver tout un tas d’auteurs, peintres, caricaturistes, fabulistes dont l’existence même paraît désormais comme « Ah bon ? C’est lui qui a gribouillé ce truc ? ». Hé oui Maître Desproges, vous n’êtes pas encore remisé parmi les « Ah, c’est lui qui a dit cette connerie », mais plus dans les « Ah… c’est lui qui a eu le cran de dire ça… ». Le culot caractérisait sa prose, le plaisir d’agacer les consciences faisait le sel même de ses diatribes, ce qui en fait maintenant un écrivain à manipuler avec précaution. Ah, la bonne conscience collective qui refuse qu’on puisse rire de tout, et surtout d’elle-même ! Elle a tant et tant censurée les artistes qu’elle est maintenant le tout premier rempart à renverser avant même d’envisager l’étape médiatique. De là, célébrer une disparition qui à chaque année se voit de moins en moins être rappelée pour rétablir le souvenir d’un grand penseur, c’est donc fêter qu’on finisse, tôt ou tard par oublier le personnage indispensable à ma culture personnelle… ce que je me refuse obstinément. Je lutte donc pour sa mémoire en rabâchant que j’aime cette plume au présent, en espérant que je pourrai apprécier, au futur, qu’il y ait encore des gens pour encenser ces écrivains aussi subversifs qu’amoureux de l’homme minuscule face à la bêtise Humaine majuscule.

D’ailleurs, Maître Desproges, j’aurais jubilé à l’idée que vous puissiez scrute notre quotidien à travers votre monsieur Cyclopède acide. Tenez, vous auriez sûrement émis un rire amical attendri à l’annonce de la mort de Pierre Bellemare. La disparition d’un tel homme, une telle image de la télévision vous aurait poussé à en chroniquer le vide laissé, en suggérant sûrement que le téléachat a perdu son père et son grand chantre, que le blanchi de la boite crânienne a été une icône vivante du grand spectacle télévisuel, et qu’au surplus il sa su imposer une présence débonnaire incitant à la tendresse et à la curiosité. Le grand-père narrant le sordide des affaires criminelles sur le ton du conteur pour marmots fascinés, c’est tout de même marquant, non ? Alors, forcément, le maître Desproges aurait poussé une petite ironie sur le jeunisme du petit écran, sur la mort des dinosaures en attendant, non sans une certaine impatience, la disparition d’un Bouvard qui se fait « enfin moins omniprésent, depuis le temps que je disais que les courts sur patte n’ont que faire à la télévision. La radio a l’avantage de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité… tant qu’on sait articuler ».

Alors, à la suite de cet épitaphe aussi tendre que mordant, Pierre (oui je vous appelle Pierre, parce que j’ai une énorme tendresse pour vous et vos mots) aurait étrillé la manie qu’on les gens à tout enregistrer, photographier, depuis le souvenir anodin d’un anniversaire, en passant par la revue des dernières vacances prédigérées dans un club fermé sur un territoire pauvre « où on n’a pas vu un seul affamé, les médias disent de la merde. Notre hôtel bunker était génial, même si on n’a bouffé que des steaks frites, la bouffe locale étant dégueulasse », pour terminer sur « Tiens, j’ai filmé un type qui s’est vautré par la fenêtre… quelle pitié ! Ne pas savoir tenir debout en équilibre sur une rambarde polie et détrempée. Les gens manquent vraiment de sens commun ». Alors, pour rebondir sur cette idée de l’omniprésence narcissique du cliché et de l’appareil caméra en poche, notre Desproges se serait attaqué à cette foule qui s’est amassée sous un balcon pour filmer un gosse pendu à la barrière, et sauvé in-extremis par un clandestin prenant son courage à deux mains pour aller récupérer le mouflet maladroit. N’est-ce pas là une vraie maladie que de « vouloir préserver le souvenir d’un incident marquant, tout ne prenant évidemment pas la peine de tenter soi-même d’être acteur et non spectateur dudit évènement ? ». Maître Desproges, sur sa station de radio perché, aurait serré entre ses dents le fromage coulant de la morale puante. Il aurait certainement traqué la ménagère ébahie par le courage du sauveur en lui disant « ma bonne dame, qu’il m’est plus marquant qu’un seul parmi des dizaines s’est bougé pour agir », brisé les reins aux spectateurs en leur demandant « vous êtes donc d’excellents cinéastes. Dites, pensez à vous inscrire à Deauville, ils raffolent des bouffeurs de pellicules pédants et obsessionnels », pour terminer sur les médias en grognant sur « quel besoin de diffuser cela en boucle ? Pour le seul plaisir de boucher les trous béants de la programmation, trous laissés par la mort de vos émissions nauséabondes traitant avec condescendance la foule abêtie des ménagères sans espoir pour leur prouver qu’il y a pire qu’elles ? »

Quelle douleur, quelle frustration singulière que de se sentir désespéré par l’Homme parce qu’il n’a d’yeux que pour lui-même. Tenez, je me demande ce qu’ont fait ces photographes de non-presse de leurs clichés du sauvetage. Comme il n’y a plus besoin de développer LA photo digne du Pulitzer, qu’on n’a plus recours à l’album cartonné parce que la tablette/écran/télé/ordinateur fait le boulot sans encombrer les étagères, et parce qu’on n’a rien d’autre à faire que d’engranger des milliers de clichés que personne ne regardera plus jamais… Ont-ils donc glissés ces photos « héroïques » dans leurs propres albums personnels, ceci comme pour dire « j’y étais ». Triste époque où un souvenir d’un Berlin réunifié de 89 avait une valeur sur la pellicule… aujourd’hui c’est la photo de la dernière gourde de la semaine prise en position scabreuse qui fait l’actu. Saint Pierre, priez pour nous… ou pas, vous l’athée, l’amoureux du sens et non du divin, épris d’humanisme là où d’autres idolâtrent des icônes.

Et puis, au fond, la matière de l’humoriste est forcément la bêtise, la folie, l’infâme. L’ironie n’a de sens que lorsqu’elle est forgée avec le métal des armes de guerre, l’humour se construit avec les briques d’une société nécessairement malade d’elle-même, et le chroniqueur à l’œil affûté ne peut que se délecter que son monde est tel qu’il est… « Sinon je ne pourrais plus faire de calembour, et ce à pas moins de deux cents balles la blague. Faut pas déconner, l’humoriste doit vivre de son art, sous peine de ne plus avoir de sens ! ».

Merci Pierre, merci de m’avoir enseigné le sens aigu de l’apostrophe, du délié et de la virgule assassine. Merci d’avoir étendu mon vocabulaire au-delà des trois cents mots semblant être une norme, et pardessus tout merci d’avoir éveillé mon esprit à la verve et la vivacité d’esprit. Sans vous, j’en serais resté cantonné à « Prends ce qu’on te donne, ça fera le boulot » à « Surtout n’arrête jamais d’élucubrer, sous peine de perdre ton âme l’ami ». Je ne suis pas photographe de mon monde, j’ai en horreur de saisir l’instant par le polaroïd trop prompt à jaunir. D’ailleurs, dit-on encore polaroïd, ou bien a-t-on remplacé cette marque par selfie ou une autre atrocité technologique du même acabit ? Je me fais vieux Maître Desproges, je tance le jeune de mon importante inexpérience, je me prends à être réactionnaire là où, fut un temps pas si éloigné, je me révoltais autant extérieurement qu’intérieurement. De mon esprit bunker bétonné à coups de murs moraux et hérissés des barbelés tressés par mes opinions, que d’assauts verbaux j’ai pu lancer contre la bêtise humaine. Désormais, je me ferai à nouveau une machine d’assaut, déterminée, roulant sans vergogne sur nos travers, piétinant de mes bottes ferrées par l’humour notre tendance à tout dramatiser et tout mettre en scène.

Le barbare verbal est de retour. Le vandale s’apprête à brûler Sodome et Gomorrhe. Le viking à la blondeur blanchissante a affûté ses haches. Soyez prêts !

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