16 février 2011

Le tribunal

Ces derniers jours ont été particulièrement amers pour les représentants de la justice en France. En effet, ils ont été mis littéralement en accusation pour des lacunes, des incompétences, ce qui, en soi, serait représentatif du délabrement de notre système. Le président lui-même, avec un populisme aussi maladroit que dangereux, a lancé cette polémique qui, pour moi, n’a pas de sens. Le rôle du président n’est pas de vilipender les institutions, mais plutôt de leur donner l’opportunité d’agir avec sérénité, voire même d’en protéger le fonctionnement en s’assurant que les médias ne viennent pas polluer le débat. Or, monsieur Sarkozy, amateur de la messe du 20H00 devant l’éternel, a eu des propos que je trouve malheureux. Toutefois, maintenant que la question du fonctionnement de la justice en France est lancée, nous devons nous poser des questions sur nos souhaits et nos attentes à son encontre.

Le système Français n’est pas récent, et nombre de lois toujours en vigueur sont des héritages de Napoléon 1er. Bien sûr, les réformes successives, ainsi que les tentatives d’ajouts permettent parfois de compenser les éventuelles failles, mais force est de constater qu’au lieu d’améliorer le système, le fonctionnement global est dorénavant pollué par une multitude d’ajustements pas toujours connus, voire de suppressions d’anciennes lois qui, à terme, mènent à des anomalies dans les jugements. Réformer la justice, c’est se poser avant toute chose la question de savoir vers quoi nous tendons : une justice à la Française, ou une justice à l’Américaine ? Le sujet est vaste, car il passe tant par la garde à vue, que par la gestion des condamnés en prison. Réformer, cela sous-entend donc savoir comment nous voulons notre justice : complexe, au risque d’être inefficace, mais capable de s’adapter à chaque jugement, ou simplifiée, avec le travers évident de rendre la justice plus expéditive qu’elle ne l’est actuellement. En d’autres termes : casser pour faire plus dur, ou bien réparer pour faire plus riche ? Les débats à ce sujet font rage, et surtout font stagner la question depuis des décennies.

Nous avons aboli la peine de mort. C’est un fait, c’est pour ainsi dire définitif, car un sujet aussi sensible ne sera probablement pas remis sur le devant de la scène de sitôt. Pourquoi aborder cette question alors ? Parce qu’elle est très représentative du comportement tant des instances dirigeantes, que de l’opinion publique. Je m’explique : Mitterrand avait annoncé cette décision durant sa campagne, en dépit du fait que l’opinion publique semblait en désaccord sur ce changement. Une fois président, l’homme a tenu son engagement, et a donc fait abolir la peine capitale. Trente ans après, la question reste encore dans les esprits, et est sujet à controverse. Très régulièrement, la question de la peine capitale pour les meurtriers d’enfants, pour les multirécidivistes revient à toute vitesse. Il suffit d’un drame médiatisé pour que la foule s’agite et s’interroge. Dans ces conditions, difficile de réformer les lois, car toute modification, si facile soit-elle, sera sujette aux critiques, au refus de la masse, ainsi qu’à l’opposition d’une partie des juristes qui pratiquent au quotidien les lois Françaises. Donc, cela revient à dire que la masse ne doit pas être interrogée, sous peine de faire stagner, encore et toujours, la question de la réforme de notre système de justice.

Allons plus loin. La justice, c’est deux corps distincts mais qui se rejoignent dans la démarche : la magistrature et la police. La première juge les affaires que lui présente la seconde. De là, c’est donc nécessairement un travail en commun qui doit être mené pour aller depuis l’enquête, ensuite la mise en examen d’un prévenu, jusqu’à la mise en détention s’il y a condamnation. On ne peut donc pas dissocier une réforme des lois d’une réforme des rôles, obligations, et prérogatives des organes assurant notre sécurité. Typiquement, la police et la gendarmerie ont été regroupées sous une seule et même autorité ministérielle, chose qui n’était pas le cas auparavant (puisque la gendarmerie est constituée non de fonctionnaires, mais de militaires). De là, peut-on sereinement envisager de revoir les règles sans revoir la position de chacun vis-à-vis d’elles ? A mon sens, c’est un des gros dangers de l’absence de réforme profonde et concertée, à savoir qu’en modifiant trop prudemment les lois, sans communication, nous arrivons à des aberrations, comme un policier procédant à une arrestation en vertu d’une loi qui a été abrogée. Cela semble absurde, mais cela s’est déjà produit, amenant alors à des affaires sans sens ni possibilité de gestion juridique.

Un autre point clé de la justice est, selon moi, de réfléchir sur la manière dont celle-ci est présentée. A aujourd’hui, les médias font le jeu d’une justice soit incompétente, soit corrompue. Certes, les affaires, les travers existent, mais ce n’est pourtant pas la généralité. De la même manière, le rôle de la police doit être rapidement clarifié, car celle-ci reste encore, dans l’inconscient collectif, non comme une source de sécurité, mais plus une source d’ennuis potentiels. La « peur du gendarme » est une réalité, à tel point qu’elle dénote un manque profond de confiance du Français dans ses institutions. Pourquoi ? A force de dénigrer, à force de faire preuve d’un manque concret de respect, nous sommes à présent parvenus à rendre l’image de la fonction de policier plus ingrate que celle d’un voyou ! L’argent roi, la violence par le son et l’image, tout concourt à démolir l’image de la police aux yeux des masses. Et l’effet est pervers : plus l’image est mauvaise, plus le nombre de candidats à la fonction diminue. De fait, pour renouveler les effectifs, le nombre d’agents à diplômer se réduisant, on en vient à réduire la difficulté pour augmenter artificiellement le taux de réussite. En conséquence, on réduit la formation et la compétence des agents de contrôle, ce qui leur donne une mauvaise image de marque… Et ainsi de suite.

L’urgence est concrète sur plusieurs terrains distincts. Il faut absolument mener un débat de fond sur la justice en France, en envisageant sereinement et courageusement une réforme des lois. La seconde partie du chantier sera alors de communiquer sur ces réformes, afin que le public soit sensibilisé à son rôle d’acteur de la vie sociale. Le troisième aspect sera alors d’apporter une amélioration tant dans la taille des effectifs, que de la formation des agents de sécurité publique. Le dernier point, et non des moindres, sera alors de trouver les financements nécessaires à toutes ces opérations. Les lacunes et erreurs commises sont souvent le fait d’un manque concret de formation, d’expérience, tout comme un dimensionnement insuffisant des équipes. Un juge qui doit traiter des dizaines de dossiers par jour, cela marque non pas une compétence, mais une surcharge inacceptable de travail. Il me semble inacceptable de les attaquer sur ce sujet, car il est du ressort de l’état de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que notre justice ne soit plus sclérosée et moins efficace qu’elle ne le devrait. Les délais d’attente s’allongent dans les tribunaux, tout comme le nombre de procédures se multiplie inutilement. La faute à qui ? Aux affaires, tout simplement. Les lois sont si riches qu’elles en viennent à se contredire, ceci offrant alors d’innombrables ressorts pour faire traîner vainement les choses, jusqu’à l’abandon des poursuites, faute de dossier viable.

Je ne crois pas qu’il soit intelligent de la part d’un président d’attaquer ainsi la magistrature. En revanche, je ne trouve pas plus sains que celle-ci se mette ainsi en grève. En effet, celles et ceux dont le sort dépend d’une décision de justice sont souvent mis dans une situation précaire : le prévenu, en détention préventive, peut très bien être acquitté au procès, tout comme le type soupçonné de meurtre peut rester en liberté, et faire d’autres victimes. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’un acte responsable que de jouer ainsi la montre par la grève. J’entends leurs revendications, tout comme je comprends leur colère, mais je ne saurais admettre qu’elle mette une société en péril. De la même manière, je ne saurais cautionner que des fonctions se couvrent mutuellement. Il n’est pas acceptable que des policiers montent un dossier bidon pour couvrir une faute, qu’ils soient naturellement condamnés pour cette fraude évidente, et qu’ensuite leurs collègues se mettent en grève pour contester la décision de justice. La police a besoin de crédibilité, de soutien des politiques, mais certainement d’une attitude corporatiste protégeant les bavures et travers de ses membres. La magistrature, la police, représentent la Loi, celle qui est supposée être notre point d’entrée principal, notre unicité sociale, pas les symboles de la dérive lamentable d’un pays qui n’a pas besoin de ce genre d’affaires.

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