Géniteurs
Qu'ils étaient fiers de cette naissance, qu'ils voyaient en cet enfant prodige un magnifique avenir pour l'humanité! Ils s'étaient penchés sur son berceau avec cette tendresse qu'on a quand on veut faire pour le mieux, et tous se disaient qu'ils avaient bâti là une nouvelle façon d'envisager le progrès. C'était ainsi, ils ne voyaient que les bons côtés, bien généralement on occulte les aspects sombres de nos idées, de peur de se tromper, ou plus simplement d'en affronter toutes les incohérences, voire même les horreurs.
C'était donc un projet faramineux, où chacun avait donné de soi, à tel point qu'ils se disaient tous "pères", comme si une paternité pouvait vraiment se partager. Quoi qu'il fut dans les faits, on reconnut surtout à Robert la plus grande part de la réussite du projet, ce qui ne manqua pas de créer des remous une fois que l'affaire fut divulguée au public. Qu'en était-il réellement? Leur petit garçon était si différent de tout ce qui avait été vu auparavant qu'il y avait une crainte terrible de déclencher d'énormes cataclysmes, à tel point que certains allèrent même jusqu'à poser l'hypothèse que sa naissance signait l'arrêt de mort des Hommes. Est-ce que cela fut le cas? D'une certaine manière, oui, puisque depuis la naissance de cet enfant, le monde ne fut plus jamais le même. Il y eut donc un avant et après l'accouchement: avant, on se disait que l'homme ne se détruirait pas lui-même... Après, il en serait tout autrement.
Les travaux représentèrent des milliers d'heures de réflexion et d'analyses. On mobilisa une communauté scientifique gigantesque, et ce sans que le secret soit éventé. Le plus fabuleux, ce fut de parvenir à un résultat pratique, quand les calculs eux-mêmes paraissaient douteux. Robert, en père consciencieux, fit comme tous ses collègues en se penchant sur le berceau de l'enfant: il douta. A de nombreuses reprises, il s'interrogea sur ce qu'il était en train de créer. Etait-ce vraiment une piste à suivre? Fallait-il que l'enfant naisse et qu'il soit utilisé dans la politique mondiale? Comme si un seul enfant pouvait changer le monde! Pourtant, avec une candeur frôlant probablement l'aveuglement, tous continuèrent à chercher, à manipuler inlassablement des millions de valeurs si fragiles qu'on se disait secrètement "ça ne marchera probablement pas". Et pourtant, ils fallait réussir, l'avenir en dépendait, du moins tous en avaient la conviction.
Furent-ils pris dans la tourmente de l'urgence? Devaient-ils réfléchir au-delà des évidences de l'instant? L'histoire, impitoyable et froid observateur de notre passage dans le temps, se moquerait bien leurs états d'âmes. Alors, ces pères et ces mères, ces créateurs, ces inventeurs impétueux finirent par donner un couffin et une mère porteuse à l'enfant: Enola. La mère était prête, portant le lourd bambin dans ses entrailles, prête à déclencher cette naissance au moment voulu. Tout était donc en route pour écrire l'histoire, et chacun observa avec anxiété le fils, ce fils à tous, ce fils de personne, ce gosse qui serait un nouveau pas dans l'existence de l'humanité. Certains se signèrent en se disant qu'ils venaient de changer le monde. D'autres eurent sûrement un haut le coeur en observant le départ de la mère et de son enfant dans ses entrailles.
Enola voyagea longuement au-dessus des océans, jusqu'à parvenir à l'endroit qui lui avait été désigné au dernier moment. C'était l'instant fatidique, et la décision fut prise de mener à son terme la mission...
...Ce matin du 6 Août 1945, au-dessus d'Hiroshima, L'Enola Gay largua Little Boy sur le Japon.
Ce jour là, Robert Oppenheimer put constater que la bombe atomique fonctionnait.
Ce jour là, le monde fut changé à jamais par le petit enfant de toute une communauté de scientifiques aussi enthousiastes que patriotes.
C'était donc un projet faramineux, où chacun avait donné de soi, à tel point qu'ils se disaient tous "pères", comme si une paternité pouvait vraiment se partager. Quoi qu'il fut dans les faits, on reconnut surtout à Robert la plus grande part de la réussite du projet, ce qui ne manqua pas de créer des remous une fois que l'affaire fut divulguée au public. Qu'en était-il réellement? Leur petit garçon était si différent de tout ce qui avait été vu auparavant qu'il y avait une crainte terrible de déclencher d'énormes cataclysmes, à tel point que certains allèrent même jusqu'à poser l'hypothèse que sa naissance signait l'arrêt de mort des Hommes. Est-ce que cela fut le cas? D'une certaine manière, oui, puisque depuis la naissance de cet enfant, le monde ne fut plus jamais le même. Il y eut donc un avant et après l'accouchement: avant, on se disait que l'homme ne se détruirait pas lui-même... Après, il en serait tout autrement.
Les travaux représentèrent des milliers d'heures de réflexion et d'analyses. On mobilisa une communauté scientifique gigantesque, et ce sans que le secret soit éventé. Le plus fabuleux, ce fut de parvenir à un résultat pratique, quand les calculs eux-mêmes paraissaient douteux. Robert, en père consciencieux, fit comme tous ses collègues en se penchant sur le berceau de l'enfant: il douta. A de nombreuses reprises, il s'interrogea sur ce qu'il était en train de créer. Etait-ce vraiment une piste à suivre? Fallait-il que l'enfant naisse et qu'il soit utilisé dans la politique mondiale? Comme si un seul enfant pouvait changer le monde! Pourtant, avec une candeur frôlant probablement l'aveuglement, tous continuèrent à chercher, à manipuler inlassablement des millions de valeurs si fragiles qu'on se disait secrètement "ça ne marchera probablement pas". Et pourtant, ils fallait réussir, l'avenir en dépendait, du moins tous en avaient la conviction.
Furent-ils pris dans la tourmente de l'urgence? Devaient-ils réfléchir au-delà des évidences de l'instant? L'histoire, impitoyable et froid observateur de notre passage dans le temps, se moquerait bien leurs états d'âmes. Alors, ces pères et ces mères, ces créateurs, ces inventeurs impétueux finirent par donner un couffin et une mère porteuse à l'enfant: Enola. La mère était prête, portant le lourd bambin dans ses entrailles, prête à déclencher cette naissance au moment voulu. Tout était donc en route pour écrire l'histoire, et chacun observa avec anxiété le fils, ce fils à tous, ce fils de personne, ce gosse qui serait un nouveau pas dans l'existence de l'humanité. Certains se signèrent en se disant qu'ils venaient de changer le monde. D'autres eurent sûrement un haut le coeur en observant le départ de la mère et de son enfant dans ses entrailles.
Enola voyagea longuement au-dessus des océans, jusqu'à parvenir à l'endroit qui lui avait été désigné au dernier moment. C'était l'instant fatidique, et la décision fut prise de mener à son terme la mission...
...Ce matin du 6 Août 1945, au-dessus d'Hiroshima, L'Enola Gay largua Little Boy sur le Japon.
Ce jour là, Robert Oppenheimer put constater que la bombe atomique fonctionnait.
Ce jour là, le monde fut changé à jamais par le petit enfant de toute une communauté de scientifiques aussi enthousiastes que patriotes.
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