13 juillet 2018

punk

« La laaaa, la la laaaaa… » chante le punk dans la fosse où se débattent les gens comme lui. Ils sont tous vêtus de manière incroyable, un mélange de noir, de kaki, de rouge vif, de cuir et de coton militaire. Les pieds gainés par des rangers, des bottes pour des dr Martens, ils sautent, se percutent, braillent et hurlent. Ils ont tous au cœur la même envie, la même rage, celle de vivre intensément, de sortir de cette routine que l’existence leur impose perpétuellement.

Ils ne respectent plus les conventions, ils gueulent « mort aux cons » à tue-tête sans se soucier de la réaction de la foule. Ils se revendiquent anarchistes, ils se sentent complètement décalés avec les règles que la société leur impose. Rentrer dans le rang ? Ils répondent comme bérurier noir « Vivre libre ou mourir ». Ils considèrent le monde comme une seule unité et pas comme des nations qui se disputent des territoires. Ils détestent l’ordre établi, la trique de la police quand elle sert le capital et non le citoyen, ils haïssent les fascistes, les racistes, les homophobes, ils ont en horreur ceux qui leur expliquent qu’ils doivent être comme tout le monde. A ces moralisateurs ils répondent par le doigt tendu. « Brandis le avant de te le prendre » disent-ils avec conviction et hargne.

La fosse change de mouvement. Le concert continue, et jusqu’à présent la foule avait les poings tendus, on bougeait, sautillait… et là, la masse ondule, elle se percute, s’accroche. Le pogo démarre, on se saute dessus, on se moque de tout, on « danse », on se défoule, et on rit de plus belle à chaque nouvel impact. Ils sont totalement hors de contrôle, ils n’ont pas peur de la blessure ou de l’hématome. Ce qui compte, c’est de se délester de la colère, de vider le trop plein de frustration quotidienne. La foule est dans une transe, ça hurle, ça se piétine même, mais il n’y a pas d’émeute, c’est accepté et même voulu. Il faut se rentrer dedans, hurler de joie, la joie de laisser la bête sortir, l’expulser totalement.

Le groupe se déchaîne, les mots sont durs, brutaux même. Les musiciens gravent leurs propos dans le béton et l’asphalte. Ils ne cisèlent pas, ils ne lissent pas les mots. Tout est brut, âpre, amer et parfois violent. Vulgaire ? Si l’on considère que l’envie de vivre libre est vulgaire, alors oui ils sont vulgaires, sales et méchants. Si l’on prend le fond et la forme, ils sont exactement ce que craignent les intellectuels cambrés sur de petits intérêts personnels : une menace, une contreculture qu’on ne contrôle ni ne bâillonne. Ils sont nés dans les ghettos de béton autour des grandes villes. Ils ont grandi avec pour seul horizon des terrains vagues, le chômage ou l’usine pour un salaire de misère. Ils sont la révolte, ils sont la sueur et les larmes des vains sacrifices de leurs parents.

On les prend pour des ivrognes, pour des paumés, des imbéciles sans but ni avenir. Ils le sont sans l’être, ils sont le désespoir et l’espoir tout à la fois, parce qu’ils constatent la réalité des choses, la condamnation à vie d’être rien ni personne, tout en revendiquant une envie de changement, quitte à ce qu’il soit radical et anarchique. « Sauter dans le vide et mourir, plutôt que de rester sur place » pourrait faire un excellent slogan. Ils sont désormais enragés, ils ont la mauvaise bière qui remonte en nappes dans la tête, ils rigolent, et le groupe monte les décibels jusqu’à la surdité. Tout le monde saute, tout le monde bouge jusqu’à l’épuisement. La nuit n’est plus courte, elle est éternelle et ils sont le feu qui éclaire l’obscurité.

Leurs ainés foutaient déjà le bordel à Londres et Paris dans les années 70. Aujourd’hui, sont-ils nombreux ? Ils sont de moins en moins à rester révoltés, énervés et prêts à battre le pavé. Ont-ils raison ? Sont-ils sur la bonne voie ? Impossible d’en juger, impossible de leur reprocher de vouloir y croire. La seule chose qui perdure, c’est cette énergie, cette dégaine qui hésite entre le treillis et le jean crade, qui arbore les mêmes signes que leurs prédécesseurs. Il y a les groupes légendaires, les textes qui percutent encore trente ans après, il y a toujours cette odeur de bière rance et de sueur dans les concerts… ils sont toujours là, ils sont toujours fous, ivres, excités, prêts à se jeter les uns sur les autres pour exorciser leur sort… ils vivent, ils en veulent au monde entier d’être réduits à subir le quotidien.

Toi mon pote le punk, je te salue et te comprends. Je braille comme toi « ohhh… ohhhh…ohhh » pendant les concerts, je me pourris les tympans avec nos standards, et je pense au quotidien, avec un sourire teinté d’ironie… parce qu’il n’y a ni bon ni mauvais, il n’y a que nous tous, tous coupables, tous innocents.



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