le 30/04
Il est vouté, comme écrasé par une chose invisible et monstrueuse que lui seul doit subir. L'œil hagard, clairement terni par le manque de sommeil, c'est un petit bonhomme brun dont les dents semblent devoir tomber tant tout son corps est décrépi. Vieux avant l'âge, élimé, il est à l'image de son costume dont l'état est à l'image de son propre délabrement. Et là, assis dans un profond canapé de cuir, il paraît plus petit, presque minuscule et anodin. Ses mains et ses doigts jouent les uns avec les autres, et son agitation laisse penser à quelqu'un dont la fièvre ou la sénilité désagrège la coordination. Sous sa moustache bien entretenue, il bredouille des suites ininterrompues de mots incompréhensibles pour les autres. Pourtant, son apparence ne trahit une trace d'une folie ostensible, il n'a pas cette attitude d'être perdu ou complètement dément… juste celle d'un homme égaré dans ses pensées, broyé par des réalités qui lui sont supérieures.
Soudain, sans aucune raison apparente, il se met à vociférer, à invectiver celles et ceux qui l'entourent. Il est hors de lui, s'acharnant sur toute personne passant à proximité, les traitant de lâches, de traitres, et ajoutant à l'insulte les injures les plus grossières. Ce n'est plus cet homme flétri, sa voix tonne, résonne, ses hurlements profonds font vibrer les cœurs, et terrifient son entourage. Ses proches, ses fidèles scrutent son faciès avec incrédulité. De quoi parle-t-il? Il n'est pourtant pas aveugle ni sourd, il "sait" où il est et ce qu'il se passe. Malheureusement, il leur apparaît clair qu'il ne veut plus être dans la réalité, il est dans le songe, dans l'ivresse des rêves brisés et des fantasmes émasculés. Il avait espéré, cru jusqu'au dernier moment en son destin, et là, la réalité, déterminée par ses propres errements et par ce qu'il appelle "ses ennemis" revient à la charge. Il n'y aura pas de prochain noël pour lui, pas plus que pour celles et ceux qui se raccrochent encore à son image.
Ah, argumente-t-il avec emphase, ah ses amis du passé étaient autrement plus sûrs, plus fermes, plus efficaces que la clique de dégonflés et de profiteurs qui le cernent! Il les voit, lui, les traitres à sa cause, il les sent à présent quand la peur et la mort les menace! Ses gestes sont démesurément agités dans l'air, comme s'il espérait attraper un papillon de nuit qui n'existe pas. Les poches sous les yeux, il s'éteint aussi rapidement qu'il s'est enflammé, et ses bras retombent sur ses flancs dans un claquement de désespoir. C'en est assez se dit-il en maugréant contre la faiblesse des autres quand lui-même se donnait corps et âme à sa cause. Des années de lutte, de politique, tout ça pour finir dans un réduit, le corps brisé et l'âme en peine… De quoi faire déprimer, même les plus robustes et les plus insensibles.
Cependant, ce n'est pas pour les autres qu'il réfléchit à présent. Il considère que s'ils ont perdu, tout le monde devra en payer les conséquences. Il se moque du destin des autres, à tel point que cela ne lui fait aucun effet quand il doit décider du destin de ses collaborateurs. Il s'en fout. Il est las. Il est fatigué de réfléchir pour les autres. Il en a assez de devoir tout leur dire, tout leur expliquer, car pour lui ce qui relève du bon sens est inaccessible au commun des mortels. Des incapables, des mous, des faibles! Grogne-t-il en grignotant un repas ascétique. Tous se bâfrent, ont vécu aux crochets du système, et maintenant qu'il faut se battre pour le sauver, ils fuient, ils ont peur… des pourris!
Ratatiné comme un fruit confit, les yeux plus torves que pétillants, il s'est à nouveau avachi dans son canapé. Les observateurs qui l'ont vu aux dernières réunions l'ont écouté manipuler des équipes dissoutes, discourir sur des choses qui n'existent plus, et donner des ordres parfaitement irréalisables. De peur de le vexer, on s'écrase, on se ratatine, et on fait mine d'obéir. L'aveuglement n'a pas cours: il sait qu'ils font semblant, et eux savent qu'ils ne peuvent pas lui dire la vérité. Deux sourds qui cherchent à se parler de vive voix par téléphone en quelque sorte. Alors, il jette les cartes au sol, il balance les crayons en hurlant sa frustration, il maudit le jour où il a cru pouvoir faire quelque-chose de ce peuple qu'il accuse de s'être engraissé, de s'être perdu dans le luxe et le confort, et sa rage ne fait que croitre quand il songe à l'existence de certains de ses plus proches amis et serviteurs. Des gras, laids, obèses, fainéants et ivrognes ajoute-t-il avec colère et chaleur.
Puis, enfin, il se rend compte de ce qu'il est réellement. Il a été un chef craint, il est devenu un chef honni et traqué, et demain s'il ne fait rien, il sera exhibé comme un trophée par les vainqueurs. Il ne veut pas de ça, pas de procès, pas de lynchage en public! Il a vu un coreligionnaire être pendu et traité comme la pire des souillures, et ça, cette ultime humiliation, il en est hors de question. Alors, il organise son départ, fait en sorte de laisser une trace écrite, une des rares qu'il a daigné signer. L'oral suffisait, mais après la mort seuls les écrits perdurent! Se dit-il en paraphant le document tapé à la machine. Il le jauge, le soupèse, et il est convaincu que ce papier, ces quelques grammes de pulpe de bois seront non pas un testament, mais un mode d'emploi pour les générations futures. Il y croit; il est convaincu que son héritage va survivre par-delà la défaite et le déshonneur. Et il se prépare à partir, fier, orgueilleux, au nez et à la barbe de ses ennemis. Une ultime provocation, un pied de nez à l'histoire, qu'elle soit minuscule dans ce bunker de Berlin, ou majuscule parce qu'il ne sera jamais oublié.
Il se farcit de cyanure puis se fait sauter la cervelle dans la foulée. On brûle sa dépouille et celle de sa femme. On incinère, on ventile les restes pour qu'il n'y ait ni corps, ni même un trophée. D'une Histoire morbide où son obstination sadique a poussé un continent dans la guerre, jusqu'à sa légende absurde disant qu'il aurait fui les ruines, Hitler laisse au monde un héritage bien plus vaste qu'on ne peut décemment l'envisager. Sans cette guerre, les rapports de force est-ouest n'auraient pas atteint l'éventualité d'une guerre froide. Sans cette guerre, les frontières n'auraient pas été redessinées. Sans lui, nous n'aurions pas de nouveaux mots dans notre dictionnaire des atrocités. Sans lui, nous n'aurions jamais pu imaginer que l'on puisse organiser un état de la sorte, en jonglant tantôt avec un ordre glacé et inhumain, une propagande vantant le contraire, et des camps d'extermination génocides.
Hitler est mort il y a 70 ans. Ce fut pour beaucoup le plus beau jour de leur vie. Pour d'autres, ce fut l'heure d'un suicide rituel. Pour les derniers, l'espoir que le conflit s'arrête enfin. Pour moi, c'est une date parmi d'autres, car ce n'est pas un seul homme qui fait tout de ses mains, mais c'est un seul homme qui peut déterminer le sort de l'humanité toute entière.
Soudain, sans aucune raison apparente, il se met à vociférer, à invectiver celles et ceux qui l'entourent. Il est hors de lui, s'acharnant sur toute personne passant à proximité, les traitant de lâches, de traitres, et ajoutant à l'insulte les injures les plus grossières. Ce n'est plus cet homme flétri, sa voix tonne, résonne, ses hurlements profonds font vibrer les cœurs, et terrifient son entourage. Ses proches, ses fidèles scrutent son faciès avec incrédulité. De quoi parle-t-il? Il n'est pourtant pas aveugle ni sourd, il "sait" où il est et ce qu'il se passe. Malheureusement, il leur apparaît clair qu'il ne veut plus être dans la réalité, il est dans le songe, dans l'ivresse des rêves brisés et des fantasmes émasculés. Il avait espéré, cru jusqu'au dernier moment en son destin, et là, la réalité, déterminée par ses propres errements et par ce qu'il appelle "ses ennemis" revient à la charge. Il n'y aura pas de prochain noël pour lui, pas plus que pour celles et ceux qui se raccrochent encore à son image.
Ah, argumente-t-il avec emphase, ah ses amis du passé étaient autrement plus sûrs, plus fermes, plus efficaces que la clique de dégonflés et de profiteurs qui le cernent! Il les voit, lui, les traitres à sa cause, il les sent à présent quand la peur et la mort les menace! Ses gestes sont démesurément agités dans l'air, comme s'il espérait attraper un papillon de nuit qui n'existe pas. Les poches sous les yeux, il s'éteint aussi rapidement qu'il s'est enflammé, et ses bras retombent sur ses flancs dans un claquement de désespoir. C'en est assez se dit-il en maugréant contre la faiblesse des autres quand lui-même se donnait corps et âme à sa cause. Des années de lutte, de politique, tout ça pour finir dans un réduit, le corps brisé et l'âme en peine… De quoi faire déprimer, même les plus robustes et les plus insensibles.
Cependant, ce n'est pas pour les autres qu'il réfléchit à présent. Il considère que s'ils ont perdu, tout le monde devra en payer les conséquences. Il se moque du destin des autres, à tel point que cela ne lui fait aucun effet quand il doit décider du destin de ses collaborateurs. Il s'en fout. Il est las. Il est fatigué de réfléchir pour les autres. Il en a assez de devoir tout leur dire, tout leur expliquer, car pour lui ce qui relève du bon sens est inaccessible au commun des mortels. Des incapables, des mous, des faibles! Grogne-t-il en grignotant un repas ascétique. Tous se bâfrent, ont vécu aux crochets du système, et maintenant qu'il faut se battre pour le sauver, ils fuient, ils ont peur… des pourris!
Ratatiné comme un fruit confit, les yeux plus torves que pétillants, il s'est à nouveau avachi dans son canapé. Les observateurs qui l'ont vu aux dernières réunions l'ont écouté manipuler des équipes dissoutes, discourir sur des choses qui n'existent plus, et donner des ordres parfaitement irréalisables. De peur de le vexer, on s'écrase, on se ratatine, et on fait mine d'obéir. L'aveuglement n'a pas cours: il sait qu'ils font semblant, et eux savent qu'ils ne peuvent pas lui dire la vérité. Deux sourds qui cherchent à se parler de vive voix par téléphone en quelque sorte. Alors, il jette les cartes au sol, il balance les crayons en hurlant sa frustration, il maudit le jour où il a cru pouvoir faire quelque-chose de ce peuple qu'il accuse de s'être engraissé, de s'être perdu dans le luxe et le confort, et sa rage ne fait que croitre quand il songe à l'existence de certains de ses plus proches amis et serviteurs. Des gras, laids, obèses, fainéants et ivrognes ajoute-t-il avec colère et chaleur.
Puis, enfin, il se rend compte de ce qu'il est réellement. Il a été un chef craint, il est devenu un chef honni et traqué, et demain s'il ne fait rien, il sera exhibé comme un trophée par les vainqueurs. Il ne veut pas de ça, pas de procès, pas de lynchage en public! Il a vu un coreligionnaire être pendu et traité comme la pire des souillures, et ça, cette ultime humiliation, il en est hors de question. Alors, il organise son départ, fait en sorte de laisser une trace écrite, une des rares qu'il a daigné signer. L'oral suffisait, mais après la mort seuls les écrits perdurent! Se dit-il en paraphant le document tapé à la machine. Il le jauge, le soupèse, et il est convaincu que ce papier, ces quelques grammes de pulpe de bois seront non pas un testament, mais un mode d'emploi pour les générations futures. Il y croit; il est convaincu que son héritage va survivre par-delà la défaite et le déshonneur. Et il se prépare à partir, fier, orgueilleux, au nez et à la barbe de ses ennemis. Une ultime provocation, un pied de nez à l'histoire, qu'elle soit minuscule dans ce bunker de Berlin, ou majuscule parce qu'il ne sera jamais oublié.
Il se farcit de cyanure puis se fait sauter la cervelle dans la foulée. On brûle sa dépouille et celle de sa femme. On incinère, on ventile les restes pour qu'il n'y ait ni corps, ni même un trophée. D'une Histoire morbide où son obstination sadique a poussé un continent dans la guerre, jusqu'à sa légende absurde disant qu'il aurait fui les ruines, Hitler laisse au monde un héritage bien plus vaste qu'on ne peut décemment l'envisager. Sans cette guerre, les rapports de force est-ouest n'auraient pas atteint l'éventualité d'une guerre froide. Sans cette guerre, les frontières n'auraient pas été redessinées. Sans lui, nous n'aurions pas de nouveaux mots dans notre dictionnaire des atrocités. Sans lui, nous n'aurions jamais pu imaginer que l'on puisse organiser un état de la sorte, en jonglant tantôt avec un ordre glacé et inhumain, une propagande vantant le contraire, et des camps d'extermination génocides.
Hitler est mort il y a 70 ans. Ce fut pour beaucoup le plus beau jour de leur vie. Pour d'autres, ce fut l'heure d'un suicide rituel. Pour les derniers, l'espoir que le conflit s'arrête enfin. Pour moi, c'est une date parmi d'autres, car ce n'est pas un seul homme qui fait tout de ses mains, mais c'est un seul homme qui peut déterminer le sort de l'humanité toute entière.
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