13 juin 2018

A cheval

Il est juché sur sa monture. Il est au trot, lent et assuré, son cheval traînant les sabots pour avancer parmi les cailloux et les buissons d’épineux. Lui, c’est le pauvre type maigrelet, poussiéreux, au teint hâlé, qui erre là dans ce désert aux teints allant de l’ocre au rouge vif, avec pour seule nuance le bleu intense d’un ciel sans nuage. Sa chemise jadis blanche arbore une teinte jaune où la sueur et la crasse se sont mêlées pour former une croute, comme un enduit qui se serait lentement étiolé au gré des éléments. Il a sur la tête un stetson qui lui couvre le regard. Il a chaud, ses joues sont couvertes de perles de sueur, il rêve d’une source, d’un puit, car sa gourde percée par une balle sortie d’un colt a laissé filer tout le précieux liquide qu’elle contenait. Ses mains calleuses tiennent le pommeau de la selle faite d’un cuir clair. Il est épuisé, il a faim, il a soif. Ses jambes ballotent lourdement contre les flancs de sa monture, et les éperons rythment les pas lents du cheval d’un cliquetis métallique aussi léger que sinistre.

Ses yeux scrutent l’horizon. Tout ce qu’il aperçoit, c’est l’air qui ondule à cause de la chaleur. Il n’arrive plus à distinguer quoi que ce soit, à part cette ligne lointaine et floue qui l’entoure. Il y a par ici quelques cactus, des buissons roussis par la chaleur et le manque d’eau, et quelques bestioles tentent de survivre au milieu de ce paysage de désolation. S’il avait un peu plus d’énergie, il aurait pu envisager de chasser un oiseau, un serpent, n’importe quoi à grignoter. Mais là, seule la soif le tiraille suffisamment pour lui indiquer qu’il y a une vraie urgence. On peut supporter quelques jours de disette, mais pas de s’abstenir de boire. Alors, il laisse sa bête être son guide, car l’instinct animal demeure toujours plus fiable que le sens de l’orientation défaillant d’un homme harassé par plusieurs jours de monte sans répit.

Il sombre. Il n’en peut plus. Il s’affaisse et s’écroule sur sa selle. Il se pense condamné.

Il sent de l’eau sur son corps. Le choc du froid contre son être encore brûlant de ce séjour dans le désert le fait littéralement bondir. Il s’éveille, il est plongé dans une petite rivière, son cheval prend un bain et lui manque de se noyer à cause de la panique. Qu’elle est bonne cette eau, qu’elle est rafraîchissante ! Il se met à nager, à faire la brasse, à boire plus que de raison, et à frotter ses vêtements pour en décoller l’épaisse couche de boue qui s’est agglutinée dessus. Il se frotte jusqu’à se faire rougir la peau. Il est si bon de retrouver de l’énergie ! Alors, lentement, il prend conscience que son cheval lui a sauvé la vie, et qu’il mérite des soins attentifs. Il prend alors la bête et se met à lui laver le crin pour le débarrasser des restants de poussière qui collent sur sa toison raide, pour ensuite lui flatter le museau en signe de bienveillance. L’animal, compagnon intelligent, s’ébroue tout en appréciant la caresse que son maître lui offre. Ils sont là, seuls au monde, au milieu d’un désert aussi aride que cruel, avec cette petite rivière en guise de refuge.

Quand on n’a plus soif, on retrouve des forces, et c’est ce qu’il faut pour survivre. Tout d’abord faire du feu car les nuits sont froides dans le désert. Ensuite, aviser, se mettre à l’abri, et envisager de trouver quelque chose à manger. Ca n’est pas tout d’être propre, mais si c’est pour mourir de faim… Les broussailles font un excellent point de départ, et du bois flotté trouvé sur les berges de la rivière donnent lieu à un joyeux spectacle orangé dans la nuit étoilée. La lune est là, elle éclaire ce monde désolé avec une tendresse curieuse. Les ombres dansent, les rochers faisant saillie se découpent plus nettement, et l’on sent dans l’air une atmosphère apaisée. Pourtant, là, dans le noir, les animaux et les insectes eux reprennent leur activité, ils s’agitent pour se nourrir ou pour fuir le prédateur qui les traque. Il a tiré d’une sacoche un grand poncho bariolé et s’en sert comme une couverture. Demain, aux aurores, il faudra repartir et trouver une issue pour rejoindre le premier village pour enfin revenir vers les hommes. D’ici là, il se laisse glisser dans un vrai sommeil réparateur.

Le soleil lui lèche les pieds. Il commence à s’éveiller, tranquillement, en observant son cheval qui broute un fétu de paille. Il méritera sa part d’avoine ou de son, se dit alors l’homme en se redressant. Il a tiré de sa sacoche une cafetière en métal et y a fait bouillir les derniers précieux grains torréfiés. L’odeur du breuvage lui emplit les sens. Il aime ce réveil paisible. Il aime se sentir ainsi à l’abri du monde, de ces trois types qui voulaient sa peau, de ce désert qui reste pour le moment encore un rien agréable avant les chaleurs de la journée. L’aurore est belle, l’horizon est distinct. Il s’oriente, il sait à peu près quel cap tenir, il va aller par-là, vers l’ouest, en espérant croiser un chemin, une piste ou, s’il a encore plus de chance, des rails de chemin de fer.

Pourquoi voulaient-ils le descendre ? Parce qu’il a refusé de leur laisser ses bêtes, ou parce qu’il a sorti son fusil pour se défendre ? Dans un cas comme dans l’autre ils ont échoué à le faire taire, et dès qu’il aura rejoint un village, pour sûr qu’un marshal appréciera son histoire. D’ici là, en bon cowboy rôdé à vivre à la dure, il va retrouver son chemin, survivre et leur montrer à ces trois pourris qu’on ne tire pas sur lui impunément.

Le cheval vient le voir. Lui aussi a faim. Le cowboy tire ses dernières provisions de sa sacoche qui consistent un morceau de bœuf séché et un petit sac de graines. « Allez, mange, tu as mérité que je me passe de ces graines » dit à haute voix l’homme tout en mastiquant le bout de viande dur comme du bois. Un jour ? Deux ? Plus ? Difficile à dire tant la fuite a été longue. Ils ont presque réussi à l’avoir à deux reprises… Mais en cowboy habitué à tenir sur sa monture des heures durant, il a réussi à leur en montrer à ces trois voleurs et assassins ! Le choix le plus dur est à venir : partir en plein jour, sans gourde, ou de nuit au risque de s’égarer. Alors, s’aidant d’un couteau bien affûté, il découpe un bout de cuir dans sa selle pour boucher le flacon, puis tente de le remplir d’eau. Le bricolage tient bon, il pourra faire quelques jours de plus dans ce milieu hostile.

Une fois le café ingurgité, la cafetière rincée et remplie, elle aussi, de cette eau si précieuse, l’équipage reprend son chemin, direction le lointain, en avant vers l’ouest, aussi menaçant que prometteur, aussi sublime qu’il peut être mortel.

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