Par le plomb
J'éprouverai toujours une forme de crainte instinctive en pénétrant dans tout lieu dépourvu de vie. En effet, après avoir frôlé la mort à maintes reprises avec Seiji, je ne conçois plus d'entrer dans une bâtisse qui se révèle inhabitée. Le temple à l'abandon était devenu un coupe-gorge, et je craignais qu'on n'y soit piégés à tout jamais. Qui aurait retrouvé nos dépouilles? Qui aurait cherché à identifier deux corps abandonnés aux éléments dans un endroit aussi reculé? De fait, je suggérai à mon ami de quitter au plus vite ce piège, et de surtout ne plus faire la moindre halte avant de rejoindre un village. Ses yeux trahirent la même méfiance vis-à-vis du temple, avec la peur en moins. Il nous savait en danger, mais de là à fuir, il y avait une étape qu'il n'accepterait jamais de franchir. Il prit donc son temps, mâcha une sorte de gâteau très sec fait de riz compressé, y ajouta un peu d'eau d'une outre en peau, puis se mit sur le pas de la porte. Il jaugea les alentours, s'attendant probablement à un assaut massif des malandrins qu'il recherchait. Pour ma part, je me saisis d'un lourd bâton, et me prépara à défendre ma vie et celle de mon camarade. Non que je fusse courageux, mais quitte à périr, autant que cela n'arrive pas dans le déshonneur d'une fuite aussi lâche que vaine.
Après une interminable scrutation, nous finîmes par lever le camp et retourner au croisement. S'ils étaient là à nous attendre, ce n'était pas à proximité du vieux bâtiment. Seiji déclara vouloir passer devant, et il se plaça quelques pas en amont de mon pas, comme s'il pressentait quelque-chose. Nous avancions à nouveau en direction de la crête, dans le bruit de nos sandales alourdies par la boue, et le bruissement des feuilles larguant leur excès de gouttelettes. A chaque instant, il me semblait entendre des pas, des craquements, voire même des voix, mais ce n'était que la Vie, la Nature, éveillée à l'effort par le retour d'une certaine chaleur. L'air restait tout de même humide, et j'avais l'étrange sensation d'être entouré par un essaim de gouttes, comme si la pluie s'était suspendue à hauteur d'homme. Mon corps entier frémissait, et je serrais fermement le bâton entre mes phalanges dans l'attente d'un assaut qui ne devait plus tarder. J'étais attentif, tendu comme jamais, et les jointures de mes doigts semblèrent blanchir sous l'effort. Seiji avançait, en silence, avec un simple mouvement léger de la tête allant de gauche à droite.
Le soleil avait déjà pris de la hauteur quand nous arrivâmes au point culminant du chemin. Là, la forêt s'était dégarnie pour laisser apparaître une clairière dont les hautes herbes étaient sûrement le refuge idéal pour nombre d'animaux et de prédateurs. S'y aventurer me sembla risqué, car souvent les serpents aimaient y traîner pour se saisir de rongeurs ou d'autres petits animaux. Au-dessus de nos têtes tournaient de nombreux oiseaux, dont plusieurs corbeaux qui fondaient sur un endroit éloigné dans la clairière, pour ensuite reprendre leur essor et se remettre à voler dans un ballet plus qu'étrange. Je me tournai vers leur point de chute, tentant de voir ce qu'il y avait de si important pour que ces charognards foncent ainsi vers le sol. "Soit un animal mort, soit un homme" dit Seiji en me tirant le bras. "Ne restons pas ici, nous sommes à découvert". N'ayant jamais eu à faire mes armes où que ce soit, je ne comprenais pas encore le vrai sens de cette idée du "découvert", et bien mal m'en prit quand les détonations des mousquets, et le sifflement très net des plombs vinrent à mes oreilles. Dans une poussée, le rônin me poussa au sol et fit écran de son corps. Notre refuge étant plus que précaire, nous rampâmes rapidement jusqu'à l'orée de la forêt, avec l'espoir de nous y mettre à l'abri. Malgré tout, plusieurs plombs firent exploser l'écorce au-dessus de nos têtes, et j'ignore encore par quel bonheur nous ne fûmes pas touchés par ces bordées.
Seiji se tendit, et j'entendis ses dents grincer. Il était furieux. "Les lâches!", maugréa-t-il en tirant son sabre. "Des mousquets! Les lâches…", puis, à ces mots, il se redressa et se mit à courir à travers les bois. Je pus à peine distinguer sa silhouette qui se faufilait entre les branches basses et les troncs. Tandis qu'il courait, je pus voir les balles frapper les premiers troncs, tous à proximité de lui, et à hauteur de torse ou de la tête. Pour ma part, n'étant armé que d'une branche ridicule, je ne pouvais rien envisager d'autre que de me cacher en attendant de voir la suite. Je fis quelques pas à reculons, et me heurtai à un corps assez massif pour me retenir. Je me retournai et aperçut un homme qui voulait se saisir de moi. D'un geste large et ferme, je fis partir mon arme de fortune, et lui fracassa le crâne sur l'instant. Son regard trahit alors la stupeur de ma réaction, et surtout celle de mourir de la main d'un homme sans la moindre compétence pour le combat. Sans perdre un instant, je me mis détaler à travers les bois, ceci dans la même direction que mon camarade.
J'entendis plusieurs hurlements, une suite de détonations, et l'odeur de la poudre me guida vers le lieu de l'affrontement. Durant ma course, je croisai plusieurs corps, dont un qui était étêté. Seiji n'avait visiblement pas hésité un seul instant à tuer ses opposants, et j'avais dès lors acquis la conviction qu'il ne laisserait aucun adversaire en vie, sauf au prix de la sienne. Je me ruai tout droit, haletant, convaincu qu'il me fallait être présent. Comme si je pouvais l'aider à se sortir de ce mauvais pas! Mes tempes battaient la mesure de mon cœur déchaîné, et mes yeux me brûlaient. Je traversai un nuage grisâtre de la consumation de la poudre, et arrivai face à une autre clairière, plus petite, où trois morts gisaient là, exsangues, tandis que Seiji faisait face à un autre homme armé d'un sabre. C'était le moine, mais cette-fois ci vêtu d'une toute autre manière. Il avait échangé sa bure voyante contre une sorte de veste de lin teinte en noir, des chaussons de la même teinte, et d'un pantalon tout aussi sombre. Seule sa corpulence et son crâne luisant me permirent de le rapprocher du menteur de la veille au soir. Ils ne bougeaient ni l'un, ni l'autre, et je me retrouvai donc être leur témoin.
Seiji ne semblait pas décidé à donner la charge. Cependant, ses mains s'étaient placées de sorte à permettre une frappe nette et décisive. En face, je remarquai que l'homme n'était pas aussi pataud ni aussi lourdaud qu'il m'était apparu la veille. Encore un expert du sabre, me dis-je en le jaugeant. Tous deux souriaient, tous deux s'étaient préparés à ce dernier échange par le fer. "Alors, ton maître est trop lâche pour venir m'affronter", lança le samouraï en relevant légèrement l'angle de sa lame. "Il ne s'occupe plus du menu fretin", répondit avec acidité son adversaire. L'homme était donc un serviteur dévoué, prêt à périr pour son maître. Ses yeux me frappèrent, car emplis autant d'une cruelle impatience dans l'attente de donner la mort, que d'une étrange détermination résignée. J'eus la sensation qu'il ne voulait tuer mon ami que par obligation morale, et non par nécessité de son cœur. "Es-tu prêt, rônin?", demanda le moine. "Et toi, assassin, es-tu prêt?". Ils se firent signe de la tête, et se mirent à charger dans un même élan.
Le premier échange fut bref mais intense. L'entrechoc des lames me fit sursauter, et je n'eus que peu de temps pour saisir toute la force mise dans ces deux attaques simultanées. Ils reculèrent d'un ou deux pas, et sans attendre, ils reprirent position pour se donner l'assaut. Cela recommença, encore et encore, et tous deux finirent par avoir du mal à reprendre leur souffle. Le moine souriait, visiblement ravi de cet échange. "Il avait dit que tu étais bon… Il était en dessous de la vérité. Cela ne m'empêchera pas de te tuer, rônin". "Tu es aussi bon que tu m'as semblé l'être hier soir, si ce n'est meilleur", répondit le samouraï. A ces mots, Seiji reprit appui, et d'un geste net et rapide, fit glisser la pointe de son arme sur le torse de son adversaire. Celui-ci s'affaissa, mortellement blessé, les vêtements déchirés par le tranchant impitoyable du sabre soigneusement affûté. Il tomba à genoux, lâcha son arme, et il fixa le rônin droit dans les yeux. "Achève-moi", dit-il en posant ses mains vides sur sa poitrine lacérée. "Pas avant que tu ne me dises où il est". Le blessé éclata de rire, et, tandis que ses lèvres se rougissaient, il fixa avec dureté mon camarade. "Jamais, et tu le sais très bien. Je ne suis pas un traître.". "Lui l'est. Et il paiera pour ses crimes" rétorqua mon ami. "Alors, fais moi la faveur de m'achever".
Seiji s'approcha de sa victime, hocha la tête, et brandit au-dessus de lui le sabre rougi par le sang des combats. Le moine présenta sa nuque à son bourreau, les poings fermés et posés sur ses genoux. D'un mouvement ample et précis, le samouraï décapita son adversaire, et la tête séparée du corps roula dans les hautes herbes. Il se saisit de la chose désormais inerte par la natte de cheveux, et la posa à côté du corps se vidant de son sang. Ensuite, lentement, il chercha s'il y avait des outils à proximité. Il ne trouva qu'une bêche rouillée, abandonnée là depuis fort longtemps. Il en estima le tranchant, puis il se mit à creuser. Coup après coup, il forma une sorte de fosse, et m'invita à l'aider. A l'aide de mon lourd bout de bois, je me mis à creuser, plantant la pointe pour séparer les mottes. Après un long labeur aussi pénible que harassant, nous finîmes par pouvoir faire rouler le corps sans tête dans la fosse peu profonde, puis nous recouvrâmes le tout avec la terre. Seiji prononça quelques prières, les yeux fermés, puis il se retourna et m'invita à quitter l'endroit.
Après avoir rejoint notre chemin initial, je m'enquis du pourquoi de cette sépulture. "Les autres étaient des voyous, des brutes sans scrupule et sans respect. Lui, il m'a affronté sans fléchir, et il n'a pas trahi son maître. Je ne lui aurais pas offert un tel repos s'il m'avait répondu". Mais, comment retrouver ce "maître", ce traître dont Seiji ne voulait me souffler mot? "Les autres sont en déroute, et il sera tôt ou tard informé de notre passage. Ne vous inquiétez pas mon ami, il nous retrouvera, il est bien assez puissant, riche, et surtout déterminé à ne pas me laisser en vie". A ces mots, il tira un flacon en terre cuite contenant du saké. Il fit perler quelques gouttes sur son sabre souillé, l'essuya, puis il en partagea le contenu avec moi. Bien qu'il garda l'apparence de la sérénité, j'ai aujourd'hui la certitude que ces coups de feu furent plus troublants qu'il ne voulut jamais l'admettre. Le meilleur des samouraïs ne peut pas affronter des billes de plombs avec une lame, et il le savait.
Ce n'est que le surlendemain, qu'enfin, nous pûmes prendre un peu de repos dans un tout petit village. Je dormis deux jours durant, épuisé, brisé par le mauvais temps et la peur. Mais où allions-nous? Seiji gardait le silence, et plus nous passions de temps ensemble, plus j'en tirais une certaine colère frustrée. Ne me faisait-il donc insuffisamment confiance? Qu'il taise les causes, je le comprenais. Qu'il ne me dise même pas notre destination, voilà qui m'agaçait. Et pourtant, je ne m'en ouvris jamais, estimant, à tort ou à raison, qu'il me fallait accepter ce destin d'errance, guidé par un maître d'armes, un samouraï déterminé à tuer, un inconnu dont la seule vue avait effrayé les pires voyous que j'eusse rencontré.
Après une interminable scrutation, nous finîmes par lever le camp et retourner au croisement. S'ils étaient là à nous attendre, ce n'était pas à proximité du vieux bâtiment. Seiji déclara vouloir passer devant, et il se plaça quelques pas en amont de mon pas, comme s'il pressentait quelque-chose. Nous avancions à nouveau en direction de la crête, dans le bruit de nos sandales alourdies par la boue, et le bruissement des feuilles larguant leur excès de gouttelettes. A chaque instant, il me semblait entendre des pas, des craquements, voire même des voix, mais ce n'était que la Vie, la Nature, éveillée à l'effort par le retour d'une certaine chaleur. L'air restait tout de même humide, et j'avais l'étrange sensation d'être entouré par un essaim de gouttes, comme si la pluie s'était suspendue à hauteur d'homme. Mon corps entier frémissait, et je serrais fermement le bâton entre mes phalanges dans l'attente d'un assaut qui ne devait plus tarder. J'étais attentif, tendu comme jamais, et les jointures de mes doigts semblèrent blanchir sous l'effort. Seiji avançait, en silence, avec un simple mouvement léger de la tête allant de gauche à droite.
Le soleil avait déjà pris de la hauteur quand nous arrivâmes au point culminant du chemin. Là, la forêt s'était dégarnie pour laisser apparaître une clairière dont les hautes herbes étaient sûrement le refuge idéal pour nombre d'animaux et de prédateurs. S'y aventurer me sembla risqué, car souvent les serpents aimaient y traîner pour se saisir de rongeurs ou d'autres petits animaux. Au-dessus de nos têtes tournaient de nombreux oiseaux, dont plusieurs corbeaux qui fondaient sur un endroit éloigné dans la clairière, pour ensuite reprendre leur essor et se remettre à voler dans un ballet plus qu'étrange. Je me tournai vers leur point de chute, tentant de voir ce qu'il y avait de si important pour que ces charognards foncent ainsi vers le sol. "Soit un animal mort, soit un homme" dit Seiji en me tirant le bras. "Ne restons pas ici, nous sommes à découvert". N'ayant jamais eu à faire mes armes où que ce soit, je ne comprenais pas encore le vrai sens de cette idée du "découvert", et bien mal m'en prit quand les détonations des mousquets, et le sifflement très net des plombs vinrent à mes oreilles. Dans une poussée, le rônin me poussa au sol et fit écran de son corps. Notre refuge étant plus que précaire, nous rampâmes rapidement jusqu'à l'orée de la forêt, avec l'espoir de nous y mettre à l'abri. Malgré tout, plusieurs plombs firent exploser l'écorce au-dessus de nos têtes, et j'ignore encore par quel bonheur nous ne fûmes pas touchés par ces bordées.
Seiji se tendit, et j'entendis ses dents grincer. Il était furieux. "Les lâches!", maugréa-t-il en tirant son sabre. "Des mousquets! Les lâches…", puis, à ces mots, il se redressa et se mit à courir à travers les bois. Je pus à peine distinguer sa silhouette qui se faufilait entre les branches basses et les troncs. Tandis qu'il courait, je pus voir les balles frapper les premiers troncs, tous à proximité de lui, et à hauteur de torse ou de la tête. Pour ma part, n'étant armé que d'une branche ridicule, je ne pouvais rien envisager d'autre que de me cacher en attendant de voir la suite. Je fis quelques pas à reculons, et me heurtai à un corps assez massif pour me retenir. Je me retournai et aperçut un homme qui voulait se saisir de moi. D'un geste large et ferme, je fis partir mon arme de fortune, et lui fracassa le crâne sur l'instant. Son regard trahit alors la stupeur de ma réaction, et surtout celle de mourir de la main d'un homme sans la moindre compétence pour le combat. Sans perdre un instant, je me mis détaler à travers les bois, ceci dans la même direction que mon camarade.
J'entendis plusieurs hurlements, une suite de détonations, et l'odeur de la poudre me guida vers le lieu de l'affrontement. Durant ma course, je croisai plusieurs corps, dont un qui était étêté. Seiji n'avait visiblement pas hésité un seul instant à tuer ses opposants, et j'avais dès lors acquis la conviction qu'il ne laisserait aucun adversaire en vie, sauf au prix de la sienne. Je me ruai tout droit, haletant, convaincu qu'il me fallait être présent. Comme si je pouvais l'aider à se sortir de ce mauvais pas! Mes tempes battaient la mesure de mon cœur déchaîné, et mes yeux me brûlaient. Je traversai un nuage grisâtre de la consumation de la poudre, et arrivai face à une autre clairière, plus petite, où trois morts gisaient là, exsangues, tandis que Seiji faisait face à un autre homme armé d'un sabre. C'était le moine, mais cette-fois ci vêtu d'une toute autre manière. Il avait échangé sa bure voyante contre une sorte de veste de lin teinte en noir, des chaussons de la même teinte, et d'un pantalon tout aussi sombre. Seule sa corpulence et son crâne luisant me permirent de le rapprocher du menteur de la veille au soir. Ils ne bougeaient ni l'un, ni l'autre, et je me retrouvai donc être leur témoin.
Seiji ne semblait pas décidé à donner la charge. Cependant, ses mains s'étaient placées de sorte à permettre une frappe nette et décisive. En face, je remarquai que l'homme n'était pas aussi pataud ni aussi lourdaud qu'il m'était apparu la veille. Encore un expert du sabre, me dis-je en le jaugeant. Tous deux souriaient, tous deux s'étaient préparés à ce dernier échange par le fer. "Alors, ton maître est trop lâche pour venir m'affronter", lança le samouraï en relevant légèrement l'angle de sa lame. "Il ne s'occupe plus du menu fretin", répondit avec acidité son adversaire. L'homme était donc un serviteur dévoué, prêt à périr pour son maître. Ses yeux me frappèrent, car emplis autant d'une cruelle impatience dans l'attente de donner la mort, que d'une étrange détermination résignée. J'eus la sensation qu'il ne voulait tuer mon ami que par obligation morale, et non par nécessité de son cœur. "Es-tu prêt, rônin?", demanda le moine. "Et toi, assassin, es-tu prêt?". Ils se firent signe de la tête, et se mirent à charger dans un même élan.
Le premier échange fut bref mais intense. L'entrechoc des lames me fit sursauter, et je n'eus que peu de temps pour saisir toute la force mise dans ces deux attaques simultanées. Ils reculèrent d'un ou deux pas, et sans attendre, ils reprirent position pour se donner l'assaut. Cela recommença, encore et encore, et tous deux finirent par avoir du mal à reprendre leur souffle. Le moine souriait, visiblement ravi de cet échange. "Il avait dit que tu étais bon… Il était en dessous de la vérité. Cela ne m'empêchera pas de te tuer, rônin". "Tu es aussi bon que tu m'as semblé l'être hier soir, si ce n'est meilleur", répondit le samouraï. A ces mots, Seiji reprit appui, et d'un geste net et rapide, fit glisser la pointe de son arme sur le torse de son adversaire. Celui-ci s'affaissa, mortellement blessé, les vêtements déchirés par le tranchant impitoyable du sabre soigneusement affûté. Il tomba à genoux, lâcha son arme, et il fixa le rônin droit dans les yeux. "Achève-moi", dit-il en posant ses mains vides sur sa poitrine lacérée. "Pas avant que tu ne me dises où il est". Le blessé éclata de rire, et, tandis que ses lèvres se rougissaient, il fixa avec dureté mon camarade. "Jamais, et tu le sais très bien. Je ne suis pas un traître.". "Lui l'est. Et il paiera pour ses crimes" rétorqua mon ami. "Alors, fais moi la faveur de m'achever".
Seiji s'approcha de sa victime, hocha la tête, et brandit au-dessus de lui le sabre rougi par le sang des combats. Le moine présenta sa nuque à son bourreau, les poings fermés et posés sur ses genoux. D'un mouvement ample et précis, le samouraï décapita son adversaire, et la tête séparée du corps roula dans les hautes herbes. Il se saisit de la chose désormais inerte par la natte de cheveux, et la posa à côté du corps se vidant de son sang. Ensuite, lentement, il chercha s'il y avait des outils à proximité. Il ne trouva qu'une bêche rouillée, abandonnée là depuis fort longtemps. Il en estima le tranchant, puis il se mit à creuser. Coup après coup, il forma une sorte de fosse, et m'invita à l'aider. A l'aide de mon lourd bout de bois, je me mis à creuser, plantant la pointe pour séparer les mottes. Après un long labeur aussi pénible que harassant, nous finîmes par pouvoir faire rouler le corps sans tête dans la fosse peu profonde, puis nous recouvrâmes le tout avec la terre. Seiji prononça quelques prières, les yeux fermés, puis il se retourna et m'invita à quitter l'endroit.
Après avoir rejoint notre chemin initial, je m'enquis du pourquoi de cette sépulture. "Les autres étaient des voyous, des brutes sans scrupule et sans respect. Lui, il m'a affronté sans fléchir, et il n'a pas trahi son maître. Je ne lui aurais pas offert un tel repos s'il m'avait répondu". Mais, comment retrouver ce "maître", ce traître dont Seiji ne voulait me souffler mot? "Les autres sont en déroute, et il sera tôt ou tard informé de notre passage. Ne vous inquiétez pas mon ami, il nous retrouvera, il est bien assez puissant, riche, et surtout déterminé à ne pas me laisser en vie". A ces mots, il tira un flacon en terre cuite contenant du saké. Il fit perler quelques gouttes sur son sabre souillé, l'essuya, puis il en partagea le contenu avec moi. Bien qu'il garda l'apparence de la sérénité, j'ai aujourd'hui la certitude que ces coups de feu furent plus troublants qu'il ne voulut jamais l'admettre. Le meilleur des samouraïs ne peut pas affronter des billes de plombs avec une lame, et il le savait.
Ce n'est que le surlendemain, qu'enfin, nous pûmes prendre un peu de repos dans un tout petit village. Je dormis deux jours durant, épuisé, brisé par le mauvais temps et la peur. Mais où allions-nous? Seiji gardait le silence, et plus nous passions de temps ensemble, plus j'en tirais une certaine colère frustrée. Ne me faisait-il donc insuffisamment confiance? Qu'il taise les causes, je le comprenais. Qu'il ne me dise même pas notre destination, voilà qui m'agaçait. Et pourtant, je ne m'en ouvris jamais, estimant, à tort ou à raison, qu'il me fallait accepter ce destin d'errance, guidé par un maître d'armes, un samouraï déterminé à tuer, un inconnu dont la seule vue avait effrayé les pires voyous que j'eusse rencontré.
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