23 juin 2011

C’est l’histoire d’un mec

Toute la difficulté de parler d’un homme célèbre, c’est d’éviter l’idolâtrie. J’ai pratiqué cet « art » en parlant de mon maître à penser, à savoir Pierre Desproges. Fine plume, esprit vif et cynique, il m’a offert cette part de critique et de philosophie de la vie qui est aujourd’hui indissociable de mes écrits. Bien sûr, on pourra me dire qu’il y a eu d’autres artistes, qu’il n’était pas le seul à critiquer la société, et que, d’une certaine manière, il fut trop élitiste en rendant son propos souvent inabordable pour le commun des mortels. Soit. Je concède sans rechigner qu’il y avait dans sa prose de quoi donner mal au crâne aux moins instruits d’entres nous, et que, par conséquent, d’autres tenaient le rôle du comique pour tous, du génie de l’humour le tout à chacun. Et c’est homme, ce fut Coluche.

25 ans après sa mort tragique sur sa moto, nous entendons toujours sa voix inimitable sur les ondes, nous le revoyons avec plaisir dans des rôles tant comiques que tragiques au cinéma, et il représente encore l’humour grinçant que le Français moyen s’est bien souvent approprié. Est-ce qu’on peut parler d’héritage dans le cas d’un humoriste ? Je crois que Coluche est en soi un pan complet de l’humour en France, à tel point que je crois que la majorité des humoristes actuels lui doivent quelque chose. Comique de situation, chronique acerbe de la société, intemporalité des sujets, Coluche a ouvert la voie aux générations suivantes de comiques. Pourtant, au-delà de ce personnage exceptionnel, on ne peut que constater que la dite relève ne s’est pas révélée à la hauteur du « maître ».

Outrancier, outrageant même, provocateur, sa franchise désarmante a mis à mal bien des journalistes et des politiques, à tel point qu’on parla parfois de complot concernant sa mort. Hé oui, Coluche s’était présenté aux présidentielles, puis retiré après le constat que nombre de Français étaient prêts à le suivre ! Je ne cautionne pas ces thèses, car c’était un homme qui a vécu sa passion de la moto jusqu’au bout, notamment en détenant un record du monde sur piste. Il est mort comme il a vécu, à fond, sans se préoccuper de l’opinion de ses détracteurs. Dans un monde devenu bien pensant, dans une société où l’apparence compte plus que les faits, Coluche serait aujourd’hui constamment en colère. Nous offrons à présent un visage de bienséance malsaine, et ses provocations seraient aujourd’hui sanctionnées sans arrêt par des jugements aussi ridicules que dramatiques. Coluche a usé de son droit à la parole, et utilisé sa notoriété pour faire passer des messages sur la situation des banlieues, l’avenir de la jeunesse, le racisme, la police, l’immigration, la justice… Et rien que pour cela, j’apprécie le personnage.

J’ai une tendresse toute particulière pour le comique qu’il fut, non parce que je suis un fan de ses sketchs, mais parce qu’il dénonçait ce qui perdure encore et encore. Quand sa colère est montée au firmament, il a « imité » l’abbé Pierre en créant les restos du cœur. Œuvre caritative emblématique de l’époque « Musique et charité » (avec l’Arménie chantée par Aznavour, les famines en Afrique chantées par un regroupements d’artistes aux USA), les restos se sont révélés être révolutionnaires à une époque où la réussite outrancière était de bon ton. Quand Tapie faisait la une des journaux et de la pub à la télévision (« Il marche à la Wonder ! »), Coluche dénonçait la pauvreté, la précarité et la famine. Quand les restos ouvrirent, l’homme espérait que cela ne durerait pas, que les pouvoirs publics s’empareraient du tout et que les restos n’auraient plus de raison d’être. Malheureusement, plus de 25 ans après, ils sont bel et bien là, et le nombre de repas servis augmente chaque année.

On peut ne pas apprécier le « charity business » où les stars du moment aiment à apparaître pour se donner tant un vernis de générosité qu’une visibilité médiatique, et, comme moi, détester l’attitude condescendante de nombre de donateurs. Cependant, je trouve tout de même fantastique ce chantier humain qui, comme le pensait également Coluche, devrait être dévolu non aux bonnes volontés, mais bel et bien à l’état. Il me semble intolérable et honteux qu’on puisse avoir faim dans un pays qui pratique la surproduction alimentaire et qui jette une part non négligeable de son assiette ! Je suis outragé et en colère quand j’apprends que des gens meurent de froid dans les grandes villes françaises. Nous ne sommes pas dans un pays émergents ou en guerre, mais bel et bien en France, une nation supposée riche, donc capable d’aider ceux qui en ont besoin…

Coluche, tu serais vraiment furieux de voir qu’aujourd’hui encore, « on a faim et froid ». Tu serais ulcéré par le manque de générosité de tes concitoyens, et surtout du manque total d’humanité de nombre d’élus. C’est ainsi : on n’ouvrira certainement pas des logements sociaux dans des immeubles pourtant inhabités, parce que c’est une atteinte au sacro-saint capital. On ne touchera pas aux bénéfices monumentaux des banques, parce qu’ils sont versés à des actionnaires et amis des gouvernants. Tout cela, tu en parlais, tu hurlais ta haine de l’égocentrisme… Mais rien n’a changé, et cela a même empiré.

Pour te mettre encore un peu plus en colère, l’Europe dénonce les aides versées pour nourrir les gens comme les restos le font, parce qu’il s’agit là d’une (je me retiens de vomir là) « concurrence déloyale, car il s’agit d’une aide sociale et non économique, allant donc à l’encontre des règles de l’OMC». PARDON ??? Quand quelqu’un n’a pas les moyens de se nourrir, on doit donc le laisser crever de faim ? Et pourquoi pas dénoncer les dons de meubles à Emmaüs parce qu’il s’agit là d’une concurrence à Ikea ? Et les vêtements donnés à l’armée du salut, c’est une concurrence à Kiabi peut-être ? Ordures !

La réduction des aides alimentaires, sur lemonde.fr

Coluche, ta grande gueule manque vraiment ! Dommage que tu ne reviendras jamais, et que ta « relève » n’est assurée que par des politiquement corrects qui se donnent des airs de rebelles en disant quelques vulgarités ! Hé oui, l’histoire de ton mec normal (blanc quoi), elle n’est plus sortable, parce qu’elle dérange… Et moi, à ceux qu’elle dérange, je dis MERDE.

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