Obscurité
"Donne-moi la Lumière", dit l'homme en ouvrant les yeux. Dans l'obscurité qui le cernait, il cherchait à discerner si quoi ce soit pouvait lui préciser quoi que ce soit qui lui serait utile. Le silence était si pesant que le seul son qu'il pouvait entendre était sa propre voix qui semblait mourir qu'à quelques pas de lui. Il avait la sensation étrange d'être enveloppé dans une sorte de gangue souple, collante, adhérant à tout son corps avec une telle précision qu'il n'aurait pu s'en défaire même en se mutilant pour cela. Il n'avait ni froid, ni chaud, ni faim, ni soif. La seule et unique perception qui lui restait était l'ouïe, alerte et traumatisée par la pesanteur de son environnement.
Incapable de bouger, il sentait pourtant tout son corps avec une surprenante efficacité. Chaque muscle semblait prêt à agir, mais rien n'obéissait à ses ordres intérieurs. Ses paupières daignèrent enfin réagir à ses sollicitations, mais cela ne changea en rien le constat qu'il avait fait précédemment: noir, silence, absence de quoi que ce soit de tangible. Se repliant sur lui-même, il chercha mentalement la solution pour se libérer de cette cellule imperceptible. En vain. Après divers efforts mentaux, après avoir vainement cherché comment il avait pu finir là, sa frustration se changea en rage, l'amenant à pousser des hurlements jusqu'à se briser la voix. Il appela, encore et encore, braillant des "pourquoi?", hurlant des "Aidez moi!", sans la moindre réponse en retour. Après une attente apparemment sans fin, il se décida à cesser ses cris, pour sangloter intérieurement. Il ne sentit pas si des larmes coulaient, ou non, sur ses joues.
Il ferma les yeux. Il se dit à lui-même une sorte de prière, puis il finit par s'assoupir ainsi, sans vraiment comprendre comment il pourrait avoir le moindre sommeil, alors qu'il ignorait même s'il était allongé, ou bien debout.
Son réveil fut atroce. Il fut tiré de sa torpeur par ses propres songes, cauchemar brutal où il perdait pied, où il se perdait dans l'obscurité. Au moment de s'éveiller, tout son corps chercha à se redresser, à bouger, comme pour sauter hors d'un lit confortable. En vain. Il était paralysé, figé, prisonnier de ce monde incolore et sans vie. Ses yeux s'ouvrirent brusquement sur l'obscurité, ses yeux roulèrent dans leurs orbites, et, haletant, il chercha à retrouver son souffle. Il crût étouffer; il sentit une oppression sur sa poitrine. Quand, après d'interminables instants indéfinis, il put retrouver son calme, il s'aperçut avec une sorte de bonheur démesuré qu'il s'entendait respirer! Alors, cela voulait probablement dire qu'il n'était pas totalement bloqué dans cette situation, qu'il y avait encore cette ouïe qui lui donnait une réponse à peu près potable. Il se mit à réfléchir posément, pour constater avec effroi sa propre erreur: comment n'avait-il pas fait le rapprochement? S'il s'était entendu hurler, alors il devait s'entendre respirer... et potentiellement entendre ce qu'il se passait autour de lui. Les yeux clos, il fit se tendre toutes ses pensées vers cette seule perception. Il fallait qu'il saisisse ce dehors inconnu, qu'il en appréhende les codes qu'il avait peut-être négligés jusque là...
Après d'innombrables cycles de sommeil, d'éveil, de concentration extrêmement épuisante pour l'esprit, il put faire une sorte de bilan. Il n'avait pas décompté les siestes, ce qu'il aurait dû faire pour identifier la durée de son emprisonnement; il savait à présent qu'il y avait des bruits très lointains, quasi inaudibles, mais bien là, quelque-part. Il avait du mal à en définir l'origine, et encore plus la source, mais quoi que fussent ces sons, ils étaient bien présents! Avec d'autres efforts, qui sait, il parviendrait à en comprendre le sens, et de là pouvoir y répondre.
A chaque éveil, il cumula un décompte. Il se força à rester éveillé aussi longtemps que possible, jusqu'à l'épuisement total de l'esprit. Pas question de céder, impossible de baisser les bras. Un, dix, trente... Le compte s'accumulait, infernal, dément, mais cela ne le frustra pas outre mesure. Il n'avait pas ressenti la faim ou la soif, pas plus que de la chaleur ou du froid. L'essentiel était qu'il tenait bon, qu'il ne devenait pas fou à force d'être frustré. Plutôt que de laisser vagabonder son esprit vers des pensées nostalgiques ou bien joyeuses, il s'entêta à analyser son environnement sonore. Il distingua d'abord une sorte de séquence, un claquement long, comme une cliquetis régulier, lent, où à chaque apparition celui-ci se distordait dans le temps et l'espace. Le rythme était bel et bien régulier, comme le tictac d'une horloge dont on aurait fait cliqueter les secondes sur une durée bien plus longue. Ensuite, il put savourer l'étrange sensation d'avoir quelque-chose à viser, car il s'aperçut que d'autres tonalités lui parvenaient. D'abord lointaines, elles finissaient par se rapprocher. Elles n'avaient ni rythme ni régularité, mais qu'importe, elles s'amplifiaient de plus en plus. Il lui avait même semblé reconnaître des mots, incompréhensibles dans un premier temps, puis finalement des bribes de conversations émergeaient de ces distorsions. Mais de là à y associer un sens quelconque...
Puis, après une infinité de sommeils, après une infinité de cycles de réflexions, d'analyses, il sentit une énorme différence. Les sons! Ils étaient là, bien plus rapides, bien plus vifs, et de nouveau complètement analysables. Euphorique, il sentit ses idées chercher à le faire bouger, réflexe conditionné qu'il avait jusqu'ici réprimé, faute d'utilité. Mais... il avait ... bougé! Oui, il sentait une réaction, ridicule, minuscule, mais bien réelle. Ses doigts pouvaient bouger, et il le sentait! C'était incroyable! Il en fut si ému qu'il versa une larme involontaire, qu'il perçut perler sur sa joue! "Je peux entendre, je peux sentir... donnez-moi de la lumière", se dit-il comme une incantation. Dans un effort absolument monstrueux, il fit bouger ses paupières, qui s'ouvrirent sans peine. Et là, une clarté brutale, froide, blanche et brûlante vint lui torturer les yeux. Il voulut pousser un cri de ravissement, mais ce cri resta comme étouffé dans une gorge obstruée, dont la trachée aurait été totalement desséchée.
Il chercha à bouger de plus en plus. L'effort lui fit ressentir une affreuse douleur, une torture globale, où tout son corps était la source même de sa souffrance. Le son rythmique, lent et caverneux s'était changé en une série de bips stridents, de plus en plus rapides, de plus en plus audibles. Ils se suivaient, ils perçaient son ouïe devenue hyper sensible. Pourtant, c'était concret, les sons n'étaient plus étouffés! Il chercha à prendre une grande inspiration, mais il sentit qu'il était comme empêché par quelque-chose d'extérieur à lui-même. Il se soumit à ce rythme imposé, ne comprenant pas comment il avait pu haleter auparavant. Ses yeux s'habituèrent peu à peu à la lumière glacée, sa peau lui fit saisir qu'il était couvert d'un drap, et qu'il était alité.
"Le numéro trois est sorti du coma!" dit une voix féminine visiblement troublée et stimulée à la fois. Une autre voix, masculine cette fois, rétorqua "Vous êtes sûre?!"
Il entendit ces pas, sans vraiment les comprendre. Il vit le visage d'un médecin en blouse qui se penchait vers lui. Il vit aussi le tuyau du respirateur qui lui faisait comme une trompe sous le menton. Il vit enfin qu'il était à l'hôpital... et qu'il venait sûrement de sortir d'un coma très profond.
Incapable de bouger, il sentait pourtant tout son corps avec une surprenante efficacité. Chaque muscle semblait prêt à agir, mais rien n'obéissait à ses ordres intérieurs. Ses paupières daignèrent enfin réagir à ses sollicitations, mais cela ne changea en rien le constat qu'il avait fait précédemment: noir, silence, absence de quoi que ce soit de tangible. Se repliant sur lui-même, il chercha mentalement la solution pour se libérer de cette cellule imperceptible. En vain. Après divers efforts mentaux, après avoir vainement cherché comment il avait pu finir là, sa frustration se changea en rage, l'amenant à pousser des hurlements jusqu'à se briser la voix. Il appela, encore et encore, braillant des "pourquoi?", hurlant des "Aidez moi!", sans la moindre réponse en retour. Après une attente apparemment sans fin, il se décida à cesser ses cris, pour sangloter intérieurement. Il ne sentit pas si des larmes coulaient, ou non, sur ses joues.
Il ferma les yeux. Il se dit à lui-même une sorte de prière, puis il finit par s'assoupir ainsi, sans vraiment comprendre comment il pourrait avoir le moindre sommeil, alors qu'il ignorait même s'il était allongé, ou bien debout.
Son réveil fut atroce. Il fut tiré de sa torpeur par ses propres songes, cauchemar brutal où il perdait pied, où il se perdait dans l'obscurité. Au moment de s'éveiller, tout son corps chercha à se redresser, à bouger, comme pour sauter hors d'un lit confortable. En vain. Il était paralysé, figé, prisonnier de ce monde incolore et sans vie. Ses yeux s'ouvrirent brusquement sur l'obscurité, ses yeux roulèrent dans leurs orbites, et, haletant, il chercha à retrouver son souffle. Il crût étouffer; il sentit une oppression sur sa poitrine. Quand, après d'interminables instants indéfinis, il put retrouver son calme, il s'aperçut avec une sorte de bonheur démesuré qu'il s'entendait respirer! Alors, cela voulait probablement dire qu'il n'était pas totalement bloqué dans cette situation, qu'il y avait encore cette ouïe qui lui donnait une réponse à peu près potable. Il se mit à réfléchir posément, pour constater avec effroi sa propre erreur: comment n'avait-il pas fait le rapprochement? S'il s'était entendu hurler, alors il devait s'entendre respirer... et potentiellement entendre ce qu'il se passait autour de lui. Les yeux clos, il fit se tendre toutes ses pensées vers cette seule perception. Il fallait qu'il saisisse ce dehors inconnu, qu'il en appréhende les codes qu'il avait peut-être négligés jusque là...
Après d'innombrables cycles de sommeil, d'éveil, de concentration extrêmement épuisante pour l'esprit, il put faire une sorte de bilan. Il n'avait pas décompté les siestes, ce qu'il aurait dû faire pour identifier la durée de son emprisonnement; il savait à présent qu'il y avait des bruits très lointains, quasi inaudibles, mais bien là, quelque-part. Il avait du mal à en définir l'origine, et encore plus la source, mais quoi que fussent ces sons, ils étaient bien présents! Avec d'autres efforts, qui sait, il parviendrait à en comprendre le sens, et de là pouvoir y répondre.
A chaque éveil, il cumula un décompte. Il se força à rester éveillé aussi longtemps que possible, jusqu'à l'épuisement total de l'esprit. Pas question de céder, impossible de baisser les bras. Un, dix, trente... Le compte s'accumulait, infernal, dément, mais cela ne le frustra pas outre mesure. Il n'avait pas ressenti la faim ou la soif, pas plus que de la chaleur ou du froid. L'essentiel était qu'il tenait bon, qu'il ne devenait pas fou à force d'être frustré. Plutôt que de laisser vagabonder son esprit vers des pensées nostalgiques ou bien joyeuses, il s'entêta à analyser son environnement sonore. Il distingua d'abord une sorte de séquence, un claquement long, comme une cliquetis régulier, lent, où à chaque apparition celui-ci se distordait dans le temps et l'espace. Le rythme était bel et bien régulier, comme le tictac d'une horloge dont on aurait fait cliqueter les secondes sur une durée bien plus longue. Ensuite, il put savourer l'étrange sensation d'avoir quelque-chose à viser, car il s'aperçut que d'autres tonalités lui parvenaient. D'abord lointaines, elles finissaient par se rapprocher. Elles n'avaient ni rythme ni régularité, mais qu'importe, elles s'amplifiaient de plus en plus. Il lui avait même semblé reconnaître des mots, incompréhensibles dans un premier temps, puis finalement des bribes de conversations émergeaient de ces distorsions. Mais de là à y associer un sens quelconque...
Puis, après une infinité de sommeils, après une infinité de cycles de réflexions, d'analyses, il sentit une énorme différence. Les sons! Ils étaient là, bien plus rapides, bien plus vifs, et de nouveau complètement analysables. Euphorique, il sentit ses idées chercher à le faire bouger, réflexe conditionné qu'il avait jusqu'ici réprimé, faute d'utilité. Mais... il avait ... bougé! Oui, il sentait une réaction, ridicule, minuscule, mais bien réelle. Ses doigts pouvaient bouger, et il le sentait! C'était incroyable! Il en fut si ému qu'il versa une larme involontaire, qu'il perçut perler sur sa joue! "Je peux entendre, je peux sentir... donnez-moi de la lumière", se dit-il comme une incantation. Dans un effort absolument monstrueux, il fit bouger ses paupières, qui s'ouvrirent sans peine. Et là, une clarté brutale, froide, blanche et brûlante vint lui torturer les yeux. Il voulut pousser un cri de ravissement, mais ce cri resta comme étouffé dans une gorge obstruée, dont la trachée aurait été totalement desséchée.
Il chercha à bouger de plus en plus. L'effort lui fit ressentir une affreuse douleur, une torture globale, où tout son corps était la source même de sa souffrance. Le son rythmique, lent et caverneux s'était changé en une série de bips stridents, de plus en plus rapides, de plus en plus audibles. Ils se suivaient, ils perçaient son ouïe devenue hyper sensible. Pourtant, c'était concret, les sons n'étaient plus étouffés! Il chercha à prendre une grande inspiration, mais il sentit qu'il était comme empêché par quelque-chose d'extérieur à lui-même. Il se soumit à ce rythme imposé, ne comprenant pas comment il avait pu haleter auparavant. Ses yeux s'habituèrent peu à peu à la lumière glacée, sa peau lui fit saisir qu'il était couvert d'un drap, et qu'il était alité.
"Le numéro trois est sorti du coma!" dit une voix féminine visiblement troublée et stimulée à la fois. Une autre voix, masculine cette fois, rétorqua "Vous êtes sûre?!"
Il entendit ces pas, sans vraiment les comprendre. Il vit le visage d'un médecin en blouse qui se penchait vers lui. Il vit aussi le tuyau du respirateur qui lui faisait comme une trompe sous le menton. Il vit enfin qu'il était à l'hôpital... et qu'il venait sûrement de sortir d'un coma très profond.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire