07 juillet 2009

Encore de l’imaginaire

Après avoir abordé la mythologie, l’historique, et même l’anticipation, je change encore de domaine… Hé oui ! Votre râleur s’entêtera encore quelques jours à improviser autre chose que de la chronique !

Bonne lecture (comme toujours) !

« Ah ces jeunes ! » se dit Thomas en observant une bande d’adolescents dansant frénétiquement sur une musique qu’ils entendaient dans leur tête. Depuis l’avènement de la convergence entre l’humain et la machine, les interfaces électroniques neuronales avaient pris le pas sur tout le reste. Plus besoin de casque pour les baladeurs, plus d’équipements tiers pour la téléphonie ou même l’Internet, tout se concentrait dans des implants microscopiques logés dans le corps. Le plus gros des progrès avait surtout été la découverte de polymère permettant d’éviter tout rejet de l’organisme étranger ; on avait nommé cela la fusion. De fait, il était devenu inutile d’avoir un téléphone portable ou bien un terminal pour aller sur le réseau mondial, il suffisait de se concentrer, de songer à sa recherche, et l’équipement se reliait au réseau sans fil pour fournir les données sous forme d’idées mentales, ou bien d’images passant pour être des souvenirs.

Du haut de ses 45 ans, Thomas voyait bien ce changement radical dans la société. Lui-même avait été moteur dans la technologie fut une époque. Développeur de son métier, il s’était énormément intéressé aux intelligences artificielles et il avait même collaboré à quelques projets intéressants dans le domaine. Toutefois, rien ne l’avait préparé à la révolution numérique. En l’espace de dix ans, chacun devint non plus un humain, mais une nouvelle forme d’existence, une identité intégralement informatisée contenant non seulement des données classiques d’identité, mais également des souvenirs et des sentiments. Grâce (ou à cause comme le pensait Thomas) aux interfaces, les gens stockaient sur le réseau des clichés cérébraux de leurs souvenirs et de leurs réactions. Chacun pouvait donc « ressentir » artificiellement un mariage, une relation sexuelle, ou la joie de vivre une naissance. C’était même devenu une nouvelle drogue : l’émotion virtuelle. Les VIFEE (VIrtuals FEElings) pouvaient se partager, mais d’autres se vendaient très cher. Le goût de l’extrême, l’affrontement de la mort cérébrale, certains allaient jusqu’à se payer le frisson final avec les VIFEE’s de condamnés à mort.

Il n’y avait pas que cette dématérialisation qui troublait Thomas. Le quotidien lui-même était devenu bizarre, car s’adaptant à chacun. Le principe de « réalité augmentée » battait son plein : en entrant dans une boutique, ce sont les modèles qui vous correspondaient en taille ou en « goût probable » qui scintillaient dans votre regard. De la même manière, la publicité était totalement ciblée pour chacun. Vous venez d’avoir un enfant ? Le grand panneau dans la rue affichera des réclames animées vous vantant une marque de poussettes. Vous êtes célibataire ? Les réseaux de rencontre se feront un plaisir de vous mettre en relation avec la personne la plus adaptée. Vous avez besoin de faire vos courses ? Le magasin le plus proche vous sera indiqué avec une signalisation propre à votre besoin. Thomas, lui, ayant refusé d’être branché, ne voyait que de grands panneaux vides, et à de rares exceptions des affiches statiques pour que les « non branchés » puissent, eux aussi, « profiter » du matraquage publicitaire.

Pourquoi avait-il refusé ? Peut-être était-ce tout simplement par conscience de l’aspect invasif de la chose. Lui-même développeur, il avait été confronté plusieurs fois à la confidentialité de l’information, au besoin de la protéger, mais aussi au risque de la voir dérobée et manipulée. Sa fille, à présent adolescente, avait choisi, tout comme son épouse, de rejoindre la maille numérique. Ainsi, l’une comme l’autre pouvaient faire leur course tout en déambulant dans Paris, et apprendre en quelques instants une nouvelle langue. Mila… Sa fille, son bijou, n’avait plus besoin d’étudier au sens classique du terme. Histoire ? Connexion au serveur d’information, restitution des dates et évènements. Cours d’anglais ? Récupération des lexiques de l’encyclopédie Britannica et traduction à la volée de ses idées. Cours d’économie ? Récupération des synthèses automatisées sur un serveur dédié… On ne demandait plus aux étudiants d’apprendre, mais de synthétiser l’information, pas de la restituer mais de la comprendre. Ainsi, les cours de langue étaient devenus des cours de philosophie en langue étrangère.

Tout cela le déprimait au plus haut point. Etre un paria dans la société, un « réactionnaire », un de ces hommes qui refusaient le progrès, enfin une certaine conception du progrès. Les états du monde avaient instauré l’équipement systématique des détenus et condamnés, ceci de manière à pouvoir contrôler leurs pulsions et les traquer en cas de fuite. Contrairement au commun des mortels, leurs implants n’étaient pas débrayables. La criminalité avait effectivement baissée, la thérapie génique réduit énormément les naissances d’enfants atteints de maladies rares ou de handicaps, et l’éthique était clairement sur le déclin. Les criminels plus dangereux, ceux nés avant la systématisation des analyses génétiques, se voyaient libérés mais vivant plus comme des automates que comme des humains : manger à heure fixe, travailler à des tâches simples mais automatisées et sans risque…. Des zombies, des morts cérébraux aux pulsions mises en sommeil. Et si l’on appliquait ce traitement à tout le monde, que se passerait-il ? Tous les implants pouvaient potentiellement transformer l’humanité en armée de travailleurs serviles et dépendants du système. Chaque semaine, un cas de piratage cérébral était annoncé, avec pour conséquence des suicides, des attentats, des assassinats, une violence nouvelle où le coupable ne l’était pas forcément. Quoi qu’il en soit, Thomas se félicitait de ne pas être une victime potentielle de cette nouvelle religion : le Web.

Dans le vieux réseau, celui où l’on se connecte par terminal manuel, il y a des gens qui affirment ne plus vouloir vivre dans une société aseptisée, où la moindre trace d’individualité est considérée comme une déviance. Il n’y a pas de censure dans ce monde, les gens ne s’intéressent plus aux écrits de révolte. Pour eux, Octobre rouge est la préhistoire, les guerres une relique effrayante du passé. Pourtant, les états se font encore la guerre, une guerre électronique, les combats se font à distance, on sabote les infrastructures de l’ennemi, on pollue l’information avec une propagande choisie, et l’on se bat par petites unités de soldats interposés. Parfois, des conflits éclatent encore, mais ce sont, selon les critères des pays industrialisés, « le tiers monde technologique se rebellant contre le progrès ». Thomas, lui, cherche presque chaque soir la réponse, la seule vraie raison qui l’a poussé à refuser les implants : pourquoi accepter d’être asservi par la machine ? Et, la machine, est-elle parvenue à une conscience, ceci en partant du principe que chaque cerveau branché est une fraction de cette conscience mondiale ? Qui sait si la manipulation n’est pas l’œuvre d’un système qui s’est emballé, qui en sait trop, qui veut encore en savoir plus sur chacun de nous ? Et qui sont ces « rebelles », ces terroristes du réseau qui, parfois, arrivent à bloquer certains systèmes ?

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