Fine lame
Derrière le mur d'enceinte de l'immense demeure se tenait un conciliabule animé où, comme souvent, les propos pourtant réfléchis semblaient être détériorés par l'abus d'alcool. Ils étaient une dizaine, tous assis en tailleur autour d'une table basse, dissertant bruyamment des bienfaits et des méfaits d'avoir de la concurrence dans leur secteur d'influence. C'étaient tous des hommes robustes, dans le bel âge, et portant ostensiblement les symboles de leur appartenance à leur clan. Tant les tatouages, que les vêtements marquaient leur richesse, mais également le fait qu'ils étaient tous des hommes qu'on n'aime pas à fréquenter. C'étaient de ces voyous embourgeoisés qui se prenaient pour des samouraïs, sans pour autant en avoir ni l'instruction, ni l'art du sabre. Certains n'étaient pour autant pas mauvais, mais cela n'avait rien à voir avec la discipline personnelle. L'art de tuer peut également s'apprendre sur le tas. Bien que mal dégrossis, ils étaient donc tout de même dangereux et craints dans la région. Le seigneur de la région lui-même les laissait agir à leur guise, tant ils sentaient qu'une action contre eux pourrait mener à un bain de sang.
Ils buvaient et mangeaient, braillant des ordres aux serviteurs, se montrant aussi malpolis que grotesques avec les dames de compagnie, et allant même jusqu'à esquisser des tentatives ridicules de danses autour de la table. Cependant, parmi eux, deux hommes dissertaient au milieu du brouhaha avec un sérieux affecté. Ils s'étaient penchés l'un vers l'autre, et se répondaient à voix presque basse, comme pour taire leurs propos aux autres personnes jointes à la soirée. L'un et l'autre étaient plus âgés que ceux cernant la pièce, et leurs positions en bout de table marquaient clairement qu'ils étaient les chefs. Des mots courts, presque furtifs, passaient de l'un à l'autre au creux de l'oreille. Le plus âgé des deux, dégarni, au crâne brillant, lança à son voisin qu'il leur fallait agir au plus vite contre le rônin qui errait dans leur secteur. Celui-ci avait déjà éliminé trois de leurs hommes, et que cela pouvait devenir un signe de faiblesse que de le laisser en vie. Son voisin acquiesça, et répondit qu'il leur fallait un expert, un type plus robuste que leurs hommes de main. La décision fut validée d'un simple croisement des regards: il fallait un mercenaire sachant manier l'épée, ou alors s'équiper d'arquebuses. Seulement, cette dernière solution était non seulement trop coûteuse, mais surtout trop voyante. Le seigneur lui-même ne laisserait pas passer une telle chose, et l'on enverrait l'armée pour régler cela… Une fois pour toute. Donc, il fallait un bretteur, un assassin expérimenté.
Il avait croisé le fer avec trois canailles, trois imbéciles qui trichaient aux dés. Ces imbéciles plumaient sans vergogne les joueurs de la salle, et lui, excédé, les avaient discrètement invités à cesser l'escroquerie. Si les paysans du village n'y voyaient que du feu, lui refuserait de se faire rouler. Accuser un yakuza de tricher, c'est le meilleur moyen de le mettre en colère, ce qui ne tarda pas à les faire sortir du tripot et tirer le sabre contre leur accusateur. Idiotie funeste, puisqu'ils furent tous les trois tués sans la moindre difficulté. Le rônin n'avait même pas daigné déposer son paquet qu'il portait sur le dos pour les affronter. Toujours est-il qu'il savait dorénavant qu'il n'aurait ni le gîte, ni le couvert chez qui que ce soit. Même l'aubergiste savait ce qu'il s'était passé, et l'aider aurait été le meilleur moyen d'inciter le reste du clan mafieux à venir "lui faire la leçon". En conséquence, le samouraï sans maître passa les deux jours suivants à dormir dans une étable abandonnée, et à pêcher dans une petite rivière pour se nourrir. Il ne partirait pas sans s'être expliqué avec le chef de clan, afin que cela ne dégénère pas. Cependant, fallait-il qu'apaise quoi que ce soit, ou qu'il finisse ce travail involontairement commencé avec son sabre?
Au petit matin du troisième jour, il s'était décidé non pas à aller discuter en pure perte, mais à quitter ce village, et donc laisser s'enterrer ce problème avec les corps des trois tricheurs. Le clan avait financé la mise en terre, et un prêtre s'était déplacé pour leur donner un enterrement décent. Voilà qui était cocasse tout de même, des gens corrompus demandant la bénédiction d'un être supposé pur. Comme quoi, la morale et l'argent ne font jamais bon ménage. Il pardonna au prêtre cet écart en se disant qu'une âme a le droit au salut, même si elle était aussi noire qu'un ciel sans étoile. En longeant le cimetière, il allait rejoindre la grand-route quittant le village pour les montagnes, quand un groupe d'hommes armés s'interposa en le menaçant. On "l'invitait" à venir voir le chef de clan pour s'expliquer. Ils étaient trop nombreux pour un combat frontal, et la fuite était impossible. Alors, tranquillement, il accepta sans mot-dire l'invitation, et les suivit à travers les ruelles boueuses.
Après plusieurs virages, angles de quartiers, puis un petit pont, le groupe passèrent la lourde porte de la demeure du clan. Le rônin s'avança au milieu de la cour, chapeau de paille large sur la tête, sac sur le dos, avec son apparence de mendiant errant au gré des routes. On l'avait vu se battre, donc on savait qu'il n'était en rien ce mendiant qu'il prétendait être. Le chef lança un ordre clair "laisse tomber cette comédie, et montre-toi tel que tu es". Le message était clair, et le rônin, impassible, s'exécuta. Il posa ses affaires en silence, pour présenter au monde sa véritable silhouette. Sabre au côté, obi noué avec soin, son kimono dissimulé sous une sorte de grande tenue sale était d'une qualité rare, et orné de nombreuses broderies. Le chapeau posé sur le sac, ses cheveux sombres apparurent soigneusement noués en une tresse très soignée. Il posa sa main sur le pommeau de son arme, et regarda la troupe qui le cernait. "Que me voulez-vous? Si c'est pour vos trois morts, on ne demande pas réparation pour la mort de tricheurs". Le chef de clan sourit, avec l'air visiblement agacé. Son crâne chauve et sa corpulence laissaient clairement entendre qu'il n'agirait pas en personne, et d'un geste de la main il invita un homme à venir sur le gravier lavé de la cour intérieure. D'une belle carrure, le crâne rasé, les yeux acérés, il s'était déjà préparé au combat en prenant son sabre par le manche. L'invitation était claire, ils allaient se battre à mort.
Sans le moindre avertissement, l'homme de main bondit en direction du rônin qui ne bougea pas d'un pas. Légèrement de profil, ce dernier regardait la charge de son adversaire, jugeant précisément le mouvement à exécuter. Il fit un léger pas de côté, s'inclinant en arrière pour éviter le tranchant du sabre qui fonçait sur lui. Un second pas, puis un troisième, encore un autre, puis le suivant, il semblait danser, esquivant constamment les assauts du mercenaire. Se moquait-il? Non. Il jaugeait et tentait d'éviter la mort à son assaillant. La confiance absolue en son jugement et en son art rendaient le rônin intouchable, et au bout d'une dizaine de passes son adversaire fit quelques pas en arrière pour reprendre son souffle. Les deux mains sur son sabre, celui-ci regarda son adversaire avec un mélange d'inquiétude et de respect. Il n'était pas même parvenu à deviner ses prochaines esquives, et l'homme n'avait pas encore tiré le katana de son fourreau.
"Va-t'en, mercenaire. Tu n'as rien à faire ici. Je ne dirai rien sur ton compte. Savoir quitter la bataille sans mourir est déjà une victoire en soi", dit le rônin en regardant son adversaire. Ce dernier, furieux d'une telle remarque, chargea à nouveau dans un cri de rage. En vain. Encore une esquive si lente qu'elle sembla être menée au ralenti. "Qu'il en soit ainsi", murmura alors le samouraï errant avant de tirer son sabre. Il dégaina, et d'un bond, il fit face en prenant une position défensive. Ce coup-ci, il ne se contenterait plus de faire des pas de côté. Ce coup-ci, il répondrait à l'attaque. Son assaillant comprit, et le chargea à nouveau, mais en tentant de placer différemment son arme. Ce fut à nouveau un assaut inutile, car encore une fois le rônin évita l'estocade, mais sa lame, elle, vint trancher le mercenaire à la gorge. La coupure fut nette et fatale. L'homme s'effondra, et rapidement son sang vint rougir le gravier blanchi. Le corps eut quelques spasmes, le petit geyser de sang pulsa encore quelques instants, puis ce fut le silence. Le râle du dernier soupir vint enfin interrompre la courte agonie du mercenaire.
Il y eut un cri d'effroi dans l'assistance. Les deux hommes ayant fomenté ce duel étaient pâles, terrifiés à la vision de cette exécution aussi rapide qu'inattendue. L'homme qui gisait là avait pourtant une excellente réputation! On leur avait recommandé cet épéiste émérite, car jamais il n'avait failli à sa tâche, jusqu'à aujourd'hui. Tandis que la stupeur disparaissait au profit de la colère, le samouraï rejoignit les deux responsables de ce meurtre. Nul n'eut le temps de réagir pour l'intercepter, et ce n'est que trop tard que les autres hommes le cernèrent. Son sabre pointait vers les deux chefs, le tranchant prêt à s'abattre sur eux sans la moindre pitié. "Voulez-vous périr en ma compagnie, ou bien oublier cette regrettable affaire?", demanda le rônin en faisant luire son sabre sous les yeux médusés des deux chefs. Il leur conseilla de choisir vite et bien, et qu'en cas de désaccord, qu'il ne perdrait pas la vie sans avoir emmené un maximum de crapules présentes autour de lui. D'un geste tremblant de la main, le plus âgé fit signe à la troupe de s'écarter, et invita le rônin à s'asseoir à sa table.
Refuser l'invitation du mafieux était impossible sans être irrespectueux, et ainsi le samouraï rengaina, s'assit, et accepta une coupe d'alcool tiède qu'on lui avait tendu. Il refusa toute discussion, toute négociation, et il raconta simplement son histoire. "Racontez ce que vous voulez me concernant, faites même courir le bruit que c'est moi qui suis mort aujourd'hui, et non votre mercenaire. Je m'en moque". Le message était clair, il ne s'intéressait pas aux affaires de cette région, pas plus qu'aux tripots, au jeu, à la nature faible de ceux qui se laissent aller au jeu de hasard. "Alors, que faites-vous ici? Nous pourrions vous offrir un poste des plus rémunérateurs! Un maître d'armes, c'est un homme puissant et riche vous savez". Le samouraï balaya l'offre d'une réponse cinglante "aucun clan mafieux n'a de maître d'armes digne de ce nom, et je ne donnerai plus jamais mon épée à quiconque.". Il s'était condamné à l'errance, à être à tout jamais le mendiant qui ne faisait que passer. "Mais alors… que cherchez-vous réellement?". "A faire payer un traitre" dit finalement le rônin en se levant. Il alla ramasser ses affaires, remit sur lui la large couverture sale lui servant de protection contre les intempéries, puis couvrit sa tête avec le large chapeau. D'un geste discret, il salua les deux maitres de la demeure, puis il passa le pas de la porte sans un mot.
"Qui était ce type?", demanda un des voyous venus en renfort à son maître. "La plus fine lame que j'ai jamais vue", répondit simplement le chef de famille…
Ils buvaient et mangeaient, braillant des ordres aux serviteurs, se montrant aussi malpolis que grotesques avec les dames de compagnie, et allant même jusqu'à esquisser des tentatives ridicules de danses autour de la table. Cependant, parmi eux, deux hommes dissertaient au milieu du brouhaha avec un sérieux affecté. Ils s'étaient penchés l'un vers l'autre, et se répondaient à voix presque basse, comme pour taire leurs propos aux autres personnes jointes à la soirée. L'un et l'autre étaient plus âgés que ceux cernant la pièce, et leurs positions en bout de table marquaient clairement qu'ils étaient les chefs. Des mots courts, presque furtifs, passaient de l'un à l'autre au creux de l'oreille. Le plus âgé des deux, dégarni, au crâne brillant, lança à son voisin qu'il leur fallait agir au plus vite contre le rônin qui errait dans leur secteur. Celui-ci avait déjà éliminé trois de leurs hommes, et que cela pouvait devenir un signe de faiblesse que de le laisser en vie. Son voisin acquiesça, et répondit qu'il leur fallait un expert, un type plus robuste que leurs hommes de main. La décision fut validée d'un simple croisement des regards: il fallait un mercenaire sachant manier l'épée, ou alors s'équiper d'arquebuses. Seulement, cette dernière solution était non seulement trop coûteuse, mais surtout trop voyante. Le seigneur lui-même ne laisserait pas passer une telle chose, et l'on enverrait l'armée pour régler cela… Une fois pour toute. Donc, il fallait un bretteur, un assassin expérimenté.
Il avait croisé le fer avec trois canailles, trois imbéciles qui trichaient aux dés. Ces imbéciles plumaient sans vergogne les joueurs de la salle, et lui, excédé, les avaient discrètement invités à cesser l'escroquerie. Si les paysans du village n'y voyaient que du feu, lui refuserait de se faire rouler. Accuser un yakuza de tricher, c'est le meilleur moyen de le mettre en colère, ce qui ne tarda pas à les faire sortir du tripot et tirer le sabre contre leur accusateur. Idiotie funeste, puisqu'ils furent tous les trois tués sans la moindre difficulté. Le rônin n'avait même pas daigné déposer son paquet qu'il portait sur le dos pour les affronter. Toujours est-il qu'il savait dorénavant qu'il n'aurait ni le gîte, ni le couvert chez qui que ce soit. Même l'aubergiste savait ce qu'il s'était passé, et l'aider aurait été le meilleur moyen d'inciter le reste du clan mafieux à venir "lui faire la leçon". En conséquence, le samouraï sans maître passa les deux jours suivants à dormir dans une étable abandonnée, et à pêcher dans une petite rivière pour se nourrir. Il ne partirait pas sans s'être expliqué avec le chef de clan, afin que cela ne dégénère pas. Cependant, fallait-il qu'apaise quoi que ce soit, ou qu'il finisse ce travail involontairement commencé avec son sabre?
Au petit matin du troisième jour, il s'était décidé non pas à aller discuter en pure perte, mais à quitter ce village, et donc laisser s'enterrer ce problème avec les corps des trois tricheurs. Le clan avait financé la mise en terre, et un prêtre s'était déplacé pour leur donner un enterrement décent. Voilà qui était cocasse tout de même, des gens corrompus demandant la bénédiction d'un être supposé pur. Comme quoi, la morale et l'argent ne font jamais bon ménage. Il pardonna au prêtre cet écart en se disant qu'une âme a le droit au salut, même si elle était aussi noire qu'un ciel sans étoile. En longeant le cimetière, il allait rejoindre la grand-route quittant le village pour les montagnes, quand un groupe d'hommes armés s'interposa en le menaçant. On "l'invitait" à venir voir le chef de clan pour s'expliquer. Ils étaient trop nombreux pour un combat frontal, et la fuite était impossible. Alors, tranquillement, il accepta sans mot-dire l'invitation, et les suivit à travers les ruelles boueuses.
Après plusieurs virages, angles de quartiers, puis un petit pont, le groupe passèrent la lourde porte de la demeure du clan. Le rônin s'avança au milieu de la cour, chapeau de paille large sur la tête, sac sur le dos, avec son apparence de mendiant errant au gré des routes. On l'avait vu se battre, donc on savait qu'il n'était en rien ce mendiant qu'il prétendait être. Le chef lança un ordre clair "laisse tomber cette comédie, et montre-toi tel que tu es". Le message était clair, et le rônin, impassible, s'exécuta. Il posa ses affaires en silence, pour présenter au monde sa véritable silhouette. Sabre au côté, obi noué avec soin, son kimono dissimulé sous une sorte de grande tenue sale était d'une qualité rare, et orné de nombreuses broderies. Le chapeau posé sur le sac, ses cheveux sombres apparurent soigneusement noués en une tresse très soignée. Il posa sa main sur le pommeau de son arme, et regarda la troupe qui le cernait. "Que me voulez-vous? Si c'est pour vos trois morts, on ne demande pas réparation pour la mort de tricheurs". Le chef de clan sourit, avec l'air visiblement agacé. Son crâne chauve et sa corpulence laissaient clairement entendre qu'il n'agirait pas en personne, et d'un geste de la main il invita un homme à venir sur le gravier lavé de la cour intérieure. D'une belle carrure, le crâne rasé, les yeux acérés, il s'était déjà préparé au combat en prenant son sabre par le manche. L'invitation était claire, ils allaient se battre à mort.
Sans le moindre avertissement, l'homme de main bondit en direction du rônin qui ne bougea pas d'un pas. Légèrement de profil, ce dernier regardait la charge de son adversaire, jugeant précisément le mouvement à exécuter. Il fit un léger pas de côté, s'inclinant en arrière pour éviter le tranchant du sabre qui fonçait sur lui. Un second pas, puis un troisième, encore un autre, puis le suivant, il semblait danser, esquivant constamment les assauts du mercenaire. Se moquait-il? Non. Il jaugeait et tentait d'éviter la mort à son assaillant. La confiance absolue en son jugement et en son art rendaient le rônin intouchable, et au bout d'une dizaine de passes son adversaire fit quelques pas en arrière pour reprendre son souffle. Les deux mains sur son sabre, celui-ci regarda son adversaire avec un mélange d'inquiétude et de respect. Il n'était pas même parvenu à deviner ses prochaines esquives, et l'homme n'avait pas encore tiré le katana de son fourreau.
"Va-t'en, mercenaire. Tu n'as rien à faire ici. Je ne dirai rien sur ton compte. Savoir quitter la bataille sans mourir est déjà une victoire en soi", dit le rônin en regardant son adversaire. Ce dernier, furieux d'une telle remarque, chargea à nouveau dans un cri de rage. En vain. Encore une esquive si lente qu'elle sembla être menée au ralenti. "Qu'il en soit ainsi", murmura alors le samouraï errant avant de tirer son sabre. Il dégaina, et d'un bond, il fit face en prenant une position défensive. Ce coup-ci, il ne se contenterait plus de faire des pas de côté. Ce coup-ci, il répondrait à l'attaque. Son assaillant comprit, et le chargea à nouveau, mais en tentant de placer différemment son arme. Ce fut à nouveau un assaut inutile, car encore une fois le rônin évita l'estocade, mais sa lame, elle, vint trancher le mercenaire à la gorge. La coupure fut nette et fatale. L'homme s'effondra, et rapidement son sang vint rougir le gravier blanchi. Le corps eut quelques spasmes, le petit geyser de sang pulsa encore quelques instants, puis ce fut le silence. Le râle du dernier soupir vint enfin interrompre la courte agonie du mercenaire.
Il y eut un cri d'effroi dans l'assistance. Les deux hommes ayant fomenté ce duel étaient pâles, terrifiés à la vision de cette exécution aussi rapide qu'inattendue. L'homme qui gisait là avait pourtant une excellente réputation! On leur avait recommandé cet épéiste émérite, car jamais il n'avait failli à sa tâche, jusqu'à aujourd'hui. Tandis que la stupeur disparaissait au profit de la colère, le samouraï rejoignit les deux responsables de ce meurtre. Nul n'eut le temps de réagir pour l'intercepter, et ce n'est que trop tard que les autres hommes le cernèrent. Son sabre pointait vers les deux chefs, le tranchant prêt à s'abattre sur eux sans la moindre pitié. "Voulez-vous périr en ma compagnie, ou bien oublier cette regrettable affaire?", demanda le rônin en faisant luire son sabre sous les yeux médusés des deux chefs. Il leur conseilla de choisir vite et bien, et qu'en cas de désaccord, qu'il ne perdrait pas la vie sans avoir emmené un maximum de crapules présentes autour de lui. D'un geste tremblant de la main, le plus âgé fit signe à la troupe de s'écarter, et invita le rônin à s'asseoir à sa table.
Refuser l'invitation du mafieux était impossible sans être irrespectueux, et ainsi le samouraï rengaina, s'assit, et accepta une coupe d'alcool tiède qu'on lui avait tendu. Il refusa toute discussion, toute négociation, et il raconta simplement son histoire. "Racontez ce que vous voulez me concernant, faites même courir le bruit que c'est moi qui suis mort aujourd'hui, et non votre mercenaire. Je m'en moque". Le message était clair, il ne s'intéressait pas aux affaires de cette région, pas plus qu'aux tripots, au jeu, à la nature faible de ceux qui se laissent aller au jeu de hasard. "Alors, que faites-vous ici? Nous pourrions vous offrir un poste des plus rémunérateurs! Un maître d'armes, c'est un homme puissant et riche vous savez". Le samouraï balaya l'offre d'une réponse cinglante "aucun clan mafieux n'a de maître d'armes digne de ce nom, et je ne donnerai plus jamais mon épée à quiconque.". Il s'était condamné à l'errance, à être à tout jamais le mendiant qui ne faisait que passer. "Mais alors… que cherchez-vous réellement?". "A faire payer un traitre" dit finalement le rônin en se levant. Il alla ramasser ses affaires, remit sur lui la large couverture sale lui servant de protection contre les intempéries, puis couvrit sa tête avec le large chapeau. D'un geste discret, il salua les deux maitres de la demeure, puis il passa le pas de la porte sans un mot.
"Qui était ce type?", demanda un des voyous venus en renfort à son maître. "La plus fine lame que j'ai jamais vue", répondit simplement le chef de famille…
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