05 novembre 2010

Santé peu publique

Je reviens aux affaires après une petite série de textes hétérogènes, avec évidemment sous le coude ma sacoche de grognements et de mauvais esprit. Tant qu’à pester contre l’humanité, autant le faire de manière argumentée sur des sujets où nous pouvons tous nous reconnaître, mais également tous nous disputer pour des divergences d’opinions. Hé oui, votre serviteur n’a toujours pas mis d’eau dans son vin (sacrilège !), et encore moins collé un silencieux sur ses propos pour les édulcorer. J’engage donc mes munitions dans mon fusil verbal à canon scié, je vise, et en avant pour le matraquage.

Ces derniers temps, la mode est au « se sentir bien ». On a le droit aux publicités vendant à tours de bras de l’écologie, du bien-être, des produits sains, et même, suprême absurdité consumériste, des conseils pour bien se nourrir. « Cinq fruits et légumes par jour ». Tiens, comme s’il n’était pas élémentaire que se gaver de graisse, de frites, de malbouffe soit nocif pour la santé ! On aime vraiment nous prendre pour des demeurés, des veaux prêts à avaler tout et n’importe quoi, à croire que les gens pensent que si la pub le dit, c’est que c’est vrai. Tas d’ahuris ! Jusqu’à présent, cela représentait un côté agaçant de la réclame, mais maintenant, c’est devenu le cœur même de la communication des entreprises. Tous s’y mettent : clichés de grands espaces, gros caractères sur la baisse de consommation en carburant, conseils « éclairés » pour réduire la facture énergétique, et summum du « foutage de gueule XXL », on nous colle du label en veux tu en voilà sur tous nos produits. Dites, les grands cerveaux des entreprises d’agroalimentaires, quand daignerez-vous nous éviter d’ingurgiter des colorants, des conservateurs, des quantités ineptes de sel, de sucre caché, quand arrêterez-vous se coller autant de poids de tambouille que d’emballage ? C’est sain, d’avoir plus de carton que de gamelle ? Pas que je sache !

Et tout est à l’avenant. On va vous expliquer, avec la sérénité d’un bonze tibétain, que l’on peut produire du parquet à partir de forêts protégées (entendre par là des forêts dont les essences sont triées, sélectionnées, puis taillées pour obtenir une qualité spécifique de bois, pas spécialement pour préserver la biodiversité environnante), que vous pouvez à présent acheter des meubles en bois exotiques, des fruits et légumes des quatre coins du monde, le tout labellisés eco-friendly. Parce que trimbaler des cargos de bois arrachés aux forêts primaires, c’est écolo ? Parce que faire pousser des légumes hors sol, fonctionner en monoculture, insérer des OGM dans nos assiettes, c’est sain ? Qui est assez débile pour avaler ces couleuvres sans moufter ? Reprenons un peu un fondamental pour tout industriel : le premier but d’une entreprise, c’est de faire de l’argent, pas de jouer les philanthropes. La preuve, vous pouvez être viré parce que vous n’être plus (pour les actionnaires) suffisamment rentable... Alors, de l’humanisme, en entreprise, je demande encore à voir. Et qu’on ne me parle surtout pas des œuvres sociales ou je mords méchamment : les œuvres sociales sont des magouilles financières qui ont la double vertu d’offrir une vitrine morale aux entreprises, et dans la foulée de leur accorder des avantages fiscaux non négligeables. Hé oui : on défalque ses dons aux œuvres des impôts... Ca y est, vous voyez le mécanisme ?

Fut un temps, les acharnés du tout propre, de l’autisme vert, se sont battus contre le nucléaire, arguant que l’éolienne, le solaire, enfin bref tout le renouvelable était capable de subvenir à nos besoins. Résultat des courses : l’Allemagne fait marche arrière sur l’idée d’abandonner l’atome, et va même jusqu’à annoncer l’abandon de nombre de projets écolo. Pourquoi ? Parce que le portefeuille est le maître, et que lorsqu’on a une crise sur les bras, tout le monde se fout de son univers, parce que c’est mieux de bosser que d’être au chômage. Tout simplement. Alors des manifestations d’écologistes, vous en aurez autant que vous voudrez devant les grandes ploutocraties du pétrole et de l’énergie, mais vous pourrez aussi constater que ces mêmes manifestants sont des nantis en RTT ou en congés, et certainement pas l’ouvrier smicard qui a pour principale préoccupation de boucler son budget du mois avec des économies de bouts de chandelles.

J’ai la nausée à la simple idée qu’un petit bourgeois puisse expliquer à celui qui galère qu’il faut vivre sain. Vivre sainement, cela a un prix, et la santé elle-même a un coût affolant. Fauché ? Bonne chance pour vous faire soigner les dents ou pour acheter des lunettes ! Qu’on soit d’accord sur un point fondamental : il faut avoir de l’argent pour être en bonne santé, il faut avoir de l’argent pour acheter « bio », il faut de l’argent pour ne pas craindre d’aller chez le médecin. La nouvelle mode est de cotiser à des caisses privées comme des mutuelles ou des assurances spécifiques. Le nanti, celui qui a de l’argent à placer pourra se le permettre. Les autres ? Ils devront rester en bonne santé, vaille que vaille. On ne verra jamais un cadre refuser de faire des séances chez un kiné, le salarié au dos en vrac, lui, ira tant que faire se peut, si la sécu lui remboursera suffisamment sur ses soins.

Pour moi, on ne peut plus parler de santé peu publique, parce que la santé n’est plus une affaire de respect du serment d’Hippocrate, mais une affaire de fric. Une maternité qui ferme ? Ce sont des centaines de mères obligées de faire des dizaines de kilomètres en plus en cas d’accouchement. Pourquoi on ferme ? Parce qu’il y a officiellement un problème de rentabilité. Oui, rentabilité ! Dans la naissance d’un gosse ! Mais bordel, depuis quand la santé se calcule sur des graphiques économiques ? Les scandales récurrents (sang contaminé, coût de la vaccination massive contre la grippe A, légionellose à l’hôpital...) démontrent hélas que c’est le pognon qui dictera la politique de santé, mais aussi (et c’est là le drame) qui pratiquera l’analyse de risque. Savez-vous comment fonctionne une analyse de risque ? L’équation est la suivante : « est-il plus rentable de réduire les problèmes en investissant dans la sécurité, ou bien le taux d’incidents reste-t-il acceptable d’un point de vue financier ». Merde, j’ignorais que ma vie pouvait se quantifier en nombre d’infirmières en moins dans les services. J’ignorais également qu’on pouvait volontairement multiplier les risques sous prétexte qu’un investissement supplémentaire n’est pas acceptable dans la compta d’un tel établissement.

La santé est passée aux mains des industriels du médicament : incités à vendre des saloperies qui vous accrochent comme l’héroïne (calmants, anxiolytiques, somnifères et j’en passe des pires), les médecins arrivent parfois à devenir plus des trafiquants de came que des gens supposés vous soigner. Ne vous raccrochez pas aux médicaments pour améliorer votre quotidien. Ne leur donnez pas le loisir de faire de vous des moutons dociles gavés de merdes chimiques. Soyez responsables, réfléchissez, parce que si nous continuons à tolérer cet état de fait, nous allons faire de la médecine, de la santé publique des utopies, des fantasmes de « bien vivre ». Bien vivre, ce n’est pas légitimer qu’une société privée puisse dire ouvertement à l’état « Achetez massivement mon vaccin non testé et potentiellement dangereux, vous n’avez pas le choix de toute façon », et encore moins accepter qu’on puisse breveter la vie !

1 commentaire:

ShadowS a dit…

Entièrement d'accord sur le fond. Juste une petite réflexion tout de même : si le greenwashing marche à fond en ce moment, les pleupleus à croire à tout ce que disent les industriels mafieux ne sont pas forcément légions. Y'a qu'à tendre l'oreille dehors pour s'en rendre compte. Et même si Mme Michu ne le dit pas aussi bien que toi, elle le pense de la même façon que toi.
Quant au budget du vrai "bio", c'est vrai que ca reste souvent cher mais les produits se démocratisent rapidement. Perso je n'ai pas un gros budget mais j'essaye de manger le moins pollué possible et le plus sain aussi. Et je paie certainement moins cher que si j'allais remplir mon caddie dans les abattoirs humains de la consommation que sont devenus les grandes surfaces.