06 octobre 2010

Mythologie

Les hommes aiment à créer des univers étranges, des déités, des bestioles capables autant de faire le bien que de faire le mal. Ainsi, certaines religions parlent d’arbres magiques, de fées, de petits démons, de monstres gentils, ou encore de fantômes aux pouvoirs étranges. Autant le dire tout de suite, nombre de religions monothéistes ont étouffées ces croyances populaires, au point d’en laisser simplement trace que sous la forme de folklore local. D’autres pays, en revanche, sont encore fortement imprégnés de ces croyances, à tel point qu’une pierre, un bosquet, ou une mare peuvent être traités avec toute la déférence que l’on peut avoir pour une divinité. Et moi j’aime cette idée, celle où la nature serait pétrie de millions de choses étranges, d’esprits qui s’amusent de nous, qui nous chatouillent les pieds quand ça les chante, et qui rendent finalement le monde moins triste qu’il ne l’est.

Quand on se penche sur le Japon (pour changer, puisque j’adore ce pays), on constate que les bestioles diverses et variées de l’imaginaire populaire sont très présents dans tous les médias : mascottes de supermarchés en forme de kappa (petite divinité des eaux, aujourd’hui généralement représentées de manière sympathique), apparitions de diverses divinités et mythes dans les mangas et les séries animées, voire même dans les films et séries télévisées. Il y a ce mélange étrange entre la modernité d’un Japon se voulant à la pointe, et cette culture séculaire qui résiste à toutes les modes, à toutes les américanisations qui desservent généralement le passé. Nous ? En dehors de quelques lutins, de quelques endroits réputés « magiques », nous avons oubliés l’immense majorité de ces légendes. Pour tout dire, je ne connais pas un lieu à proximité de chez moi qui serait teinté d’un quelconque mysticisme, alors qu’il suffit de demander à n’importe quel passant au Japon de vous indiquer un lieu magique, et celui-ci s’empressera de vous en indiquer un.

Que serait notre monde si nous pouvions voir ces fameuses lutines, ces improbables licornes, ces merveilleux fantômes ?

Au petit matin, le petit Thomas s’éveilla au son de son réveil électronique. Tous les matins, il se plaignait d’avoir mal dormi, ou en tout cas jamais suffisamment à ses yeux. Il s’étirait, puis plongeait sa tête sous la couette, grommelait, et ce n’était que l’odeur du chocolat chaud lui chatouillant les narines qui le tirait du lit. Le rituel était immuable : douche rapide, petit déjeuner englouti, brossage de dents, et course vers l’école pour ne pas être en retard. Assis dans la cuisine face à la fenêtre donnant sur le jardin, Thomas faisait toujours attention à voir si le lutin du cerisier était là, ou pas. Facétieux, Sondvik jouait souvent des tours à ceux habitant près de ce cerisier qu’il habitait, selon lui « depuis si longtemps qu’il a vu les maisons se construire dans le quartier ». Petit malin, son cerisier était vieux certes, mais peut-être pas à ce point. Sondvik était court sur pattes, le dos très légèrement vouté, et il avait une tête très légèrement trop grosse pour son corps. Bedonnant, il était joufflu et jovial dans son sourire espiègle. Sa face, à elle seule, était tout un roman ! Allongé, bouffie aux joues, les yeux trop grands, les lèvres charnues, la barbe verte longue et taillée en deux pointes, le tez tarabiscoté comme s’il avait été brisé à plusieurs endroit, Sandvik avait l’étrangeté de sa race. Parmi ses divers pouvoirs, il pouvait se déplacer à très grande vitesse (ce qui ne laissait jamais de faire rire Thomas), se téléporter à courte distance (ce qui était pratique pour faire des plaisanteries), ainsi qu’une faculté à lire dans l’esprit des adultes. Bizarrement, Sandvik ne parvint jamais à lire dans le cœur des adultes. « Trop sales ces âmes » disait-il en crachant par terre.

Sac sur le dos, ainsi prêt pour aller en cours, Thomas ouvrait alors la porte, embrassait sa mère, claquait la porte, et sifflait très fort pour enchaîner sur « Sandvik ! Sors de ta cachette ! », ce que faisait parfois le lutin. Dès la naissance de l’enfant, le lutin s’était épris de lui, le protégeant envers et contre tout, jouant avec lui, lui apprenant à connaître et reconnaître les signes de la présence de telle ou telle divinité mineure dans la nature. D’abord réticents, les parents de Thomas finirent par céder à cette étrange amitié, tant Sandvik faisait preuve de patience et de générosité. Des tours pendables ? Ah ça, le lutin n’était jamais en manque d’inspiration : un tuyau d’arrosage, une gouttière bouchée, une télévision devenant folle, ou encore un store qui monte et descend tout seul, Sandvik tournait les adultes en ridicule, mais jamais les enfants. Plus d’une fois, des voisins acariâtres vinrent ce plaindre de ces facéties, ce à quoi les parents de Thomas répondaient inlassablement « Vous avez déjà essayé d’interdire quelque chose à un lutin, vous ? Non ? Alors, essayez vous-même ».

Ce matin là, il faisait beau, très beau même, le soleil d’un début d’été réchauffant la terre et les herbes hautes avec générosité. Posé sur l’épaule du gamin, Sandvik sifflait un air étrange, saccadé, puis chantait dans une langue totalement incompréhensible pour le commun des mortels. Soudain, il fit signe à Thomas de ralentir, et de regarder sur la droite, pour observer la forêt. Comme à chaque renaissance des plantes, les fées, les fantômes sortaient d’une sorte d’hibernation, et se lançaient dans d’étranges rituels lumineux et colorés. De petites étoiles filaient entre les troncs, des explosions de jaune, de vert, ou de pourpre apparaissaient dans les bosquets. Passant à travers toute chose de leur forme indéterminée, les fantômes souriaient, chantaient même, le tout dans l’hymne à la vie et à la nature. Thomas s’arrêta, et pointa du doigt chaque bizarrerie, les nommant une à une, en attendant la validation de Sandvik : ça c’est Konkia, la fée des ancolies. Lui, c’est Raguilo, le fantôme du chêne centenaire. Ca, c’est Robganiö, l’esprit des oiseaux défunts. Sandvik acquiesça, puis souffla à l’enfant « Vite, nous sommes en retard ! ». D’un claquement de ses doigts velus, le lutin les fit avancer, bond par bond, en direction de l’école, tout en rejoignant d’autres enfants, eux aussi accompagnés de leurs amis. L’un avait à son côté un immense « animal » qui hésitait entre l’ours et le chat tant pour les couleurs que pour la forme, une autre élève avait derrière elle une sorte de renard argenté à la queue en bataille, et un dernier ce qui pouvait laisser penser à un manchot, mais avec des pattes autrement plus longues et des ailes pourvues de doigts.

Quand enfin ils entrèrent dans la cour de l’école, les maîtres firent signes aux divinités, lutins et autres protecteurs de s’en aller, tandis qu’eux-mêmes saluèrent leurs amis magiques, puis menèrent les enfants en cours...

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