Réflexions sur l'Ukraine et la Russie
Porter un regard clair, précis et sans erreur sur la situation en Ukraine est, selon moi, une chose particulièrement difficile à faire. En effet, entre les effets de manches des journalistes, la réalité du terrain, la déformation de la réalité par les politiques, il y a clairement de quoi être perdu, surtout quand on ne connaît rien de l'Ukraine et de la Russie. Alors, à quelle version médiatique doit-on porter du crédit? A celle, officielle, voyant les Russes (et Poutine en tête) en envahisseurs potentiels, ou bien à quelque-chose de plus modulé, de plus précis, et potentiellement bien moins compréhensible pour le quidam?
Raisonnons d'abord de manière historique. Ukraine? Russie? La génération des 18/30 ans voient ces deux nations comme deux pays distincts, indépendants, dont les relations tendues sont liées à une histoire dont ils n'ont globalement pas la moindre idée ou presque. Pour ceux qui, comme moi, ont connu le pacte de Varsovie, ou encore la carte du monde avec l'URSS en bloc "rouge", c'est une chose autrement moins claire. Remontons à cette époque du marteau et de la faucille... L'URSS, c'était 15 républiques unies sous un même drapeau, ceci depuis 1922 jusqu'au 26 décembre 1991. C'était donc une fédération dont l'actuelle Russie, la Géorgie, l'Ukraine... étaient membres, le tout sous l'autorité suprême de Moscou. Pourquoi est-ce essentiel de s'en souvenir? Pour deux aspects: cette unification était un héritage de l'empire du Tsar Nicolas II, mais également d'une volonté politique de maintenir sous contrôle lesdites républiques. L'Ukraine, parmi tant d'autres, rêvaient d'indépendance, et par conséquent paya à plusieurs reprises la volonté populaire d'avoir enfin un état libre. Quelques époques clés sont à retenir:
- Sous Staline: entre 1931 et 1933, l'URSS est frappée par de terribles famines. On parle de 2.6 à 5 millions de morts. Staline est soupçonné d'avoir provoqué ladite famine en Ukraine, sachant que cette république était nommée le "grenier de la Russie" (de part sa production massive de céréales). Cette première étape a évidemment poussé le peuple à avoir une terrible rancoeur contre le gouvernement central.
- Sous Staline, de 1937 à 1939: le "petit père des peuples", paranoïaque et autocrate, décréta qu'il était indispensable de purger l'URSS des traitres, des faibles et des nationalistes. Cela donna lieu à des déportations massives, des exécutions, ainsi qu'à de lourdes sanctions pour toute personne pratiquant un culte (le régime de Moscou prônant l'athéisme comme seul dogme acceptable). On parle encore de plusieurs millions de victimes de cette oppression de masse.
- Durant la seconde guerre mondiale: lors de l'invasion des armées d'Hitler (été 1941), on estime à plus de 200.000 le nombre de volontaires Ukrainiens ralliant la cause du Reich, ceci pour faire tomber le joug Soviétique. Cependant, le racisme antislave du régime nazi a mené cette allégeance de circonstance à être traitée comme une trahison, et de nombreux mouvements de résistants se formèrent pour autant résister aux nazis qu'aux soldats de l'armée rouge; sans succès.
- Jusqu'à l'indépendance: le régime, centralisé par Moscou, fit tout pour étouffer toute velléité de nationalisme ou même de libéralisme. Ce n'est qu'à l'indépendance définitive que le peuple put enfin s'exprimer par la voie des urnes.
En lisant ces différentes étapes, on ne peut que constater un historique très lourd, trop lourd pour être oublié ou même pardonné. Ainsi, l'idée que le peuple puisse prôner une union à l'Europe, surtout face à la Russie bien encombrante, n'a plus rien de bien surprenant. Au surplus, souvenons-nous également qu'il y a là une détermination à s'extraire tant que faire se peut du marché économique constitué des anciennes républiques de l'URSS. En effet, à quoi bon être indépendant, si c'est pour rester dans les jupes de son ancien tuteur? En conséquence, cette mobilisation anarchique tient plus, en terme de critère fédérateur, en ces mots "tout sauf la Russie!".
Maintenant, allons jeter un oeil du côté politique. Bien que le pays ait pris son indépendance, force est de constater que, malheureusement pour l'Ukraine, le régime mis en place s'est révélé être autocrate, et à la solde -ou presque- de Moscou. Mais quoi de surprenant en cela? Entre une énergie fournie par le voisin Russe, des exportations à destination de ce même voisin, et pardessus cela des dettes accumulées au fil des années, difficile de ne pas chercher à flatter l'ego du président Poutine. Dans ces conditions, la politique intérieure de l'Ukraine s'est effondrée, tant par des dettes devenues énormes, que par l'impossibilité de se sortir d'une tutelle économique venant tout droit de Russie. Quand le choix entre se rapprocher de l'Europe, ou bien d'être aidé par la Russie, le président a choisi l'est, tandis que le peuple rêvait de l'ouest. L'attitude autocratique du président a donc permis aux différents mouvements "à l'ouest" d'émerger, de fédérer, et donc d'arriver à l'affrontement menant la présidence à sa chute. Est-ce un acte politique acceptable, voire même louable? Tout dépend. Oui, clairement, tout dépend le point de vue qu'on a sur la situation.
Est-ce légitime que le président ait été chassé de son poste? Pour des principes moraux, de démocratie, de liberté, oui, il est évident qu'on devrait soutenir toute révolution permettant la chute d'un dictateur. Quand l'armée tire sur sa propre population, il est naturel de songer qu'il faut destituer le despote, et le traduire en justice. Cela s'appelle une révolution, et elle se révèle parfois nécessaire pour faire chuter les régimes inacceptables. Si l'on regarde alors de ce point de vue, c'est une excellente chose d'agir de la sorte.
Maintenant, est-ce réellement légitime de soutenir ainsi une révolution? Prenons les choses dans l'ordre: est-ce pour déposer le président que les rues se sont transformées en barricades, ou est-ce uniquement pour soutenir un rapprochement vers l'ouest? Si c'est la seconde réflexion, c'est alors une erreur monumentale, car quoi qu'il arrive, tout rapprochement vers l'ouest sera compliqué, voire infaisable. C'est le volet économique qu'on va observer dans le prochain paragraphe. De plus, sans plan politique clair, sans objectifs précis et décrits, un coup d'état ne peut généralement mener qu'à une prise de pouvoir de celui qui saura s'imposer comme "guide". C'est alors remplacer un despote par un autre. Un cas concret? La chute de Kadhafi. Un autre? La fin de la tyrannie du shah d'Iran, pour la remplacer par celle des mollahs.... Et la liste est longue! De fait: j'estime qu'il est terriblement présomptueux de soutenir une telle révolution, surtout en aveugle total. Je me demande qui tirera profit d'un tel coup d'état.
Le volet économique est assez intéressant en soi. L'Ukraine est totalement tributaire du gaz Russe, du pétrole de la même provenance, et l'aide du Kremlin est très utile pour tout un tas d'autres aspects (nucléaire notamment). De fait: l'Ukraine doit d'énormes sommes à Gazprom (distributeur de gaz), alors que le tarif négocié est encore bien inférieur à celui du cours normal de cette matière première. Ce bras de levier est monstrueux, et les Polonais l'ont découverts à leurs dépends: Coupures nettes de la fourniture, et ce en plein hiver, exigence de Gazprom de payer les dettes, ainsi que le tarif "réel" du produit... bref une prise d'otage pure et simple des consommateurs locaux. Dans ces conditions, comment l'Ukraine pourrait-elle résister à quelque chantage que ce soit? Là, le lecteur ordinaire va dire que c'est un procédé honteux, inacceptable... Mais relisons bien la chose telle qu'elle est: du temps de l'URSS, l'Ukraine disposait de l'alimentation en gaz, au titre de l'union des républiques. Ensuite, un tarif préférentiel était appliqué, bien inférieur au marché. Quand il y a eu l'indépendance, l'opérateur public fut privatisé, et donc se mit à vendre le produit au prix "du marché". Et là, l'Ukraine, comme les autres clients, se sont mis à vouloir croire qu'ils pourraient toujours bénéficier de ces tarifs. Pourquoi? L'indépendance, cela sous-entend également la prise en compte de l'économie de marché, avec ses avantages... et ses inconvénients. Quoi que puissent dire les défenseurs de l'Ukraine, c'est un pan du dossier où les Russes sont non seulement dans leur droit le plus strict de faire du commerce, et que bien des entreprises Françaises ou étrangères agiraient de même, voire même de manière encore plus radicale encore.
Continuons: la crise a touché l'Ukraine, et la république a demandé de l'aide à l'international. L'Europe a répondu 800 millions, Moscou a répondu 15 milliards... Pourquoi? Pour se conserver un allié, pour lui donner non pas une chance, mais plus pour affirmer sa présence de manière économique. Il est indéniable que cet acte, vu au premier degré, pourrait paraître comme généreux, mais il n'en est rien: Moscou a pleinement conscience du dilemme, surtout pour redresser la barre d'une économie pourrie par un historique de gestion "soviétique" (entendre par là sclérosée par des petits chefs, vérolée par la corruption, et disloquée par une gouvernance aussi incompétente que rapace avec l'argent). Cependant, que faire? Accepter l'argent Russe, et se fermer la porte de l'Europe, ou bien repousser l'offre Russe et son marché représentant 60% des entrées de capitaux en Ukraine? Choisir l'Europe, c'est croire que l'union pourrait sauvegarder l'économie, et offrir des solutions de repli pour s'affranchir de la Russie... Mais c'est inepte: les matières premières seraient alors vendues au tarif du marché, les exportations à notre destination ne pourraient pas compenser celles perdues avec la Russie, et l'état Ukrainien se retrouverait rapidement ruiné, faute de débouchés. C'est une prise d'otage... Mais surtout une incongruité de croire que le pays pourra se libérer de cette prise d'otage sans dommage.
Parcourons encore un peu le volet économique: L'Europe peine déjà à sauvegarder ses propres membres, comment envisager de dégager des capitaux pour entamer une quelconque réforme économique en Ukraine? Et L'Ukraine acceptera-t-elle une tutelle de Bruxelles sur son économie intérieure? Passer de Moscou à Bruxelles, est-ce un vrai changement? Contrairement à l'image d'Epinal, Bruxelles a imposé des politiques drastiques en Espagne, en Grèce, bref a poussé ces pays à entrer dans des cycles de rigueur tels que les populations locales sont amenées à manifester (voir les grèves à répétitions), voire même à adhérer à des partis extrémistes (aube dorée en Grèce pour en citer un). Donc: si Moscou propose quelque-chose, est-ce si différent de ce que peut proposer l'Europe? M'est avis qu'un manque chronique de vision pèse sur les Ukrainiens. Le discours "tout sauf Moscou" pourrait bien les mener à une faillite de l'état... et donc un naufrage social digne de 1929.
Le volet militaire, pour finir, se révèle le plus délicat à observer. Qu'en est-il précisément. La Crimée, plage de luxe des anciens dirigeants de l'ex-URSS, est aujourd'hui majoritairement russophone. De plus, la région est aussi dotée d'une base essentielle dans la stratégie militaire Russe. C'est en effet l'accès majeur à la mer noire, et donc à toute la partie ouest de l'Europe! En effet, c'est la porte sur la Méditerranée, et donc directement sur l'Atlantique, mais également sur le golfe persique à travers le canal de Suez... Comment Moscou pourrait laisser se perdre une telle base, ainsi qu'un territoire majoritairement peuplé de "Russes"? Politiquement, impossible; stratégiquement, pas plus; et surtout c'est infaisable, car cela serait considéré comme un abandon par les habitants de la région. N'oublions pas que la Crimée n'a absolument pas été incluse dans le processus de l'effondrement du gouvernement, et je dirais même que les habitants, sur place, ne voient absolument pas d'un bon oeil cette révolution. La présence de l'armée Russe en Crimée peut être analysée de deux manières:
- Une tentative de prise de pouvoir (et donc une invasion potentielle) par Moscou
- Une protection temporaire de la région en attendant une vraie gouvernance en Ukraine.
Dans les deux cas, Moscou n'a pas tort. Elle ne peut pas agir autrement, car il y a d'un côté la protection de ses intérêts (ce qu'on fait les Français en intervenant pendant la crise de Suez en Egypte par exemple), que la protection contre d'éventuels mouvements nationalistes Ukrainiens. On n'en parle pas, ou très peu, mais ne perdons pas de vue la rancoeur très tenace des Ukrainiens contre l'état Russe. Cela pourrait fort bien dégénérer en conflit armé, conflit où Moscou ne pourrait pas fuir ses responsabilités, et donc intervenir par la force.
On taxe V.Poutine d'agir en provocateur, d'aller à l'encontre des intérêts de la démocratie en Ukraine. Réfléchissons un instant: pourquoi irait-il soutenir une révolution qui, d'une part, lui ferait perdre un allié économique fort, et encore plus pourquoi soutiendrait-il une situation où il n'y a carrément plus d'état? L'intervention de Poutine concernant son soutien à l'autodétermination de la Crimée est complètement logique, bien que soi-disant choquante pour le reste du monde. Parce que le statu quo entre la Grèce et la Turquie concernant Chypre est acceptable? Parce que l'attitude internationale lors de la partition de la Yougoslavie fut plus propre et honnête? Parce que l'inaction internationale en Israël est tolérable? J'ai du mal à suivre là, surtout quand la présence de la troupe Russe évite, justement, toute tentative d'actions violentes sur le territoire de Crimée. Oui, c'est potentiellement une occupation, mais je me demande si, justement, Moscou ne serait pas en train de faire le nécessaire pour éviter que cela dégénère réellement.
D'ailleurs, deux interrogations se posent:
- Quel est l'intérêt des USA, de l'Europe, en soutenant l'Ukraine? Légitimer la révolution, ou bien contrer la Russie qui a toujours du poids dans le monde (voir l'inaction totale de l'ONU, suite au refus catégorique de la Russie d'intervenir)? Il me paraît clair que les "sanctions" (que je qualifie de mesures symboliques histoire de marquer le coup) n'iront guère plus loin. La Russie n'a pas besoin de l'Europe, pas plus des USA... contrairement à l'Europe actuelle qui, pour ses nations de l'est en tout cas, dépendent énormément de la Russie pour bien des aspects économiques.
- Qui dirige, concrètement, l'Ukraine? On parle d'élections anticipées, de présidentielles... Mais qui tient la barre tant au parlement, à la présidence, que dans l'armée? C'est cette dernière qui m'inquiète le plus: entre de potentiels mouvements nationalistes, et des généraux nostalgiques de la "mère patrie", j'ai quelques inquiétudes, surtout vu le potentiel d'armes dont dispose le pays.
Pour terminer: ne nous posons surtout pas en arbitres, nous serions vite dépassés par les évènements. Je crains une escalade des actions stupides de l'ouest, rien que pour le principe de provoquer la Russie. On croyait la Russie morte avec la fin du communisme; on pensait pouvoir piloter l'économie Russe (tutelle calamiteuse du FMI sous Eltsine notamment); tout cela sans succès. Les Russes ont élu un homme très fort, dur, strict, intraitable, et qui ne cèdera face à aucune menace. Nous sommes en train de préparer une nouvelle guerre froide, mais nous serions bien capables de nous rater de manière dramatique, car derrière la Russie... il y a la Chine. Pour le moment, l'empire du milieu reste silencieux. Agacez trop les Chinois, touchez un peu trop à leurs intérêts, et nous pourrions le regretter... amèrement.
Petit PS: je parlais du FMI en Russie. Saviez-vous que l'apparition de la mafia, de la corruption de masse, du naufrage économique de la Russie après l'indépendance, tout ceci est lié à la gestion absolument scandaleuse et ridicule du FMI en Russie? Je vous invite à lire quelques ouvrages sur le sujet, donc celui-ci:
La grande désillusion
Une fois cet ouvrage lu... vous saisirez mieux mon idée du "Ukraine sans Russie? Fumisterie. Russie avec l'ouest? Absurdité".
Raisonnons d'abord de manière historique. Ukraine? Russie? La génération des 18/30 ans voient ces deux nations comme deux pays distincts, indépendants, dont les relations tendues sont liées à une histoire dont ils n'ont globalement pas la moindre idée ou presque. Pour ceux qui, comme moi, ont connu le pacte de Varsovie, ou encore la carte du monde avec l'URSS en bloc "rouge", c'est une chose autrement moins claire. Remontons à cette époque du marteau et de la faucille... L'URSS, c'était 15 républiques unies sous un même drapeau, ceci depuis 1922 jusqu'au 26 décembre 1991. C'était donc une fédération dont l'actuelle Russie, la Géorgie, l'Ukraine... étaient membres, le tout sous l'autorité suprême de Moscou. Pourquoi est-ce essentiel de s'en souvenir? Pour deux aspects: cette unification était un héritage de l'empire du Tsar Nicolas II, mais également d'une volonté politique de maintenir sous contrôle lesdites républiques. L'Ukraine, parmi tant d'autres, rêvaient d'indépendance, et par conséquent paya à plusieurs reprises la volonté populaire d'avoir enfin un état libre. Quelques époques clés sont à retenir:
- Sous Staline: entre 1931 et 1933, l'URSS est frappée par de terribles famines. On parle de 2.6 à 5 millions de morts. Staline est soupçonné d'avoir provoqué ladite famine en Ukraine, sachant que cette république était nommée le "grenier de la Russie" (de part sa production massive de céréales). Cette première étape a évidemment poussé le peuple à avoir une terrible rancoeur contre le gouvernement central.
- Sous Staline, de 1937 à 1939: le "petit père des peuples", paranoïaque et autocrate, décréta qu'il était indispensable de purger l'URSS des traitres, des faibles et des nationalistes. Cela donna lieu à des déportations massives, des exécutions, ainsi qu'à de lourdes sanctions pour toute personne pratiquant un culte (le régime de Moscou prônant l'athéisme comme seul dogme acceptable). On parle encore de plusieurs millions de victimes de cette oppression de masse.
- Durant la seconde guerre mondiale: lors de l'invasion des armées d'Hitler (été 1941), on estime à plus de 200.000 le nombre de volontaires Ukrainiens ralliant la cause du Reich, ceci pour faire tomber le joug Soviétique. Cependant, le racisme antislave du régime nazi a mené cette allégeance de circonstance à être traitée comme une trahison, et de nombreux mouvements de résistants se formèrent pour autant résister aux nazis qu'aux soldats de l'armée rouge; sans succès.
- Jusqu'à l'indépendance: le régime, centralisé par Moscou, fit tout pour étouffer toute velléité de nationalisme ou même de libéralisme. Ce n'est qu'à l'indépendance définitive que le peuple put enfin s'exprimer par la voie des urnes.
En lisant ces différentes étapes, on ne peut que constater un historique très lourd, trop lourd pour être oublié ou même pardonné. Ainsi, l'idée que le peuple puisse prôner une union à l'Europe, surtout face à la Russie bien encombrante, n'a plus rien de bien surprenant. Au surplus, souvenons-nous également qu'il y a là une détermination à s'extraire tant que faire se peut du marché économique constitué des anciennes républiques de l'URSS. En effet, à quoi bon être indépendant, si c'est pour rester dans les jupes de son ancien tuteur? En conséquence, cette mobilisation anarchique tient plus, en terme de critère fédérateur, en ces mots "tout sauf la Russie!".
Maintenant, allons jeter un oeil du côté politique. Bien que le pays ait pris son indépendance, force est de constater que, malheureusement pour l'Ukraine, le régime mis en place s'est révélé être autocrate, et à la solde -ou presque- de Moscou. Mais quoi de surprenant en cela? Entre une énergie fournie par le voisin Russe, des exportations à destination de ce même voisin, et pardessus cela des dettes accumulées au fil des années, difficile de ne pas chercher à flatter l'ego du président Poutine. Dans ces conditions, la politique intérieure de l'Ukraine s'est effondrée, tant par des dettes devenues énormes, que par l'impossibilité de se sortir d'une tutelle économique venant tout droit de Russie. Quand le choix entre se rapprocher de l'Europe, ou bien d'être aidé par la Russie, le président a choisi l'est, tandis que le peuple rêvait de l'ouest. L'attitude autocratique du président a donc permis aux différents mouvements "à l'ouest" d'émerger, de fédérer, et donc d'arriver à l'affrontement menant la présidence à sa chute. Est-ce un acte politique acceptable, voire même louable? Tout dépend. Oui, clairement, tout dépend le point de vue qu'on a sur la situation.
Est-ce légitime que le président ait été chassé de son poste? Pour des principes moraux, de démocratie, de liberté, oui, il est évident qu'on devrait soutenir toute révolution permettant la chute d'un dictateur. Quand l'armée tire sur sa propre population, il est naturel de songer qu'il faut destituer le despote, et le traduire en justice. Cela s'appelle une révolution, et elle se révèle parfois nécessaire pour faire chuter les régimes inacceptables. Si l'on regarde alors de ce point de vue, c'est une excellente chose d'agir de la sorte.
Maintenant, est-ce réellement légitime de soutenir ainsi une révolution? Prenons les choses dans l'ordre: est-ce pour déposer le président que les rues se sont transformées en barricades, ou est-ce uniquement pour soutenir un rapprochement vers l'ouest? Si c'est la seconde réflexion, c'est alors une erreur monumentale, car quoi qu'il arrive, tout rapprochement vers l'ouest sera compliqué, voire infaisable. C'est le volet économique qu'on va observer dans le prochain paragraphe. De plus, sans plan politique clair, sans objectifs précis et décrits, un coup d'état ne peut généralement mener qu'à une prise de pouvoir de celui qui saura s'imposer comme "guide". C'est alors remplacer un despote par un autre. Un cas concret? La chute de Kadhafi. Un autre? La fin de la tyrannie du shah d'Iran, pour la remplacer par celle des mollahs.... Et la liste est longue! De fait: j'estime qu'il est terriblement présomptueux de soutenir une telle révolution, surtout en aveugle total. Je me demande qui tirera profit d'un tel coup d'état.
Le volet économique est assez intéressant en soi. L'Ukraine est totalement tributaire du gaz Russe, du pétrole de la même provenance, et l'aide du Kremlin est très utile pour tout un tas d'autres aspects (nucléaire notamment). De fait: l'Ukraine doit d'énormes sommes à Gazprom (distributeur de gaz), alors que le tarif négocié est encore bien inférieur à celui du cours normal de cette matière première. Ce bras de levier est monstrueux, et les Polonais l'ont découverts à leurs dépends: Coupures nettes de la fourniture, et ce en plein hiver, exigence de Gazprom de payer les dettes, ainsi que le tarif "réel" du produit... bref une prise d'otage pure et simple des consommateurs locaux. Dans ces conditions, comment l'Ukraine pourrait-elle résister à quelque chantage que ce soit? Là, le lecteur ordinaire va dire que c'est un procédé honteux, inacceptable... Mais relisons bien la chose telle qu'elle est: du temps de l'URSS, l'Ukraine disposait de l'alimentation en gaz, au titre de l'union des républiques. Ensuite, un tarif préférentiel était appliqué, bien inférieur au marché. Quand il y a eu l'indépendance, l'opérateur public fut privatisé, et donc se mit à vendre le produit au prix "du marché". Et là, l'Ukraine, comme les autres clients, se sont mis à vouloir croire qu'ils pourraient toujours bénéficier de ces tarifs. Pourquoi? L'indépendance, cela sous-entend également la prise en compte de l'économie de marché, avec ses avantages... et ses inconvénients. Quoi que puissent dire les défenseurs de l'Ukraine, c'est un pan du dossier où les Russes sont non seulement dans leur droit le plus strict de faire du commerce, et que bien des entreprises Françaises ou étrangères agiraient de même, voire même de manière encore plus radicale encore.
Continuons: la crise a touché l'Ukraine, et la république a demandé de l'aide à l'international. L'Europe a répondu 800 millions, Moscou a répondu 15 milliards... Pourquoi? Pour se conserver un allié, pour lui donner non pas une chance, mais plus pour affirmer sa présence de manière économique. Il est indéniable que cet acte, vu au premier degré, pourrait paraître comme généreux, mais il n'en est rien: Moscou a pleinement conscience du dilemme, surtout pour redresser la barre d'une économie pourrie par un historique de gestion "soviétique" (entendre par là sclérosée par des petits chefs, vérolée par la corruption, et disloquée par une gouvernance aussi incompétente que rapace avec l'argent). Cependant, que faire? Accepter l'argent Russe, et se fermer la porte de l'Europe, ou bien repousser l'offre Russe et son marché représentant 60% des entrées de capitaux en Ukraine? Choisir l'Europe, c'est croire que l'union pourrait sauvegarder l'économie, et offrir des solutions de repli pour s'affranchir de la Russie... Mais c'est inepte: les matières premières seraient alors vendues au tarif du marché, les exportations à notre destination ne pourraient pas compenser celles perdues avec la Russie, et l'état Ukrainien se retrouverait rapidement ruiné, faute de débouchés. C'est une prise d'otage... Mais surtout une incongruité de croire que le pays pourra se libérer de cette prise d'otage sans dommage.
Parcourons encore un peu le volet économique: L'Europe peine déjà à sauvegarder ses propres membres, comment envisager de dégager des capitaux pour entamer une quelconque réforme économique en Ukraine? Et L'Ukraine acceptera-t-elle une tutelle de Bruxelles sur son économie intérieure? Passer de Moscou à Bruxelles, est-ce un vrai changement? Contrairement à l'image d'Epinal, Bruxelles a imposé des politiques drastiques en Espagne, en Grèce, bref a poussé ces pays à entrer dans des cycles de rigueur tels que les populations locales sont amenées à manifester (voir les grèves à répétitions), voire même à adhérer à des partis extrémistes (aube dorée en Grèce pour en citer un). Donc: si Moscou propose quelque-chose, est-ce si différent de ce que peut proposer l'Europe? M'est avis qu'un manque chronique de vision pèse sur les Ukrainiens. Le discours "tout sauf Moscou" pourrait bien les mener à une faillite de l'état... et donc un naufrage social digne de 1929.
Le volet militaire, pour finir, se révèle le plus délicat à observer. Qu'en est-il précisément. La Crimée, plage de luxe des anciens dirigeants de l'ex-URSS, est aujourd'hui majoritairement russophone. De plus, la région est aussi dotée d'une base essentielle dans la stratégie militaire Russe. C'est en effet l'accès majeur à la mer noire, et donc à toute la partie ouest de l'Europe! En effet, c'est la porte sur la Méditerranée, et donc directement sur l'Atlantique, mais également sur le golfe persique à travers le canal de Suez... Comment Moscou pourrait laisser se perdre une telle base, ainsi qu'un territoire majoritairement peuplé de "Russes"? Politiquement, impossible; stratégiquement, pas plus; et surtout c'est infaisable, car cela serait considéré comme un abandon par les habitants de la région. N'oublions pas que la Crimée n'a absolument pas été incluse dans le processus de l'effondrement du gouvernement, et je dirais même que les habitants, sur place, ne voient absolument pas d'un bon oeil cette révolution. La présence de l'armée Russe en Crimée peut être analysée de deux manières:
- Une tentative de prise de pouvoir (et donc une invasion potentielle) par Moscou
- Une protection temporaire de la région en attendant une vraie gouvernance en Ukraine.
Dans les deux cas, Moscou n'a pas tort. Elle ne peut pas agir autrement, car il y a d'un côté la protection de ses intérêts (ce qu'on fait les Français en intervenant pendant la crise de Suez en Egypte par exemple), que la protection contre d'éventuels mouvements nationalistes Ukrainiens. On n'en parle pas, ou très peu, mais ne perdons pas de vue la rancoeur très tenace des Ukrainiens contre l'état Russe. Cela pourrait fort bien dégénérer en conflit armé, conflit où Moscou ne pourrait pas fuir ses responsabilités, et donc intervenir par la force.
On taxe V.Poutine d'agir en provocateur, d'aller à l'encontre des intérêts de la démocratie en Ukraine. Réfléchissons un instant: pourquoi irait-il soutenir une révolution qui, d'une part, lui ferait perdre un allié économique fort, et encore plus pourquoi soutiendrait-il une situation où il n'y a carrément plus d'état? L'intervention de Poutine concernant son soutien à l'autodétermination de la Crimée est complètement logique, bien que soi-disant choquante pour le reste du monde. Parce que le statu quo entre la Grèce et la Turquie concernant Chypre est acceptable? Parce que l'attitude internationale lors de la partition de la Yougoslavie fut plus propre et honnête? Parce que l'inaction internationale en Israël est tolérable? J'ai du mal à suivre là, surtout quand la présence de la troupe Russe évite, justement, toute tentative d'actions violentes sur le territoire de Crimée. Oui, c'est potentiellement une occupation, mais je me demande si, justement, Moscou ne serait pas en train de faire le nécessaire pour éviter que cela dégénère réellement.
D'ailleurs, deux interrogations se posent:
- Quel est l'intérêt des USA, de l'Europe, en soutenant l'Ukraine? Légitimer la révolution, ou bien contrer la Russie qui a toujours du poids dans le monde (voir l'inaction totale de l'ONU, suite au refus catégorique de la Russie d'intervenir)? Il me paraît clair que les "sanctions" (que je qualifie de mesures symboliques histoire de marquer le coup) n'iront guère plus loin. La Russie n'a pas besoin de l'Europe, pas plus des USA... contrairement à l'Europe actuelle qui, pour ses nations de l'est en tout cas, dépendent énormément de la Russie pour bien des aspects économiques.
- Qui dirige, concrètement, l'Ukraine? On parle d'élections anticipées, de présidentielles... Mais qui tient la barre tant au parlement, à la présidence, que dans l'armée? C'est cette dernière qui m'inquiète le plus: entre de potentiels mouvements nationalistes, et des généraux nostalgiques de la "mère patrie", j'ai quelques inquiétudes, surtout vu le potentiel d'armes dont dispose le pays.
Pour terminer: ne nous posons surtout pas en arbitres, nous serions vite dépassés par les évènements. Je crains une escalade des actions stupides de l'ouest, rien que pour le principe de provoquer la Russie. On croyait la Russie morte avec la fin du communisme; on pensait pouvoir piloter l'économie Russe (tutelle calamiteuse du FMI sous Eltsine notamment); tout cela sans succès. Les Russes ont élu un homme très fort, dur, strict, intraitable, et qui ne cèdera face à aucune menace. Nous sommes en train de préparer une nouvelle guerre froide, mais nous serions bien capables de nous rater de manière dramatique, car derrière la Russie... il y a la Chine. Pour le moment, l'empire du milieu reste silencieux. Agacez trop les Chinois, touchez un peu trop à leurs intérêts, et nous pourrions le regretter... amèrement.
Petit PS: je parlais du FMI en Russie. Saviez-vous que l'apparition de la mafia, de la corruption de masse, du naufrage économique de la Russie après l'indépendance, tout ceci est lié à la gestion absolument scandaleuse et ridicule du FMI en Russie? Je vous invite à lire quelques ouvrages sur le sujet, donc celui-ci:
La grande désillusion
Une fois cet ouvrage lu... vous saisirez mieux mon idée du "Ukraine sans Russie? Fumisterie. Russie avec l'ouest? Absurdité".
1 commentaire:
Ajoute que attaquer la Russie sur le terrain de l'Ukraine permet de faire oublier le dossier syrien. Toujours pour une histoire de gaz, que vise la Quatar et pour lequel l'Europe, France en tête, sous couvert d'humanisme, a pris le parti.
Cela te donnera un tableau plus global et une orientation très éloignée du droit des peuples à se déterminer par eux-mêmes.
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