14 décembre 2010

Une vie en bouteille



Les gens aiment à voir les ennuis qu’ont les autres. Voyeurs impénitents, ils n’hésitent pas à scruter les sites tels que « vie de merde », ou encore « Youtube », pour y observer les accidents et autres galères de leur congénères. Pourtant, ils devraient comprendre qu’il s’agit là d’une attitude des plus malsaine, et que rire du malheur d’autrui n’a vraiment rien de réjouissant. Pourtant, dans cet entêtement qu’est celui de l’homme moderne face à son pupitre interactif, nul ne semble offusqué par la situation. Pour ma part, j’ai du mal à rire du malheur de mes semblables, puisque je sais que je vais subir le même sort.

Ca commence toujours mal d’ailleurs. La naissance est forcément brutale, on a le corps empli de choses dont on taira la nature, puis ensuite on vous manipule sans égard, pour finir souvent brisé par la vie et les évènements. Je ne vois pas grand-chose de glorieux là dedans, si ce n’est de tenir correctement son rôle, avec dignité et honnêteté, parce que c’est la seule chose qu’il vous reste au bout du compte. Même si la mémoire devient floue avec le temps, force est de constater qu’on a des relents de mauvais souvenirs à revendre. Et vas-y que je te secoue, que je te tape au cul, que je t’ouvre le crâne par inadvertance, qu’on regrette pour remettre le couvert… ah, si la vie pouvait être autre chose qu’un enchaînement malheureux de douleurs !

Quand j’y songe, d’autres sont plus mal lotis. Moi, je peux me targuer d’avoir supporté l’ivresse de luxe, celle arrosée par le meilleur crû de champagne ; D’autres, plus malheureux, eurent à subir l’humiliante acidité d’un picrate pas même digne de décaper un évier d’hôtel de passe. C’est ainsi, le destin ne se choisit pas, il se subit. Et puis, honnêtement, mieux vaut être envié qu’envier soi-même, non ? Cependant, si, de loin on peut sembler être plus heureux que les autres, il faut quand même voir où sont les inconvénients. Le roi de la Villageoise, lui, va avoir le droit aux ritournelles les plus navrantes des prolétaires imbibés. Moi, j’ai eu le droit aux pires bassesses, aux mensonges éhontés, mais teintées par la classe naturelle d’un langage châtié. Ca, le bourgeois, il aime à baratiner son monde, mais à condition que cela soit couvert par l’auréole du bon esprit. Ainsi, madame peut cocufier monsieur, mais il faut en parler avec élégance et propreté. Chez le prolo, par contre, on va s’engueuler ferme, traiter madame de (passez moi le propos) « Salope ! », pour finir par s’envoyer la vaisselle sur la gueule. Le bobo, lui, ne jettera pas sa porcelaine griffée, il s’enverra des invectives fleuries…. Comme si le mot d’esprit pouvait réduire à néant la connerie humaine !

Enfin bref, derrière ces façades de bonnes manières, j’en ai vu de la connerie en barre. Notez que l’endroit le plus propice pour en entendre s’avère être à proximité des tablées réservées au buffet froid. Là, on discute le bout de gras sur la voisine qui est une morue, mais qu’on appellera avec tendresse « la chiante », on taillera au PDG d’une firme le costume de « mal luné », et le chauffeur bosniaque à l’accent infernal sera classé parmi les « handicapés sociaux ». Ben voyons, messieurs dames, parce que du débile profond, de l’abruti grand teint, ça n’existe pas chez les nantis ! Qu’importe, je songe au plaisir cruel auquel je me suis adonné en les voyant ivres, et se jetant alors les mêmes insultes que ces mêmes prolétaires utilisent. Amusant, bas, méchant… Oui, je confirme, c’est petit et égocentrique, mais ça me fait marrer.

Maintenant, mon sort est scellé. Ces salopards en Gucci et Chanel m’ont fait sauter le bouchon pour s’en coller une bonne couche dans le cornet. Ah, c’est bon le Piper hein ?! Salauds ! Bourrez vous la meule jusqu’à plus soif, histoire que moi, votre bouteille de champagne, je puisse savourer une revanche mesquine. Quand est-ce que madame de la chose va aller faire son petit vomi élégant ? Tiens, les deux larbins se chargent de la traîner jusqu’aux toilettes. Au chiotte la vieille ! Ca y est, je suis vidée de mon essence, on me balance dans la grande poubelle, au milieu des cartons de jus de fruits et des papiers gras des petits fours. M’en fous, je serai recyclée, moi. On me reverra bientôt, et avec un peu de chance, je serai à nouveau là, pour le prochain noël, à me payer la fiole des péteux enrubannés, des blaireaux à cravate, et des maîtresses de maison jamais saoules mais toujours « pompettes ». Connasse : quand tu bois, tu est saoule, comme tout le monde !

Allez, c’est la benne, le compacteur. Salut les plateaux de fruits de mer ? Vous en avez empoisonné un au moins ? Ouais ! Cool ! Bien joué les mecs ! Oh, des boites d’aspirine ! Alors les filles, on a soigné les gueules de bois ? Rendez-vous l’année proch…

« Hé, Norbert, t’as pas entendu un truc causer là ? », demande Julien en pressant le bouton du compacteur de son camion. « Toi mec, t’as trop fait la fête je crois », répond son collègue en sautant sur le marchepied pour faire signe au chauffeur d’avancer à la poubelle suivante.

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