17 novembre 2011

Interrogations sur la Syrie

Après l’effondrement de nombre de gouvernements dans les pays musulmans, dont la Lybie dans le sang, la Syrie est à présent sur la sellette, et notamment son président Bachar al-Assad. Bien sûr, l’idée qu’une dictature puisse enfin s’effondrer, et ainsi donner au peuple le droit d’exprimer ses opinions par la voix de la presse, de médias libres, et surtout par les urnes a quelque chose qui, pour nous Européens, de plaisant, mais pour autant, est-ce que l’action tardive de la ligue arabe pour sanctionner Damas a encore un sens ? Nul doute que les sanctions ont été mûrement réfléchies, mais pour autant, que signifient-elles réellement ?

Il faut, à mon sens, s’interroger sur la portée médiatique de l’action de la ligue. En effet, derrière une action permettant de « punir » al-Assad concernant les violences contre les civils, il y a les états du monde qui sont avant tout des clients du pétrole. Sans pétrole, peu voire pas de devises, et donc des économies rapidement condamnées à la faillite. En ce sens, le poids même des USA et de l’Europe suffisent à inciter la ligue arabe à agir contre la Syrie, quitte à être désapprouvée par une partie des habitants de la région. Bien évidemment, il n’est pas tolérable de voir un chef d’état se maintenir en place par les armes, faute d’un soutien populaire. Mais ce n’est pas contre al-Assad que se tourne la sanction de la ligue, mais vers les investisseurs, ceci pour leur faire signe qu’ils ont un poids non négligeable dans la politique de la région.

Alors, si l’on admet que la ligue arabe s’est pliée aux « demandes » de la diplomatie internationale, nous devons nous interroger sur la véritable efficacité de la dite ligue, au point de remettre en doute son existence. Certes, regrouper les voix des nations arabes sous une seule autorité de tutelle a une importance, mais son poids est, dans une certaine mesure, pondéré par l’influence de l’économie mondiale. Pire encore : dans quelle proportion l’action de la ligue est-elle assujettie à des actions extérieures ? La temporisation de l’action provient, et ce de manière très flagrante, du choix Russe de refuser toute intervention de l’OTAN/ONU en Syrie (contrairement à la Lybie). Pourquoi ? Encore une fois, pour un clientélisme malsain, preuve supplémentaire que le pouvoir politique est soumis au pouvoir du dollar. C’est non seulement dangereux, mais avant tout très signifiant sur la faiblesse inavouée de la ligue arabe.

A partir de ces considérations, on peut pousser le raisonnement très loin, à tel point qu’on ne peut que s’inquiéter de l’effondrement du gouvernement de Damas. Le printemps arabe a, pour beaucoup, marqué un tournant dans la vie des pays arabes, avec en premier objectif une démocratisation de la région. Or, force est de constater que les dérives se font dorénavant pressantes : élections Tunisiennes gagnées par un parti religieux, gouvernance temporaire s’adossant à la charia en Lybie, ces deux signes forts démontrent que les états arabes sont loin de s’être affranchis du spectre fondamentaliste. On peut même craindre la naissance d’états calqués sur un modèle iranien, avec tout ce que cela représente comme danger potentiel pour la situation locale : religieux extrémistes au pouvoir, violences contre les opposants, censure, bref des situations pires que celles dénoncées par les opposants. Il faut noter, concernant l’Iran, que cet état n’en est pas membre, ce qui en fait donc une nation qui se moque totalement des sanctions potentielles de l’organisation. L’apparition de pays singeant l’Iran pourrait, à terme, sonner le glas de la ligue, ceci par la fuite des pays ayant choisi un système politique analogue. De fait, avec l’Iran en modèle, des pays agités par des révolutions, la ligue arabe est dans la tourmente, avec tout ce que cela peut représenter comme danger pour la région.

Telle la SDN, la ligue arabe semble révéler une stature de colosse aux pieds d’argile : faiblesse de l’assemblage face aux gouvernances radicales, incapacité à supporter des chocs tels que des révolutions, la structure pourrait perdre tout poids face à des nations qui choisiraient un modèle dictatorial. La latence observée entre le début des exactions en Syrie, et l’intervention politique signe ce constat dangereux de faiblesse… Et le pétrole n’en est pas la seule cause. On ne peut que s’interroger sur la légitimité d’un système qui choisit le silence plutôt que l’intervention, silence instauré afin de ne pas avoir à choisir entre la rue qui se révolte, et l’état qui se meurt. Damas pèse un poids considérable (de par ses capitaux et ses influences politiques), et il aurait été mal venu de dénoncer al-Assad avant d’avoir des certitudes concernant son naufrage. De là, c’est avec circonspection qu’on devra prendre les actions de la ligue arabe, tant de par sa faiblesse à présent évidente, que parce que les dites actions pourraient être téléguidées depuis Washington… ou Moscou.

La grande question qui reste est de savoir comment va se comporter le système économique de la région. En effet, tous les pays qui se sont effondrés récemment sont tombés suite au chancellement d’un modèle économique non viable. Le paradoxe est donc total : si l’économie de dictature va mal, on le fait tomber avec l’espoir d’un système plus « juste », et l’on met au pouvoir une dictature, parce que les réformes nécessitent une gouvernance énergique et déterminée. En conséquence, est-ce que Damas, si al-Assad tombe, va prendre le chemin de Téhéran ? C’est une interrogation très pénible, car elle pourrait sceller le sort de la ligue, mais également celui de la région. Des alliances entre nations « radicalisées » pourraient voir le jour, un peu comme un contre-pouvoir face à la ligue. Rien n’interdit l’idée d’une nouvelle ligue, mais avec cette fois dans ses statuts l’introduction de principes tirés de la charia, ou tout du moins des aspects idéologiques dangereux pour le reste de la région.

Enfin, je m’interroge, mais ce dans un futur plus lointain, concernant le sort d’Israël. Ce qui retenait bien des actions belliqueuses, c’était l’espèce d’assujettissement de la ligue et de nombre de pays arabes absents de la ligue, à la clientèle du pétrole. Là, Israël pourrait voir apparaître un adversaire plus gros, mieux armé, plus déterminé, dans un axe militaro-politique constitué des nouvelles dictatures nées du printemps arabe. On menace constamment Téhéran concernant son activité nucléaire, on soupçonne l’état iranien de financer la construction de la bombe atomique. Quoi de plus dangereux que l’idée que ce pays y parvienne, et en fasse profiter d’autres despotes illuminés ? Là, la notion de prolifération de l’arme atomique prendrait tout son sens le plus sinistre… En espérant que cela ne soit que le pire des scénarios, et pas celui qui se produira dans les faits.

Aucun commentaire: