04 octobre 2010

RDA

Pour les plus jeunes d’entres vous, la RDA, ça n’a aucun sens. Cela n’existe que dans les livres d’histoire, c’est du « passé », comme si ces trois lettres, comme celles de l’URSS étaient trop loin pour être importantes. Et pourtant, tout le destin de l’Europe telle que nous la connaissons s’est joué dans l’actuelle capitale Allemande, c'est-à-dire Berlin. Fut une époque, le mur de la honte (dont j’ai déjà parlé dans d’autres articles) avait un sens, le rideau de fer tout autant, et l’on parlait encore de Berlin-est et Berlin-ouest. Quelle hérésie, parler d’une seule et même ville en la distinguant à travers une rupture physique infranchissable. Le 3 Octobre, ce fut le vingtième anniversaire de l’adhésion des lands de l’est à l’union fédérative. Cet acte fut le plus décisif, d’un point de vue administratif, dans la mort de la RDA.

Mais que fut donc la RDA ? La République Démocratique Allemande (ou DDR pour « Deutsche Demokratische Republik) qui fédérait les régions sous contrôle Soviétique. La partition de l’Allemagne après la seconde guerre mondiale créa en effet deux pays distincts : la RFA et la RDA. D’un côté, la présence Soviétique, de l’autre celle majoritairement Américaine, avec en point d’orgue la partition de l’ex capitale du Reich : Berlin. Coupée en deux, la ville était, d’un côté, la capitale de la RDA, de l’autre une zone « franche » sous contrôle des alliés (Anglais, Français et Américains). Etrange situation que de dresser des check points dans une ville (dont le fameux check point Charly), où tout le monde était systématiquement contrôlé, où les armes étaient présentes pour bien plus que l’apparat, et où nombre d’Allemands périrent en tentant de fuir le joug Soviétique. Sous contrôle d’une dictature absolue, la DDR fut un monde totalement improbable, une œuvre démoniaque à la George Orwell (1984), avec un big brother nommé STASI. A cette époque, prononcer ce mot avait valeur tant d’avertissement que d’épouvantail, tant les pouvoirs des agents de la STASI étaient énormes : arrestations arbitraires, détentions abusive, probablement torture voire même exécutions, les crimes de la STASI peuvent souvent être analysés comme étant les héritages directs de la non moindre et sinistre Gestapo. C’était ainsi : tout le monde surveillait tout le monde, il ne fallait pas parler trop fort, et le chantage était un outil commun, ceci forçant des ouvriers, des cadres, des gens ordinaires, à devenir des agents intermittents, ceci pour surveiller le voisin, le bureau des enseignants d’une école… Tous les moyens étaient bons pour que la population soit sous contrôle.


Invraisemblable ? Inepte ? La RDA était le modèle même d’une société nivelée, formatée, de manière à s’assurer une surveillance absolue. Je doute que mes lecteurs aient déjà vu une Trabant ou une Moscovitch ailleurs qu’en images à la télévision ou dans un magazine, mais ce furent des voitures communes dans les rues de Berlin-est. Les salaires étaient maîtrisés, la production était quasi intégralement pilotée par l’état. Chacun connaissait non son pouvoir d’achat effectif, mais la durée de cotisation pour acheter sa voiture. Pouvoir être livré plus tôt que dans la planification était un signe de réussite sociale, celle des apparatchiks, les membres du parti communiste, de ceux qui détenaient le pouvoir. Un appartement ? C’était un office administratif qui fournissait une superficie standardisée à chacun, qui traitait les problématiques d’entretien et de « loyer ». Ces blocs infects de béton à côté desquels nos banlieues font presque hôtels de luxe, c’était l’existence des citadins. Et que dire du sort des paysans ? Condamnés aux quotas, à la collectivisation, ils n’étaient pas mieux lotis, puisque tous étaient des « salariés ». Pas de matérialisme excessif, pas de propriété privée, rien qu’un état omnipotent, et omniscient par l’œil acéré de la STASI.

Le plus effrayant, ce n’était pas tellement cette horreur paranoïaque, mais que Berlin-est fut, en son temps, un des plus grands lieux de la guerre froide, cette guerre secrète entre espions de l’est et de l’ouest, où le mensonge était roi. On échangeait à un check point un agent contre un autre, on négociait l’avenir du monde par fantômes interposés, et plus d’une fois, ce fut le destin du monde qui fut traité par remise de valises. Monstrueuse, cette guerre de l’ombre fit énormément de victimes, des anonymes, des gens convaincus du bien fondé de leur mission. On traitait, on tuait, et tout ceci sous le regard des pays autant ennemis que complices. Tout ceci semble aujourd’hui caricatural et abstrait, mais c’était notre monde, un monde de suspicion, de méfiance, et l’on portait des coups (comme celui du parapluie bulgare), dans une ville devenue prison géante. Berlin-est ? Un Alcatraz humain, une caricature où les tortionnaires sont des citoyens, où les détenus le sont aussi, et où la peur est tangible par les barbelés et les mitrailleuses dressées le long du mur infâme.

Nous ne pouvons plus vraiment nous rendre compte à quel point ce passé pourtant pas si vieux fut d’une influence démente sur nos sociétés actuelles. L’Allemagne, ce fut tour à tour un ennemi, une zone de guerre, puis une zone d’influence, de guerre secrète, puis enfin de retour à la démocratie. Notre carte de l’Europe est, aussi bizarre et dérangeant que cela puisse paraître, pas si éloignée que cela de celle du « grand Reich » dont rêvait Adolf Hitler. C’est une des inquiétudes de nombre de nations qui refusent d’entendre parler d’états unis d’Europe, et je les comprends aisément. Quelle différence entre le Reichsmark et l’Euro ? Rien en dehors du pourquoi de leur existence et de leur instauration. Quelle différence entre un état qui se soumet à un empire, et un autre qui se déleste d’une bonne partie de ses prérogatives en les confiant à un système centralisé ? Bien entendu, c’est caricatural, car l’Europe s’est construite, et se construit encore sur des bases démocratiques : votes, référendums, députation de représentants des états, présidence tournante…. Mais qui nous dit que si le Reich avait réussi le défi mégalomane d’Hitler de contrôler l’Europe, que nous n’aurions pas pratiqués une transition comme en ex-URSS, de sorte à créer une Europe telle qu’aujourd’hui ? Que le destin soit remercié, cette folie n’est jamais arrivée à son terme.

L’Allemagne est réunifiée. Berlin est à nouveau la capitale (les administrations de Bonn ayant été par la suite transférée dans la capitale historique), les Allemands ne parlent plus (trop) de différence entre ceux de l’est et de l’ouest, et le passé s’est effrité. Les héritages de cette époque maudite disparaissent peu à peu, la modernisation anéantissant tant les symboles du quotidien (électroménager, automobile), que les bâtiments de sinistre mémoire. Berlin-est n’est plus que de terribles souvenirs pour une population déchirée, ce sont des documents qu’on conserve pour se rappeler, pour ne pas oublier l’absurdité d’un système. Faisons en sorte que cela ne se reproduise plus jamais, car cette partition de l’Allemagne, c’est, à mes yeux, aussi atroce que les horreurs de la seconde guerre mondiale, aussi infâme que le traitement des minorités en URSS, aussi inacceptable que le sort des réfugiés de par le monde.

La RDA, sur Wikipedia
La réunification Allemande, sur Wikipedia
La STASI, sur Wikipedia

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