Lettre d'introduction
Je m'étais souvent interrogé concernant la discipline de fer que s'imposait Seiji. Qu'il puisse passer des heures à s'entraîner avant même le lever du soleil me laissait perplexe, mais il ne se contentait pas de l'entretien de son art martial. En effet, il tirait un grand plaisir de se pousser à l'excellence dans divers domaines, que ce soit la calligraphie dont il maîtrisait nombre de techniques, mais également le dessin, l'écriture, ou encore les métiers manuels. Il s'amusait clairement de mes doutes, notamment quand il favorisait l'achat de papier de riz pour ses arts, à la consommation d'un repas si frugal qu'il fut. Je me souviens nettement avoir dévoré un ramen sous ses yeux, tandis que lui s'était acheté un pot d'encre et un pinceau en poil de sanglier. Je fus alors spectateur d'une grande concentration, de nombre de regards interrogatifs à l'encontre du papier vierge, puis de grands gestes précis, efficaces, et pourtant rapides à l'extrême. En quelques instants, je vis apparaître un haïku qui disait ceci:
La cueillir quel dommage !
La laisser quel dommage !
Ah ! Cette violette.
Je lui souris en l'interrogeant sur qui était cette violette. Il me sourit largement, et en guise de réponse il me montra un bosquet de fleurs sauvages. J'étais encore plus perplexe à sa réponse, et il répondit "Une fleur, comme une femme, sont des paradoxes. On désire les cueillir, mais le faire les détruire, et les laisser nous condamne à abandonner leur beauté, si éphémère qu'elle soit". Moi qui le croyais débarrassé des contingences de l'amour… Quoique, je ne l'avais jamais vu s'approcher des maisons de plaisir, ou même céder aux avances d'une voyageuse un peu délurée.
Nous avions passés une région où seuls de petits villages de paysans nous donnaient l'occasion de changer de la monotonie de la route. Les immenses étendues vertes des rizières n'avaient que rarement l'occasion de disputer l'espace à des bambouseraies, et quelques forêts nous permettaient de faire varier le paysage. Cependant, je commençais sérieusement à me lasser de cette perpétuelle alternance de champs inondes, de vallons arborés, donnant ensuite sur une autre plaine noyée artificiellement. J'en étais venu à espérer que l'on croise quelqu'un, qu'on fasse un bout de chemin avec un étranger, rien que pour rompre avec cette impression de déjà-vu qui me hantait. Malheureusement, en dehors des quelques commerçants allant d'un village à un autre, il n'y eut personne avec qui disserter. Cette solitude n'était pas pénible au rônin en tout cas, puisqu'il disait se contenter de ma seule présence. En tout cas, je fus ravi que nous fassions une halte dans un village un peu plus grand que les autres. C'était sûrement un village de relai quelconque, ou bien ayant une spécialité, car la foule y était plus dense et bigarrée. C'était l'occasion de nous reposer, d'avoir de nouveau des contacts humains, et de refaire notre bagage de vivres.
Le village était construit au cordeau, avec des maisons basses à un étage, toutes bâties autour d'un treillis de rues et ruelles à l'équerre. Le sol était en terre battue, et les pluies abondantes avaient laissées des rigoles encore boueuses, ainsi que de nombreuses flaques au teint ocré. Toutes les maisons étaient sur de petits pilotis, afin d'isoler le plancher du terrain qui devait sûrement être régulièrement inondé, et les portes débouchaient sur des plateformes formées par des rondins à peine équarris. L'activité était intense, entre les commerçants avec leurs étals directement sur des plateaux, les passants, les porteurs chargés de marchandises, et les attelages tractant des urnes de grain ou d'alcool, j'eus plus l'impression de traverser un très grand marché à ciel ouvert, que d'arpenter un village pittoresque de plus. Les hôtels, les auberges, les restaurants étaient très nombreux, avec leurs entrées formées par des draps peints et calligraphiés. On entendait nettement el brouhaha des clients ayant abusé de l'alcool, ainsi que l'entrechoc des écuelles de bois servant de vaisselle. Nous passions littéralement inaperçu, tant les passants étaient dissemblables, à tel point que les commerçants n'avaient pour ainsi dire pas à héler le client.
Comme à son habitude, Seiji s'occupa plus d'art que d'alimentaire, en s'arrêtant à de nombreuses reprises près des œuvres d'artisans aussi bien locaux, que de charrettes dégorgeant littéralement de produits manufacturés. Tout fut prétexte à discussion: le temps de cuisson d'une outre brune pas même vernie, la manière de fixer les lanières sur une sandale de bois, ou encore les outils servant à tresser la paille de riz pour en faire des hottes ou des chapeaux. Inspiré, littéralement aspiré dans une étude méditative, le samouraï était complètement absorbé par la contemplation d'un tabouret pourtant fort simple et sans fioriture. Je ne comprenais absolument pas en quoi ces bouts de bois assemblés simplement, avec soin certes, pouvaient révéler quoi que ce soit d'intéressant sur son fabricant. Seiji se mit à discuter avec le vendeur, qui, ravi de voir qu'un véritable amateur puisse l'interroger aussi finement sur son métier, lui proposa de passer le voir à son atelier le soir venu. Celui-ci était juste derrière l'étal, et en étant attentif on pouvait entendre le crissement de la serpette sur le bois, le chant de la scie sur les troncs dénudés de leur écorce, et même le rythme saccadé des chocs du marteau enfonçant des chevilles. Cela ravit mon camarade qui, en guise de remerciement pour ma patience, m'offrit un bon repas fait de brochettes grillées.
Tous deux assis devant le grill du stand, nous étions entourés par la fumée du bois se consumant en braises, et littéralement oints par la graisse coulant des morceaux de bœuf qui fondaient lentement. Le cuisinier était une femme assez âgée, au visage raviné par le temps et le travail, mais dont le sourire large et franc modifiait totalement la physionomie. On aurait pu la croire tirée d'un conte pour enfants, sous la forme d'une gentille sorcière, ou bien d'une divinité bienfaitrice des bois. Elle nous offrit ses connaissances du village, le pourquoi d'une telle agitation, et puis quelques "bonnes" adresse. Nous eûmes le sourire, car dans le fond les commerçants sont toujours solidaires, même s'ils se prétendent concurrents. La cohue provenait du fait que la majorité des producteurs de céramique et d'ustensiles en terre cuite s'étaient regroupée dans ce village, de par sa proximité d'une argile idéale pour la poterie, et de son ruisseau au cours toujours vaillant quelque-soit la période de l'année. De fait, il y avait effectivement de nombreuses cheminées vomissant une suie sombre, signe des très nombreux fours en activité dans le secteur. Alors, non seulement l'hôtellerie s'était développée, mais également les bûcherons pour alimenter les fours, et surtout une ribambelle de carrières fournissant la terre aux artisans potiers. Je me dis alors que mon ami aurait pu s'intéresser plus aux pots qu'au travail du bois, ce à quoi il répondit "la grande série se fait de manière méthodique, sans âme ni passion, alors que cet artisan, lui, travaille le bois avec amour et respect pour le produit. Vous verrez de vous-même mon ami, car nous irons le voir dès ce soir".
La nuit venue, après avoir pris une chambre simple mais propre dans une auberge, nous revînmes dans la ruelle de l'artisan menuisier. Celui-ci avait remballé ses marchandises, et nous guettait sur le pas de sa porte grande ouverte. Souriant, affable, il nous invita à pénétrer l'atelier pour en découvrir les secrets. Cet endroit me fit cette étrange sensation que l'on a quand l'intérieur est bien plus vaste que l'extérieur ne le laisse supposer. Toute la gauche de la bâtisse d'un seul étage était dévolue aux métiers du bas, tandis que la droite, derrière des portes coulissantes, servaient tant de pièces de vie, que de locaux de stockage. Il y avait une invraisemblable quantité d'outils pendus à des ficelles ou des clous, des tas de planchettes, troncs frais ou très secs, le tout encombrant les poutres du toit, ou encore les établis dispersés dans la grande pièce unique. Des monticules de sciure et de copeaux formaient des buttes brunes au pied des tables, et l'on aurait presque pu croire que ces débris étaient non pas le reste d'un travail, mais bel et bien le sol même de l'endroit. Pendus depuis le plafond, il y avait un stock conséquent de pièces déjà terminées, comme des chaises, des tabourets, des planches pour faire des bancs ou des volets, et même quelques pièces plus ouvragées. Ces ornements n'auraient pas eu l'air ridicule dans des demeures bourgeoises ou des temples, tant le travail m'apparut aussi fin que de qualité. Les ouvriers ici étaient donc clairement talentueux, et je dus me résoudre à reconnaître mon erreur. Mon ami avait, et ce du premier coup d'œil, détecté la compétence de l'atelier, ceci à travers une pièce qui n'avait de simple que l'apparence.
Ravi de l'attention que portait le samouraï à son œuvre, nous fûmes donc guidés à travers le dédale d'ouvrages en cours, et à chaque pas le rônin posa une question pertinente. "Quel outil", ou encore "Pourquoi faire ainsi?", il n'avait de cesse de s'instruire. Pour ma part, je le crus inculte en menuiserie, mais ce n'était encore une fois qu'une apparence bien trompeuse. Les regards du maître artisan trahissaient sa surprise, car Seiji n'avaient que de "bonnes" questions à lui adresser. Ainsi, l'homme partageait son savoir-faire avec un expert, ou en tout cas un amateur suffisamment éclairé pour le comprendre. C'est en les écoutant que je saisis ce que Seiji avait vu, et que j'avais raté: courber le bois, le faire se plier à la volonté de l'homme n'est pas simple, d'autant plus si l'on veut faire croire que le cintrage est naturel et non pas forcé. Tout un art, une maîtrise du matériau. Cela avait immédiatement marqué le rônin, tandis que moi, je m'étais contenté de voir un tabouret de plus dans un capharnaüm de bouts de bois.
Une fois les explications terminées, l'artisan nous proposa de boire un verre en sa compagnie. J'en fus flatté, mais Seiji, lui, déclara qu'il n'était pas question d'abuser de son hospitalité, et encore moins de sa généreuse visite. En revanche, il nous invita à aller boire ensemble dans la taverne de notre choix. Dès lors, nous sortîmes pour vider quelques verres de saké, pour revenir clairement échauffés par la consommation de l'alcool de riz.
Nous eûmes donc tous une nuit lourde, sans rêve, juste ponctuée de nos ronflements respectifs. Au petit matin, Seiji et moi fûmes tirés de notre sommeil par l'artisan. Celui-ci avait été si favorablement impressionné par mon camarade qu'il nous proposa quelque-chose d'imprévu. Selon lui, sa réputation était telle dans certaines parties du pays qu'une simple lettre de recommandation de sa main nous faciliterait certainement le voyage. Tels de vieux amis se connaissant depuis toujours, les deux hommes se saluèrent avec chaleur et respect, puis le commerçant repartit en laissant au pied de notre couche un rouleau de papier. Dessus l'on pouvait lire "Moi, Hondo Shôsôin garantit la bonne moralité des deux porteurs de ce rouleau, à savoir Seiji Masaru et Takechi Ono, et demande à ce qu'on leur accorde l'hospitalité en mon nom". Seiji s'assit en tailleur, lut le rouleau, et sourit largement. "Voilà qui est flatteur", dit-il en refermant le papier. Puis, lentement, il se redressa et prit ses affaires. "Allons-y", me lança-t-il avant d'ouvrir la porte coulissante de la chambre. Je me levai, pris mes affaires, et descendis dans la rue à sa suite. "ET pour aller où?", dis-je en scrutant les alentours. "Là où ce parchemin nous ouvrira quelques portes", puis il s'orienta jusqu'à la rue principale, pour reprendre la direction que nous tenions depuis des jours entiers.
La cueillir quel dommage !
La laisser quel dommage !
Ah ! Cette violette.
Je lui souris en l'interrogeant sur qui était cette violette. Il me sourit largement, et en guise de réponse il me montra un bosquet de fleurs sauvages. J'étais encore plus perplexe à sa réponse, et il répondit "Une fleur, comme une femme, sont des paradoxes. On désire les cueillir, mais le faire les détruire, et les laisser nous condamne à abandonner leur beauté, si éphémère qu'elle soit". Moi qui le croyais débarrassé des contingences de l'amour… Quoique, je ne l'avais jamais vu s'approcher des maisons de plaisir, ou même céder aux avances d'une voyageuse un peu délurée.
Nous avions passés une région où seuls de petits villages de paysans nous donnaient l'occasion de changer de la monotonie de la route. Les immenses étendues vertes des rizières n'avaient que rarement l'occasion de disputer l'espace à des bambouseraies, et quelques forêts nous permettaient de faire varier le paysage. Cependant, je commençais sérieusement à me lasser de cette perpétuelle alternance de champs inondes, de vallons arborés, donnant ensuite sur une autre plaine noyée artificiellement. J'en étais venu à espérer que l'on croise quelqu'un, qu'on fasse un bout de chemin avec un étranger, rien que pour rompre avec cette impression de déjà-vu qui me hantait. Malheureusement, en dehors des quelques commerçants allant d'un village à un autre, il n'y eut personne avec qui disserter. Cette solitude n'était pas pénible au rônin en tout cas, puisqu'il disait se contenter de ma seule présence. En tout cas, je fus ravi que nous fassions une halte dans un village un peu plus grand que les autres. C'était sûrement un village de relai quelconque, ou bien ayant une spécialité, car la foule y était plus dense et bigarrée. C'était l'occasion de nous reposer, d'avoir de nouveau des contacts humains, et de refaire notre bagage de vivres.
Le village était construit au cordeau, avec des maisons basses à un étage, toutes bâties autour d'un treillis de rues et ruelles à l'équerre. Le sol était en terre battue, et les pluies abondantes avaient laissées des rigoles encore boueuses, ainsi que de nombreuses flaques au teint ocré. Toutes les maisons étaient sur de petits pilotis, afin d'isoler le plancher du terrain qui devait sûrement être régulièrement inondé, et les portes débouchaient sur des plateformes formées par des rondins à peine équarris. L'activité était intense, entre les commerçants avec leurs étals directement sur des plateaux, les passants, les porteurs chargés de marchandises, et les attelages tractant des urnes de grain ou d'alcool, j'eus plus l'impression de traverser un très grand marché à ciel ouvert, que d'arpenter un village pittoresque de plus. Les hôtels, les auberges, les restaurants étaient très nombreux, avec leurs entrées formées par des draps peints et calligraphiés. On entendait nettement el brouhaha des clients ayant abusé de l'alcool, ainsi que l'entrechoc des écuelles de bois servant de vaisselle. Nous passions littéralement inaperçu, tant les passants étaient dissemblables, à tel point que les commerçants n'avaient pour ainsi dire pas à héler le client.
Comme à son habitude, Seiji s'occupa plus d'art que d'alimentaire, en s'arrêtant à de nombreuses reprises près des œuvres d'artisans aussi bien locaux, que de charrettes dégorgeant littéralement de produits manufacturés. Tout fut prétexte à discussion: le temps de cuisson d'une outre brune pas même vernie, la manière de fixer les lanières sur une sandale de bois, ou encore les outils servant à tresser la paille de riz pour en faire des hottes ou des chapeaux. Inspiré, littéralement aspiré dans une étude méditative, le samouraï était complètement absorbé par la contemplation d'un tabouret pourtant fort simple et sans fioriture. Je ne comprenais absolument pas en quoi ces bouts de bois assemblés simplement, avec soin certes, pouvaient révéler quoi que ce soit d'intéressant sur son fabricant. Seiji se mit à discuter avec le vendeur, qui, ravi de voir qu'un véritable amateur puisse l'interroger aussi finement sur son métier, lui proposa de passer le voir à son atelier le soir venu. Celui-ci était juste derrière l'étal, et en étant attentif on pouvait entendre le crissement de la serpette sur le bois, le chant de la scie sur les troncs dénudés de leur écorce, et même le rythme saccadé des chocs du marteau enfonçant des chevilles. Cela ravit mon camarade qui, en guise de remerciement pour ma patience, m'offrit un bon repas fait de brochettes grillées.
Tous deux assis devant le grill du stand, nous étions entourés par la fumée du bois se consumant en braises, et littéralement oints par la graisse coulant des morceaux de bœuf qui fondaient lentement. Le cuisinier était une femme assez âgée, au visage raviné par le temps et le travail, mais dont le sourire large et franc modifiait totalement la physionomie. On aurait pu la croire tirée d'un conte pour enfants, sous la forme d'une gentille sorcière, ou bien d'une divinité bienfaitrice des bois. Elle nous offrit ses connaissances du village, le pourquoi d'une telle agitation, et puis quelques "bonnes" adresse. Nous eûmes le sourire, car dans le fond les commerçants sont toujours solidaires, même s'ils se prétendent concurrents. La cohue provenait du fait que la majorité des producteurs de céramique et d'ustensiles en terre cuite s'étaient regroupée dans ce village, de par sa proximité d'une argile idéale pour la poterie, et de son ruisseau au cours toujours vaillant quelque-soit la période de l'année. De fait, il y avait effectivement de nombreuses cheminées vomissant une suie sombre, signe des très nombreux fours en activité dans le secteur. Alors, non seulement l'hôtellerie s'était développée, mais également les bûcherons pour alimenter les fours, et surtout une ribambelle de carrières fournissant la terre aux artisans potiers. Je me dis alors que mon ami aurait pu s'intéresser plus aux pots qu'au travail du bois, ce à quoi il répondit "la grande série se fait de manière méthodique, sans âme ni passion, alors que cet artisan, lui, travaille le bois avec amour et respect pour le produit. Vous verrez de vous-même mon ami, car nous irons le voir dès ce soir".
La nuit venue, après avoir pris une chambre simple mais propre dans une auberge, nous revînmes dans la ruelle de l'artisan menuisier. Celui-ci avait remballé ses marchandises, et nous guettait sur le pas de sa porte grande ouverte. Souriant, affable, il nous invita à pénétrer l'atelier pour en découvrir les secrets. Cet endroit me fit cette étrange sensation que l'on a quand l'intérieur est bien plus vaste que l'extérieur ne le laisse supposer. Toute la gauche de la bâtisse d'un seul étage était dévolue aux métiers du bas, tandis que la droite, derrière des portes coulissantes, servaient tant de pièces de vie, que de locaux de stockage. Il y avait une invraisemblable quantité d'outils pendus à des ficelles ou des clous, des tas de planchettes, troncs frais ou très secs, le tout encombrant les poutres du toit, ou encore les établis dispersés dans la grande pièce unique. Des monticules de sciure et de copeaux formaient des buttes brunes au pied des tables, et l'on aurait presque pu croire que ces débris étaient non pas le reste d'un travail, mais bel et bien le sol même de l'endroit. Pendus depuis le plafond, il y avait un stock conséquent de pièces déjà terminées, comme des chaises, des tabourets, des planches pour faire des bancs ou des volets, et même quelques pièces plus ouvragées. Ces ornements n'auraient pas eu l'air ridicule dans des demeures bourgeoises ou des temples, tant le travail m'apparut aussi fin que de qualité. Les ouvriers ici étaient donc clairement talentueux, et je dus me résoudre à reconnaître mon erreur. Mon ami avait, et ce du premier coup d'œil, détecté la compétence de l'atelier, ceci à travers une pièce qui n'avait de simple que l'apparence.
Ravi de l'attention que portait le samouraï à son œuvre, nous fûmes donc guidés à travers le dédale d'ouvrages en cours, et à chaque pas le rônin posa une question pertinente. "Quel outil", ou encore "Pourquoi faire ainsi?", il n'avait de cesse de s'instruire. Pour ma part, je le crus inculte en menuiserie, mais ce n'était encore une fois qu'une apparence bien trompeuse. Les regards du maître artisan trahissaient sa surprise, car Seiji n'avaient que de "bonnes" questions à lui adresser. Ainsi, l'homme partageait son savoir-faire avec un expert, ou en tout cas un amateur suffisamment éclairé pour le comprendre. C'est en les écoutant que je saisis ce que Seiji avait vu, et que j'avais raté: courber le bois, le faire se plier à la volonté de l'homme n'est pas simple, d'autant plus si l'on veut faire croire que le cintrage est naturel et non pas forcé. Tout un art, une maîtrise du matériau. Cela avait immédiatement marqué le rônin, tandis que moi, je m'étais contenté de voir un tabouret de plus dans un capharnaüm de bouts de bois.
Une fois les explications terminées, l'artisan nous proposa de boire un verre en sa compagnie. J'en fus flatté, mais Seiji, lui, déclara qu'il n'était pas question d'abuser de son hospitalité, et encore moins de sa généreuse visite. En revanche, il nous invita à aller boire ensemble dans la taverne de notre choix. Dès lors, nous sortîmes pour vider quelques verres de saké, pour revenir clairement échauffés par la consommation de l'alcool de riz.
Nous eûmes donc tous une nuit lourde, sans rêve, juste ponctuée de nos ronflements respectifs. Au petit matin, Seiji et moi fûmes tirés de notre sommeil par l'artisan. Celui-ci avait été si favorablement impressionné par mon camarade qu'il nous proposa quelque-chose d'imprévu. Selon lui, sa réputation était telle dans certaines parties du pays qu'une simple lettre de recommandation de sa main nous faciliterait certainement le voyage. Tels de vieux amis se connaissant depuis toujours, les deux hommes se saluèrent avec chaleur et respect, puis le commerçant repartit en laissant au pied de notre couche un rouleau de papier. Dessus l'on pouvait lire "Moi, Hondo Shôsôin garantit la bonne moralité des deux porteurs de ce rouleau, à savoir Seiji Masaru et Takechi Ono, et demande à ce qu'on leur accorde l'hospitalité en mon nom". Seiji s'assit en tailleur, lut le rouleau, et sourit largement. "Voilà qui est flatteur", dit-il en refermant le papier. Puis, lentement, il se redressa et prit ses affaires. "Allons-y", me lança-t-il avant d'ouvrir la porte coulissante de la chambre. Je me levai, pris mes affaires, et descendis dans la rue à sa suite. "ET pour aller où?", dis-je en scrutant les alentours. "Là où ce parchemin nous ouvrira quelques portes", puis il s'orienta jusqu'à la rue principale, pour reprendre la direction que nous tenions depuis des jours entiers.
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