Sous la pluie battante
Nous avions, mon camarade et moi, enfin réussi à nous éloigner des inondations, ceci au prix de nombreuses heures de marche forcée. Epuisés, hagards même, nous aurions volontiers troqué n'importe quelle de nos richesses contre une paillasse et pouvoir nous assoupir. Cependant, avec un temps aussi maussade et menaçant, nous n'avions eu que peu envie de tenter un sommeil en pleine forêt. D'ailleurs, avec la couche de boue créée par les chutes incessantes de pluie, il aurait été impossible de dormir où que ce soit. La nuit, sombre et sans lune, allait bientôt prendre le pas sur le peu de lumière distillée par un soleil effacé du ciel, et je soupçonnais clairement que nous aurions l'obligation de marcher, ceci jusqu'au petit jour. On nous avait parlé d'un relai, d'un temple abandonné, mais sous l'action combinée d'une pluie battante, et d'une étrange brume s'étant levée de la forêt, nous ne vîmes rien de plus que le chemin, et croisé quelques divinités figées dans la pierre.
Seiji, si patient d'habitude, semblait inquiet. Il scrutait la route avec insistance, et à plusieurs reprises sa main s'était posée sur son sabre, puis s'était ravisée dans un haussement d'épaules bien étrange. J'ignorais s'il était soulagé, ou bien dépité de n'avoir pas eu à tirer son arme du fourreau, et cela me sembla inquiétant. Je ne le voyais pas craindre quelque ennemi terrestre que ce soit, mais dans une forêt dense, sur un flanc de colline escarpé, noyé dans une brume aussi surprenante qu'envahissante, quiconque aurait pu craindre l'intervention d'une divinité… Ou d'un démon. Dans tous les cas, je savais mon camarade empli d'un grand respect pour les religions, mais j'ignorais si cette attitude comprenait, ou non, une quelconque peur primaire. Enormément de gens ont peur des Dieux, ils les craignent, et leur attitude est souvent dictée non par la volonté de bien faire, mais plutôt par celle de ne pas être attaqué par un dieu vexé ou blessé par leur attitude. Après mûre réflexion, je me dis alors qu'il n'était bien entendu pas dans la nature de ce samouraï d'avoir une peur aussi basique qu'incohérente avec son caractère.
La pluie ne cessait pas. Je pouvais entendre le ruissellement le long du chemin, et nos pieds battaient le sol dans un clapotis de mauvais augure. Si je n'avais su où nous étions réellement, il ne m'aurait pas fallu faire un grand effort d'imagination pour me croire marchant dans un ruisseau tant mes pieds pénétraient dans la dégringolade aqueuse. Seiji, lui, s'était noué le bas de sa tenue avec des cordelettes, ceci afin de laisser ses mollets nus, et ainsi éviter tant que faire se peut d'embarquer trop d'eau et de boue. Je l'imitai promptement, bien qu'il me semble qu'il fut presque inutile d'agir de la sorte. En effet, j'étais déjà transi de froid, l'eau ayant lestée mes vêtements, et ma peau me laissait la désagréable sensation d'avoir quelque-chose de collé sur moi, avec l'impossibilité de m'en défaire. Cependant, nous ne devions pas nous arrêter, et puis, je n'avais pas de quoi faire un bon feu, ni même d'endroit pour envisager une halte.
Soudain, il y eut comme un craquement, un bruit terrifiant, et surtout un éclair monstrueux de lumière. Nous fûmes littéralement enveloppés par la lueu bleutée, et en quelques instants je réalisai que la foudre s'était abattue sur un arbre non loin de là. Un feu se déclara immédiatement dans le tronc pulvérisé, puis disparut aussitôt. Les débris de l'impact nous cernaient tous les deux, et cet avertissement était plus que clair: il nous fallait quitter, et ce au plus vite, les pentes de cette colline, sous peine de périr soit par le froid, soit par la foudre. Seiji se tourna, et sa main m'invita à hâter le pas, ce que je fis sans rechigner. Je n'ai aucune honte à le dire, je tremblais, tant à cause de cette pluie, qu'à cause de la frayeur de cet incident. J'espérais voir le sommet, j'étais même prêt à courir si cela pouvait nous assurer de survivre à cette épreuve.
Après un temps interminable, sans voir pour autant la fin du périple, Seiji prit un croisement vers la gauche, au lieu de continuer tout droit, vers ce qui me semblait être pourtant une issue! Je lui demandai ce qui pouvait le pousser à bifurquer de la sorte, et me demandai même si mon compagnon n'était pas possédé par un démon. Il me dit alors que nous avions peut-être une chance de trouver le fameux temple dont avaient parlés les autres voyageurs, car ce croisement était le seul que nous avions vu sur la route depuis notre départ. Je ne voulais pas me séparer de mon compagnon, et je dus donc me résoudre à le suivre, et ce malgré mes réticences.
La forêt s'était encore un peu plus resserrée sur nous, et je me crus alors condamné à suivre un dément, ou un possédé. Comment continuer, alors que mes yeux me dictaient de ne plus faire un pas tant l'obscurité m'enserrait dans sa noirceur? Tout à coup, je me heurtai à Seiji qui s'était arrêté de marcher sans crier gare. Ce coup-ci, il tira son arme, et je sentis sa grande tension nerveuse. Il s'était figé dans une attitude indéfinissable, entre une défense assurée, et une capacité d'attaque évidente, et moi, pour ne pas l'encombrer, je fis quelques pas en arrière. Qu'avait-il vu ou ressenti pour qu'il soit ainsi prêt au combat? Je ne pouvais pas voir son visage, mais je suis certain qu'il balayait les alentours des yeux, préparé à voir n'importe qui, ou bien n'importe quoi. D'un coup, je le vis se projeter en avant, sans un cri, juste dans le bruit sourd de ses sandales battant les flaques et la boue. Je ne vis aucun éclair de sa lame, pas plus que je ne pus distinguer ce qu'il venait d'attaquer. Mais ce qui me sembla sûr, c'est que la menace était dorénavant réglée.
Je fis la marche à grandes enjambées jusqu'à mon ami, et là, à ses pieds, je trouvai un moine, ou plutôt un mendiant vêtu d'une tenue de moine sale et répugnante. Il était assis par terre, la face ronde hilare, et les mains posées sur ses cuisses. Seiji ne cessait pas de s'excuser, marmonnant à plusieurs reprises des chapelets d'excuses sincères. Le moine, moins décontenancé que rieur, se redressa et nous salua poliment. Mais que faisait donc un moine perdu au milieu de la forêt, sans lanterne ni même un parapluie? "Vous êtes bien dépourvus de lanterne, vous aussi", rétorqua-t-il avec humour. "Suivez-moi, je vous emmène jusqu'à mon temple". Nous lui emboitâmes le pas, et quelques instants plus tard, nous étions enfin sous un toit, loin du déluge qui redoublait d'intensité. Dans un coin, un maigre feu crépitait, et il ne suffisait évidemment pas pour réchauffer tout le temple. Nous nous réunîmes donc tous les trois près de l'âtre, et je pendis mes vêtements à une ficelle pour espérer en ôter un maximum d'humidité.
"Mais comment avez-vous su pour nous?", dis-je après quelques instants. Le moine rondouillard et chauve me fixa, puis il éclata de rire. "Vous n'êtes pas discret! Entre le bruit de vos pas, et vos discussions à rallonge, n'importe quel forestier vous aurait entendu venir." Seiji hocha la tête, et se mit à discuter de cette étrange capacité consistant à distinguer le bruit de la pluie, et celui des pas dans les flaques. "Question de concentration", lui répondit le religieux. Ils sourirent tous les deux, comme deux complices se connaissant bien. Bien que méfiant à l'égard d'un homme ainsi sorti de nulle part, je ne pus qu'accepter ce refuge, aussi spartiate que délabré. De temple, seules les portes massives et les poutres jadis ornées laissaient entendre une richesse passée. Là, entre les tuiles tombées, les fuites, la poussière, et les immondices abandonnées un peu partout, il n'y avait que peu de doute sur l'absence de dévotion de quiconque pour l'endroit. Je m'en ouvris auprès du moine qui, d'un sourire, balaya mon appréhension. "Je suis un itinérant, tout comme vous à ce que je vois. Et, hélas oui, vous avez raison, on ne préserve plus autant les divinités que jadis. C'est un grand drame". Seiji me signifia du regard de ne pas insister, et de laisser dire le moine que je jugeai un peu excentrique. Pourquoi prétendre être le moine des lieux, tout en étant itinérant? Cela ne manqua pas de me surprendre, ainsi que de m'inquiéter encore un peu plus. Seiji, lui, s'allongea près du foyer, m'invita à en faire autant, puis s'assoupit presque aussitôt les yeux fermés.
Lorsque le déluge daigna laisser la région en paix, et que le soleil put offrir ses premiers rayons, je m'étirai et me levai. Le moine avait disparu, tout comme nombre d'objets qui semblaient lui appartenir. Aussitôt, je me mis à fouiller nerveusement nos affaires afin de vérifier si rien ne manquait. Pas une pièce, pas un objet n'était absent. Je réveillai le rônin, qui, calmement, se redressa et poussa quelques brindilles dans les dernières braises mourantes de l'âtre. "Ce n'était pas plus un moine que nous deux", dit-il en remuant les brindilles. "Je le soupçonnais bien, mais qui était-il alors?". "Un bandit de grand chemin, et fort habile qui plus est", me répondit mon camarade. "Les fantômes et les monstres sont intangibles, tandis que lui, j'ai pu tâter de son aine avec mon sabre. Il a pris peur, et n'a pas quitté son rôle jusqu'à son départ. Il a dû être trop apeuré par mon assaut pour se permettre de tenter de nous dérober quoi que ce soit. Il doit être loin à présent, vu qu'il nous a quitté dès que vous vous êtes assoupi mon ami". Je frémis à l'idée que j'aurais pu être poignardé, ou plus simplement dévalisé pendant la nuit. Seiji sourit, et me lança "Mais cette rencontre me convient fort bien. Il n'était sûrement pas seul, et ses camarades se sont tenus à distance par précaution. Mieux vaut vivre que de tenter un maigre larcin". "Et en quoi cela vous convient-il donc tant?", rétorquai-je toujours un rien inquiet, "il n'y a rien de naturel à courir après la malchance de croiser des bandits!". "Certes non, mais là, c'est eux que je viens rencontrer. J'escomptais qu'ils se montrent tous plus entreprenants, mais, hélas, ils ont un chef plutôt habile et malin. J'espère que je n'ai pas été reconnu". "Ainsi vous les attendiez!" lançai-je furieux et frémissant de terreur. Je me sentis comme un appât, et non plus comme un camarade de voyage.
"Ne vous en faites donc pas," dit-il en s'étirant sur le perron. "Vous aurez tôt fait de comprendre ce qui me pousse à attendre ces gredins de pied ferme, et d'espérer voir ma lame leur prendre leur dernier souffle dans le sang". Il avait eu une intonation d'une fermeté que je ne lui avais encore jamais connu, et son regard avait noirci, à tel point que j'en eus un frisson le long de l'échine. Il ne voulait pas surprendre ces bandits, ils les voulaient morts, sans le moindre doute à fonder là-dessus. Mais qui étaient donc ces voyous pour que le samouraï errant soit si décidé à les massacrer?
Seiji, si patient d'habitude, semblait inquiet. Il scrutait la route avec insistance, et à plusieurs reprises sa main s'était posée sur son sabre, puis s'était ravisée dans un haussement d'épaules bien étrange. J'ignorais s'il était soulagé, ou bien dépité de n'avoir pas eu à tirer son arme du fourreau, et cela me sembla inquiétant. Je ne le voyais pas craindre quelque ennemi terrestre que ce soit, mais dans une forêt dense, sur un flanc de colline escarpé, noyé dans une brume aussi surprenante qu'envahissante, quiconque aurait pu craindre l'intervention d'une divinité… Ou d'un démon. Dans tous les cas, je savais mon camarade empli d'un grand respect pour les religions, mais j'ignorais si cette attitude comprenait, ou non, une quelconque peur primaire. Enormément de gens ont peur des Dieux, ils les craignent, et leur attitude est souvent dictée non par la volonté de bien faire, mais plutôt par celle de ne pas être attaqué par un dieu vexé ou blessé par leur attitude. Après mûre réflexion, je me dis alors qu'il n'était bien entendu pas dans la nature de ce samouraï d'avoir une peur aussi basique qu'incohérente avec son caractère.
La pluie ne cessait pas. Je pouvais entendre le ruissellement le long du chemin, et nos pieds battaient le sol dans un clapotis de mauvais augure. Si je n'avais su où nous étions réellement, il ne m'aurait pas fallu faire un grand effort d'imagination pour me croire marchant dans un ruisseau tant mes pieds pénétraient dans la dégringolade aqueuse. Seiji, lui, s'était noué le bas de sa tenue avec des cordelettes, ceci afin de laisser ses mollets nus, et ainsi éviter tant que faire se peut d'embarquer trop d'eau et de boue. Je l'imitai promptement, bien qu'il me semble qu'il fut presque inutile d'agir de la sorte. En effet, j'étais déjà transi de froid, l'eau ayant lestée mes vêtements, et ma peau me laissait la désagréable sensation d'avoir quelque-chose de collé sur moi, avec l'impossibilité de m'en défaire. Cependant, nous ne devions pas nous arrêter, et puis, je n'avais pas de quoi faire un bon feu, ni même d'endroit pour envisager une halte.
Soudain, il y eut comme un craquement, un bruit terrifiant, et surtout un éclair monstrueux de lumière. Nous fûmes littéralement enveloppés par la lueu bleutée, et en quelques instants je réalisai que la foudre s'était abattue sur un arbre non loin de là. Un feu se déclara immédiatement dans le tronc pulvérisé, puis disparut aussitôt. Les débris de l'impact nous cernaient tous les deux, et cet avertissement était plus que clair: il nous fallait quitter, et ce au plus vite, les pentes de cette colline, sous peine de périr soit par le froid, soit par la foudre. Seiji se tourna, et sa main m'invita à hâter le pas, ce que je fis sans rechigner. Je n'ai aucune honte à le dire, je tremblais, tant à cause de cette pluie, qu'à cause de la frayeur de cet incident. J'espérais voir le sommet, j'étais même prêt à courir si cela pouvait nous assurer de survivre à cette épreuve.
Après un temps interminable, sans voir pour autant la fin du périple, Seiji prit un croisement vers la gauche, au lieu de continuer tout droit, vers ce qui me semblait être pourtant une issue! Je lui demandai ce qui pouvait le pousser à bifurquer de la sorte, et me demandai même si mon compagnon n'était pas possédé par un démon. Il me dit alors que nous avions peut-être une chance de trouver le fameux temple dont avaient parlés les autres voyageurs, car ce croisement était le seul que nous avions vu sur la route depuis notre départ. Je ne voulais pas me séparer de mon compagnon, et je dus donc me résoudre à le suivre, et ce malgré mes réticences.
La forêt s'était encore un peu plus resserrée sur nous, et je me crus alors condamné à suivre un dément, ou un possédé. Comment continuer, alors que mes yeux me dictaient de ne plus faire un pas tant l'obscurité m'enserrait dans sa noirceur? Tout à coup, je me heurtai à Seiji qui s'était arrêté de marcher sans crier gare. Ce coup-ci, il tira son arme, et je sentis sa grande tension nerveuse. Il s'était figé dans une attitude indéfinissable, entre une défense assurée, et une capacité d'attaque évidente, et moi, pour ne pas l'encombrer, je fis quelques pas en arrière. Qu'avait-il vu ou ressenti pour qu'il soit ainsi prêt au combat? Je ne pouvais pas voir son visage, mais je suis certain qu'il balayait les alentours des yeux, préparé à voir n'importe qui, ou bien n'importe quoi. D'un coup, je le vis se projeter en avant, sans un cri, juste dans le bruit sourd de ses sandales battant les flaques et la boue. Je ne vis aucun éclair de sa lame, pas plus que je ne pus distinguer ce qu'il venait d'attaquer. Mais ce qui me sembla sûr, c'est que la menace était dorénavant réglée.
Je fis la marche à grandes enjambées jusqu'à mon ami, et là, à ses pieds, je trouvai un moine, ou plutôt un mendiant vêtu d'une tenue de moine sale et répugnante. Il était assis par terre, la face ronde hilare, et les mains posées sur ses cuisses. Seiji ne cessait pas de s'excuser, marmonnant à plusieurs reprises des chapelets d'excuses sincères. Le moine, moins décontenancé que rieur, se redressa et nous salua poliment. Mais que faisait donc un moine perdu au milieu de la forêt, sans lanterne ni même un parapluie? "Vous êtes bien dépourvus de lanterne, vous aussi", rétorqua-t-il avec humour. "Suivez-moi, je vous emmène jusqu'à mon temple". Nous lui emboitâmes le pas, et quelques instants plus tard, nous étions enfin sous un toit, loin du déluge qui redoublait d'intensité. Dans un coin, un maigre feu crépitait, et il ne suffisait évidemment pas pour réchauffer tout le temple. Nous nous réunîmes donc tous les trois près de l'âtre, et je pendis mes vêtements à une ficelle pour espérer en ôter un maximum d'humidité.
"Mais comment avez-vous su pour nous?", dis-je après quelques instants. Le moine rondouillard et chauve me fixa, puis il éclata de rire. "Vous n'êtes pas discret! Entre le bruit de vos pas, et vos discussions à rallonge, n'importe quel forestier vous aurait entendu venir." Seiji hocha la tête, et se mit à discuter de cette étrange capacité consistant à distinguer le bruit de la pluie, et celui des pas dans les flaques. "Question de concentration", lui répondit le religieux. Ils sourirent tous les deux, comme deux complices se connaissant bien. Bien que méfiant à l'égard d'un homme ainsi sorti de nulle part, je ne pus qu'accepter ce refuge, aussi spartiate que délabré. De temple, seules les portes massives et les poutres jadis ornées laissaient entendre une richesse passée. Là, entre les tuiles tombées, les fuites, la poussière, et les immondices abandonnées un peu partout, il n'y avait que peu de doute sur l'absence de dévotion de quiconque pour l'endroit. Je m'en ouvris auprès du moine qui, d'un sourire, balaya mon appréhension. "Je suis un itinérant, tout comme vous à ce que je vois. Et, hélas oui, vous avez raison, on ne préserve plus autant les divinités que jadis. C'est un grand drame". Seiji me signifia du regard de ne pas insister, et de laisser dire le moine que je jugeai un peu excentrique. Pourquoi prétendre être le moine des lieux, tout en étant itinérant? Cela ne manqua pas de me surprendre, ainsi que de m'inquiéter encore un peu plus. Seiji, lui, s'allongea près du foyer, m'invita à en faire autant, puis s'assoupit presque aussitôt les yeux fermés.
Lorsque le déluge daigna laisser la région en paix, et que le soleil put offrir ses premiers rayons, je m'étirai et me levai. Le moine avait disparu, tout comme nombre d'objets qui semblaient lui appartenir. Aussitôt, je me mis à fouiller nerveusement nos affaires afin de vérifier si rien ne manquait. Pas une pièce, pas un objet n'était absent. Je réveillai le rônin, qui, calmement, se redressa et poussa quelques brindilles dans les dernières braises mourantes de l'âtre. "Ce n'était pas plus un moine que nous deux", dit-il en remuant les brindilles. "Je le soupçonnais bien, mais qui était-il alors?". "Un bandit de grand chemin, et fort habile qui plus est", me répondit mon camarade. "Les fantômes et les monstres sont intangibles, tandis que lui, j'ai pu tâter de son aine avec mon sabre. Il a pris peur, et n'a pas quitté son rôle jusqu'à son départ. Il a dû être trop apeuré par mon assaut pour se permettre de tenter de nous dérober quoi que ce soit. Il doit être loin à présent, vu qu'il nous a quitté dès que vous vous êtes assoupi mon ami". Je frémis à l'idée que j'aurais pu être poignardé, ou plus simplement dévalisé pendant la nuit. Seiji sourit, et me lança "Mais cette rencontre me convient fort bien. Il n'était sûrement pas seul, et ses camarades se sont tenus à distance par précaution. Mieux vaut vivre que de tenter un maigre larcin". "Et en quoi cela vous convient-il donc tant?", rétorquai-je toujours un rien inquiet, "il n'y a rien de naturel à courir après la malchance de croiser des bandits!". "Certes non, mais là, c'est eux que je viens rencontrer. J'escomptais qu'ils se montrent tous plus entreprenants, mais, hélas, ils ont un chef plutôt habile et malin. J'espère que je n'ai pas été reconnu". "Ainsi vous les attendiez!" lançai-je furieux et frémissant de terreur. Je me sentis comme un appât, et non plus comme un camarade de voyage.
"Ne vous en faites donc pas," dit-il en s'étirant sur le perron. "Vous aurez tôt fait de comprendre ce qui me pousse à attendre ces gredins de pied ferme, et d'espérer voir ma lame leur prendre leur dernier souffle dans le sang". Il avait eu une intonation d'une fermeté que je ne lui avais encore jamais connu, et son regard avait noirci, à tel point que j'en eus un frisson le long de l'échine. Il ne voulait pas surprendre ces bandits, ils les voulaient morts, sans le moindre doute à fonder là-dessus. Mais qui étaient donc ces voyous pour que le samouraï errant soit si décidé à les massacrer?
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