04 avril 2011

Magicien

Les belles histoires sont celles qu’on aime parce qu’elles nous donnent des émotions. Tristes, joyeuses, étranges même, les belles histoires font frémir et invitent à l’évasion. On pourrait croire que l’amour serait le sujet le plus efficace, mais je crois sincèrement que l’amour est une des composantes, mais la seule. Une belle histoire, c’est aussi savoir raconter des choses inconnues, de la poésie, de la magie, de la force, de la faiblesse, et finalement des émotions variées. Toute la magie du monde, qu’il soit inventé ou réel, s’exprime alors, et le conteur offre à ses lecteurs la possibilité de devenir des voyageurs immobiles. J’aime cette idée, le principe que l’auteur offre des places dans un train magique, et qu’il emmène dans son monde intérieur des inconnus qui pourront, l’espace d’un instant, partir dans un ailleurs fait de rêves et d’espoirs.

De sa plume, le magicien pourrait décrire n’importe quoi, si le cœur lui en disait. Il serait là, à tracer les courbes des collines lointaines, à les peindre ensuite d’un blanc moucheté de vert, et faire voler à proximité des oiseaux de proie. Il pourrait, si l’envie lui prenait, se saisir d’un rouleau et placer la ligne droite d’un chemin, puis un second venant rencontrer le premier par hasard. Et là, de quoi serait fait ce paysage ? Peut-être de quelques chaumières dont les cheminées fumeraient, signe que la vie s’y déroule au rythme de l’hiver. Le magicien, va-t-il s’amuser à mettre un arc-en-ciel ? Va-t-il laisser des moutons sur le bleu givré du ciel ? Ou encore laissera-t-il des pâturages vierges de toute trace ? Libre à lui de songer à ce décor, à le laisser exempt d’humanité, ou au contraire à montrer une foule qui fête une naissance dans une grange, une procession menant au cimetière du village, ou un repas familial sous le plafond bas de la pièce unique d’une masure de métayers. Il est libre, il offre ce qu’il a envie, il décrit. C’est son art.

Est-ce qu’il va troubler ce monde qu’il vient de fabriquer ? Il pourrait tout aussi bien placer ce tableau intérieur dans une époque troublée, ou au contraire se préoccuper que des habitants, en laissant l’histoire, la grande, à d’autres rêveurs. Rien n’est contrariant, rien n’est obligatoire, ni la joie, ni les peines. Il y a autant de vies qu’il y a de tours de magie, et les siens, il les met au service d’une romance, d’une volée de personnages parfois hauts en couleurs. Pourquoi se contenter de caricatures, quand il peut construire des personnalités complexes, voire torturés ? Le magicien joue, il ajoute par ici, enlève par là, il monte la comédie humaine comme d’autres montent des puzzles. Son puzzle à lui, ce sont les mots, les expressions, les relations entre ses personnages. Parfois amusants, parfois tristes, les assemblages mènent immanquablement quelque part, et il est libre de choisir le lieu et l’heure de l’arrivée de son train d’imaginaire. Les passagers se laissent emmener, ils naviguent, le train est aussi bateau, vaisseau, statique, mouvant, étonnant, connu et inconnu à la fois. Qu’importe, les passagers sortiront du train en ayant dans le cœur la sensation d’avoir voyagé.

Il a créé un monde connu, avec des références, des impressions de connaissance. Mais il est en droit de créer tout autre chose, un futur pour l’homme, ou même un monde où le mot « homme » n’a pas de sens. Futur, passé, magie, voyages initiatiques, espèces fantasmées, lieux rêvés, tour de cristal ou château sombre, le magicien n’a pas de frontière ou de code à respecter, si ce n’est celui qu’il a imaginé pour lui-même. D’un bond à l’autre, d’un mot à un autre, ce sont des images qui flottent, comme les drapeaux qu’on accroche aux fenêtres lors des commémorations. Le voyageur peut observer, voir de nouveaux mondes, s’extasier sur la complexe architecture improbable d’une planète lointaine, ou halluciner sur des plaines si grandes que l’horizon semble petit. Le voyageur peut alors entendre des sons, ceux d’un chant de femme, ceux d’un orchestre d’êtres inhumains et pourtant profondément humanistes, ou encore ceux d’une machinerie à la technologie aujourd’hui perdue à jamais. Le magicien n’a de frontière interne que celles de ses envies, et rien ne saurait lui interdire d’ouvrir de nouvelles voies.

Puis le magicien met un point final sur son texte. Il clôture le voyage, il fait descendre ses voyageurs. Son train, il aura parcouru des milliers de lieux, longé des milliers de villages, traversé l’espace, le temps, tout en restant immobile en gare. Les gens montent et descendent à volonté, ils ouvrent et ferment les portes des compartiments, comme on ouvre les pages d’un livre à l’aide de son marque-page. Et puis, enfin, il les regarde reprendre pied dans la réalité, quand le lecteur pose son pied sur le quai. Ils sourient, ils pleurent, ils vivent l’émotion, comme lui-même les a ressenties en créant ce monde, ces personnages, ces lieux inconnus ou au contraire que trop bien connus. Il a relaté, il a décrit, il a mis de sa magie dans les descriptions. L’art, son art, c’est de faire pénétrer la lumière dans l’obscurité d’une page en papier, de faire sortir l’obscurité du blanc des feuillets, le vert des forêts dans le noir de l’encre, d’extraire le bleu du ciel de la couverture brune de son ouvrage. Est-il content ? Si ses passagers, ses lecteurs, sortent avec quelque chose dans le cœur, alors le magicien sera parvenu à quelque chose de sincère et d’unique. C’est en cela, qu’écrire est magique : on offre quelque chose, et le retour, ce sont des émotions, des mots qu’on cherche, des sourires, des peines, des larmes même, mais toujours pour une bonne raison, la plus importante à mon sens… Celle qui fait que nous sommes humains, que nous vivons, à savoir ressentir, tout simplement.

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