03 juillet 2009

J’aime jouer avec les mots

Comme vous pouvez le constater au quotidien, j’aime jouer avec les mots, un peu comme un gosse aime jouer avec les mécanos. Dans l’absolu, la langue est complètement semblable avec ce jeu de construction : on assemble logiquement les pièces, et au final on obtient quelque chose de plus ou moins présentable. (Juste un aparté : j’ai toujours préféré les legos qui me laissaient bien plus de possibilités que ces satanés bouts de tôle qui, une fois pliés, ne se redressaient jamais correctement). De fait, j’aime jouer, et j’adore surtout bricoler des ambiances et des atmosphères, certaines inédites, d’autres envisageables. Fut une époque, je m’amusais à demander quelques mots pour avoir la trame et rédiger, au fil de l’eau, une nouvelle pour le plaisir de mes interlocuteurs.

Alors aujourd’hui, qu’avons-nous au menu ? Désastre dans l’aviation civile, politique foireuse et antidémocratique concernant HADOPI… Et puis non, je vais me faire plaisir (et à vous aussi j’espère), en créant une ambiance différente, tirée tant de ma culture que de mon cerveau probablement bien dérangé. Etes-vous prêts ? Et puis pourquoi je pose la question moi, finalement, qu’ils soient prêts ou non ne change rien… Encore cette mauvaise habitude de schizophrénie ! Vite, mes pilules !

Bonne lecture !

Lorsqu’elle se leva et observa le monde qui l’entourait, elle ne put s’empêcher de sourire. Quelque part, ses péchés étaient la source de cette destruction, elle était l’instigatrice de cette déchéance totale. Bien qu’on pût dire qu’elle n’avait pas le pouvoir de mener le monde à sa perte, elle devint, par ses choix, le symbole de la faiblesse humaine. De simple personne ordinaire, elle avait choisi d’être l’exécutrice, l’ultime cause, l’étendard de la perte de foi en Lui.
Assise sur un rocher, elle mit un peu d’ordre dans sa chevelure et dépoussiéra sa robe blanche maculée de boue et de cendre. Les mains posées sur ses genoux, elle prit une grande inspiration, et savoura paisiblement l’odeur pestilentielle des combats qui venaient de s’achever. On l’avait traitée de tous les noms, souillée par mille insultes imprononçables, et pourtant, elle s’était endurcie ainsi, convaincue que ses choix seraient les bons. Elle se savait être une arme finale, et qu’un simple geste de sa part suffirait à réduire à néant des millénaires de paix et de fraternité. Ce n’est pas tant qu’elle aurait voulu voir ces empires être anéantis, pas plus qu’elle n’aimait la guerre, mais finalement, après bien des épreuves, elle estima que la fin du règne des hommes sur terre était méritée. Alors, elle fomenta la plus grande des révolutions, celle où l’homme n’a plus sa place car il serait autant victime qu’instrument.

Toute petite, elle avait été vouée à être la compagne docile et aimante d’un empereur omnipotent, décidant de tout, gérant tout, et condamné, lui aussi, à être un guide aussi spirituel que politique. Elle avait été éduquée dans cette optique : sportive, séduisante, cultivée, mais silencieuse et réservée, elle devait être l’épouse par excellence, celle qui obéit sans réagir, qui subit sans pleurer, qui engendre une descendance sans l’élever. Tout semblait être écrit et planifié, à tel point qu’elle ne se donnait aucune chance de croire en autre chose. En quelque sorte, adolescente, elle tomba amoureuse de cet empereur inconnu, ce lointain personnage adulé et craint. Pour son image, elle fut exhibée et traitée en sainte et en vierge. On ne lui permit d’avoir ni ami ni confident, de n’être approchée que par des servantes tenues au silence, ou des médecins l’auscultant sans ménagement ; on voulait être sûr qu’elle pourrait procréer.

Ils furent mariés sans un mot ou presque, elle ne put que l’entrevoir durant toutes les festivités. C’est au moment de la nuit de noce qu’elle pu être avec lui. Sans un égard, elle fut prise, violentée par cet homme froid et manipulateur. Lui aussi avait été éduquée en ce sens : être un tyran, un despote impitoyable et sûr de son pouvoir. Cette nuit ne laissa en elle qu’un immense vide, pas même une larme ne perla sur ses joues. De frustration en solitude, elle accumula de la colère intérieure, une véritable haine contre cet homme qui se moquait d’elle. Il avait besoin de sa matrice, pas celle autour. Durant des jours et des jours, la situation se renouvela, sans échappatoire, sans chance d’être un jour délivrée. Il voulait la féconder et avoir un héritier mâle. Et rien de plus.

Seulement, lorsque, enfin, l’enfant naquit, ce fut une fille qui vint au monde. De fureur, le tyran donna l’ordre que l’enfant soit abandonné dans le plus grand secret. On ôta alors le poupon à sa mère, en lui faisant comprendre que cela se reproduirait jusqu’à la naissance d’un garçon. De désespoir, elle voulut se suicider, quand un esclave lui conseilla plutôt de lui faire payer amèrement cette horreur. Le serpent avait mordu, le poison coulait dans ses veines. Il fallait le blesser à mort, mais pas le tuer. Le ruiner, le voir s’effondrer de lui-même. Et l’occasion se présenta d’elle-même un jour de faste, un de ces jours où elle n’était qu’une potiche pour la galerie. Elle croisa un empereur ennemi avec qui son époux était en trêve.

L’idée fut simple : fomenter une guerre, créer une alliance entre les ennemis de l’empereur. Ce fut plus si simple que l’histoire ne retint que son rôle de catin, celle qui coucha avec ses ennemis pour la ruine de son empire. Rapidement, les affrontements débutèrent, et ce fut l’orgueil qui vint à bout de la dictature. Toutes les frontières s’embrasèrent, les villes subirent d’effroyables famines, de terrifiants combats, et, grâce aux fonds de son foyer, elle paya même des esclaves pour lever une révolte intérieure. On mit le feu aux greniers, on tua les nobles, exécuta les rebelles, fit subir des représailles sur les familles et des uns et des autres. En arrière plan, elle poussait l’empereur, encore et encore, pour qu’il soit intraitable. On lui conseillait de tergiverser, et elle, perfide, déterminée à le broyer, insistait sur son rôle de tyran. Plus il faiblissait militairement, plus elle avait l’ascendant sur lui, et elle jubilait intérieurement.

Le palais venait d’être anéanti. Elle était assise, là, sur les restes de ce qui fut signe de splendeur et de pouvoir. Il était mort, non le glaive à la main, mais lâchement, implorant ses ennemis de l’épargner. Il fut percé de dizaines de coups de lance, et ses ennemis n’étaient pas des armées, mais son propre peuple, lassé par les guerres et le sang versé. Elle ? Son sort était convenu, elle serait exécutée, passant à la postérité comme étant la destructrice d’Eden, elle, l’épouse d’Adam...

Eve.

2 commentaires:

Thoraval a dit…

Excellent!!! Si limpide, avec à la fin, par le jeu des prénoms, une réécriture du Mythe, est une belle surprise... Possible que cette peau cible fut ainsi blessée. Maudire sans mot dire, belle tactique. Beau texte jubilatoire.

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Merci l'ami... j'avoue avoir jubilé en réécrivant l'histoire, et surtout en fustigeant le rôle de la Femme majuscule, celle que l'on dit coupable. Qui sait?

Moi je sais: nous sommes tous coupables, alors je lui accorde cette explication!