02 septembre 2010

La légion des honneurs ?

Je rebondis sur une de mes colères perpétuelles, qui est la distribution à outrance des titres honorifiques, médailles et autres récompenses aussi fanfreluches aujourd’hui, qu’elles furent réellement symboliques par le passé. Ce n’est donc pas sans une certaine ironie que je regarde l’actualité avec un Woerth reconnaissant son intervention pour l’obtention de la légion d’honneur pour le gestionnaire de fortune de Madame Bettencourt. Risible, la situation l’est à plus d’un titre : tout d’abord, pourquoi honorer cet illustre inconnu ? Pour qu’il puisse parader avec son ruban au revers de son costume à trois SMIC ? Ensuite, à quel titre Eric Woerth s’est-il mêlé de cela, si ce n’est que pour congratuler une « amitié » fort commode ?

J’ai toujours estimé qu’une médaille était un titre qui devait se mériter, et non se distribuer comme des bonbons lors de l’ouverture d’une confiserie. Que ce soit la légion d’honneur, celle des arts et des lettres, ou toute autre distinction purement symbolique, je suis totalement en désaccord de la filer au tout venant, et le tout sous les feux des projecteurs. Récemment, des soldats Français sont tombés en Afghanistan, et le président a décerné, à titre posthume, la légion d’honneur. Comment comparer l’honneur d’hommes morts au front, avec les copinages d’un obscur fondé de pouvoir ? Comment les voir mentionnés au même niveau dans les registres officiels ? Cela me dépasse, car c’est, en quelque sorte, dévaloriser l’acte de bravoure et l’ultime sacrifice de ces soldats !

Lorsque je scrute les pages et les pages qui listent les détenteurs du titre de « chevalier de la légion d’honneur », j’ai l’impression qu’il s’agit souvent d’une congratulation médiatique, plus que de quoi que ce soit. Mme Ingrid Bétancourt (vous savez, celle qui a passé quelques années de cure d’amaigrissement dans la jungle chez les FARC) a été décorée. A quel titre ? Parce qu’elle a survécu ? Quelle a été son action pour la France, si ce n’est permettre à certains politiques de faire les malins, et à des journalistes de faire chauffer la marmite ? Bien que je lui reconnaisse le courage d’être restée en vie, ce n’est pas la seule à mériter, et loin de là, d’être honorée alors. Et les urgentistes qui s’échinent à sauver des vies ? Et les pompiers qu’on ne reconnaît que lorsqu’ils meurent ? Franchement, cette effusion de décorations est nauséeuse, mal venue dans un pays en quête d’identité et de représentation, et surtout incongrue eu égard à la fonction initiale de la décoration.

Certains paradent avec la fanfreluche épinglée, à tel point qu’on est amené à se demander s’il ne s’agit pas là d’une fin en soi. Chouette, j’ai le petit ruban rouge, je peux faire le malin en société. Pas vraiment mon grand, parce qu’il suffit qu’un type entre avec de vraies décorations, gagnées dans le sang et les tripes, et tout de suite ton fameux ruban n’a plus vraiment d’aura. D’ailleurs, dans certaines sociétés (dont je ne suis pas), la légion d’honneur est presque aussi répandue que la petite vérole le fut parmi les nantis et les pseudo élites en leur temps. Je peux même supposer qu’on se congratule mutuellement de faire partie du « club » des chevaliers. Tiens donc…

Pourtant, certains ont compris toute l’importance de cette décoration, et l’ont refusés pour des motifs différents. En voici quelques exemples plus que succulents :

Geneviève de Fontenay, la présidente du Comité Miss France qu’un sénateur de Savoie voulait proposer, l’a aussi refusée pour des raisons inverses : « C’est vraiment désacraliser le ruban que de le distribuer à n’importe qui… comme des médailles en chocolat ».
(nota : et dire que je la prenais pour une dinde finie, elle remonte dans mon estime)

Jean Victor Marie Moreau se moquait de l’institution de la Légion d’honneur. Quelqu’un lui disait qu’on avait dessein de donner la croix, non seulement à ceux qui se seraient distingués par la gloire des armes, encore à ceux qui se seraient fait remarquer par leur mérite et par leur savoir. Il s’écria : « Eh bien ! Je vais demander la croix de commandeur de l’ordre pour mon cuisinier, car il a un mérite supérieur dans l’art de la cuisine. » (O'Meara.)
(nota : je trouve merveilleux que l’homme ait pu exprimer toute l’absurdité de certaines décorations).

Edmond Maire la refusa en déclarant : « Ce n’est pas à l’État de décider ce qui est honorable ou pas. »

Dans tous les cas : Monsieur Woerth, cette affaire est ridicule, indigne d’un homme de votre stature, et démontre que la « méritocratie » que revendiquait, fut un temps, la droite dont vous faites partie, n’est qu’une vague autocongratulation morne et déshonorante.

La légion d'honneur, sur Wikipedia
Yahoo news: Woerth admet avoir demandé la légion d'honneur pour De Maistre

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