15 novembre 2011

Les fantômes ne meurent jamais totalement

Contrairement à ce que peuvent penser les plus candides, ce n’est pas une arme qui est dangereuse, c’est l’idée portée par son utilisateur qui l’est. Une arme, ce n’est qu’un outil, tout comme peut l’être le tournevis pour l’électricien, ou le crayon pour le dessinateur. En l’espèce, l’idée, la « cause », c’est elle qui est la véritable source de danger. Or, autant il est possible de saisir, puis détruire, toute arme susceptible d’être une menace, autant une idée se révèle résistante à toutes les formes de tentatives d’annihilation : censure, répression, ou au contraire éducation et explication n’arrivent pas à faire disparaître les idées, si sordides qu’elles puissent être. L’idée, comme un fantôme, résiste au temps, aux changements culturels, moraux, et ce n’est généralement que la mort d’une civilisation qui parvient tant bien que mal à faire périr les pires idéologies.

Pour parler vrai et clair, il suffit de se souvenir d’un certain nombre de choses historiques élémentaires qui, pourtant, semblent ne pas être correctement enseignées à l’école. L’éducation des masses s’obstine à nous agiter des héros, qu’ils soient les poilus de la première guerre mondiale, ou bien les résistants et autres FFL de la seconde. Cependant, où sont les vérités telles que la France fut une des plus grandes pourvoyeuses de littérature antisémite à la fin du XIXème siècle, ou encore que le système colonial fut un désastre absolu, à force de corruption et de dénégation de l’égalité des peuples ? En conséquence, nombre de clichés perdurent, à tel point que des adultes continuent à croire en des chimères absolues. Le véritable désastre, c’est qu’en l’espèce, les gosses absorbent alors des absurdités, à savoir des raccourcis historiques confortables (à quand la question de l’Algérie ou de l’Indochine dans les livres d’histoire ?), ou, pire encore, à une censure quasi incitative.

D’une certaine manière, on a poussé les peuples d’Europe à l’auto-flagellation, notamment concernant la collaboration avec l’occupant nazi, et l’activité des camps de concentration. Comme je l’ai déjà exprimé à maintes reprises, je ne porte pas de culpabilité concernant les horreurs nazies. En revanche, je suis particulièrement surpris par le manque chronique de considération pour les étudiants à qui l’on n’explique pratiquement rien. Finalement, ils ignorent presque tous que le nazisme est arrivé par les urnes, qu’il a mis en place le système à travers des lois (et non pas une anarchie de pouvoirs épars comme trop le supposent), et que la propagande fut un outil maîtrisé par les premiers experts en ce domaine. A vouloir ne pas tout dire directement, on finit alors par créer un flou, un doute, une interrogation. Or, les systèmes totalitaires, les mouvements paramilitaires créent une véritable attraction, parce que l’ordre et la discipline sont des vertus, du moins en apparence. Alors, qu’est-ce qu’on obtient ? Un côté sulfureux, séduisant, attirant alors de potentiels sympathisants.

Les candides croient le nazisme mort et enterré. Les imbéciles croient qu’on a effacé l’idéologie en interdisant la propagation des idées par la censure d’un seul livre. Les inconscients se sont même crûs investis d’une mission divine, à savoir chasser les derniers nazis pour « en finir » avec le souvenir des atrocités des camps. Que d’erreurs ! La censure, cela a poussé à l’existence de publications sous le manteau de « Mein kampf » ; les actes racistes et xénophobes, étiquetés « nazis » pour une croix gammée peinte sur un mur ne font qu’inciter à croire que le nazisme est tout sauf mort ; la chasse aux derniers nazis ne fait que remuer la boue où l’on aurait dû faire le vide (Papon, Bousquet… pas besoin d’étirer la liste), au lieu d’attendre qu’ils soient d’âges canoniques. Bilan des courses, le nazisme est encore actif, bien qu’il ait souvent pris des formes très spécifiques, avec un dévoiement chronique des textes et autres icônes.

Le problème avec l’idée, c’est qu’elle est instrumentalisée à outrance. Prenons les croix gammées : les groupes xénophobes, les extrémistes aiment à utiliser ce symbole pas tant pour ce qu’ils sont réellement, mais pour l’horreur qu’il véhicule. Le symbole est atroce, choquant, il soulève le cœur, c’est donc qu’il est utile pour provoquer les bourgeois haïs ! De là, amalgamer la bêtise chronique, et les groupes réellement organisés est très dangereux. Pourquoi ? Parce qu’il n’est jamais bon de mêler des imbéciles utilisant la bombe à peinture, avec des terroristes potentiels qui, à l’occasion, pourraient user de méthodes autrement plus radicales. Il ne faut surtout pas se contenter de l’étiquette pour connaître ces mouvements, et encore moins les prendre pour des choses « peu dangereuses » parce que peu représentés ou visibles. Le néonazisme n’a rien d’une mouvance marginale, et encore moins d’une chose à traiter avec légèreté.

Les néonazis existent bel et bien. Ils sont parfois structurés, à tel point qu’on peut parler de véritables cellules potentiellement terroristes. Pire encore : il existerait (sans preuve, je me contenterai de parler par supposition) des structures plus grandes, capables d’organiser et guider ces cellules. Les prendre à la légère, c’est prendre le terrorisme à la légère, avec ce que cela représente comme danger. Le plus difficile à admettre dans cette situation, c’est notre impuissance à identifier les membres de ces mouvances. Pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’il ne s’agit pas de s’afficher, et encore moins d’avoir une visibilité gênante. Non, les néonazis vivent dans nos souterrains moraux, ils se nourrissent des rancoeurs et des haines, et ils savent recruter parmi les jeunes les plus influençables. Cessons de croire que le nazisme est mort, il survit à travers des groupes souvent violents et donc très dangereux.

Ce qui freine ces mouvements, c’est le manque d’un personnage, d’un « guide » comme le fut Hitler. Par défaut, les idéologies radicales ont besoin d’un messie, de sorte à cristalliser tous les pouvoirs entre un nombre réduit de mains. Faute d’une voix forte au milieu des autres sympathisants, les idées sont incapables de résister à l’usure du temps. C’est pourquoi que le néonazisme est généralement porté par des jeunes (voire très jeunes), et que la plupart retournent à des idées d’extrême droite, sans pour autant continuer à brandir la menace de la violence systématique. Cependant, craignons avec inquiétude des situations comme celle de l’Allemagne. Le schéma n’est que trop ressemblant à celui de la fin des années 20 : chômage, crise, et populisme pour appâter les foules… La crise est le terreau fertile des dictatures, et nous pourrions regretter de ne pas avoir su lire les premiers signes d’une renaissance d’une intolérance générale.

Le terrorisme d’extrême droite en Allemagne, sur Courrier international

Aucun commentaire: