17 février 2011

Et si les explorateurs étaient des pourris ?

Bon, il est vrai que derrière la légende, il y a souvent des personnages sombres qui, sous couvert de science et de découverte, recherchaient gloire et fortune aux frais d’un roi ou d’un riche financier. Ainsi, Colomb, dans sa quête de la route ouest pour les Indes, n’a certainement pas agi pour le progrès scientifique, mais très certainement pour que les Espagnols puissent faire du commerce sans les risques inhérents aux caravanes et au transport maritime depuis les Indes Britanniques. Alors, si l’on reprend l’histoire, on doit nécessairement choisir une manière de la présenter, en tout cas d’opérer des coupes dans la vérité. Pour ma part, je me complais à imaginer des personnages bien moins lisses ou propres que ceux de la légende !

Alors imaginons Colomb, durant son voyage vers l’ouest, à destination des Indes… Imaginons ces caravelles, voguant des jours durant, pour effectuer un voyage hors du commun, celui amenant à la découverte d’un nouveau continent pour les Européens. Et imaginons ce quotidien rude, épuisant, mêlant la vie et la mort en un seul endroit étriqué.

« Tu vois quelque chose ? », gueula Colomb à la vigie qui somnolait en haut de son mât. L’homme, épuisé par la privation, la soif, et la chaleur de plomb qui écrasait le navire, ne réagit pas immédiatement, et ce n’est qu’au prix d’immenses efforts qu’il daigna observer l’horizon avec une longue-vue. « Que dalle… », répondit-il ensuite, avec un ton capable de faire s’assoupir un gosse braillard faisant ses dents. Mais qu’est-ce qui avait pris à Colomb d’entreprendre un tel voyage ? Bon, il y avait bien le pognon, la possibilité d’avoir des retombées de l’ouverture d’une nouvelle route commerciale, sans compter la notoriété d’être un précurseur, mais de là à tolérer un équipage fait de bric et de broc, il y avait de quoi désespérer ! Au mieux, le marin moyen était alcoolique, au pire, il ignorait au surplus la moindre notion de manœuvre en mer. Marins, tu parles, juste bons à emplir les tavernes glauques du port, ou de vider des bouteilles de mauvais alcool à fond de cale, mais certainement pas de manipuler avec soin les cordages, les voiles, ou ne serait-ce que de tenir le cap avec la barre.

D’un air agacé, Colomb lissa sa barbe plus que naissante. Il arpentait sans cesse le pont supérieur, cherchant la bonne route pour aller vers une destination inconnue. « Toujours à l’ouest », telle était sa doctrine de conduite de la flottille. Tous naviguaient à vue, afin qu’aucun navire ne se perde, seul, dans cet océan totalement inconnu. Mais voir les autres rafiots, c’était aussi voir la honteuse situation à leur bord. Les vêtements pendaient sur les cordages pour sécher, les plus ivres ronflaient à même le pont, et les plus sobres s’adonnaient à divers jeux d’argent. Comment mener à son terme un voyage, quand tout le monde s’en fout ? Alors, chaque jour, Colomb avait des sursauts de fureur, hurlant ses ordres, agitant les marins hagards et fatigués à ne rien faire. « Pourritures, raclures, si vous ne bougez pas, on va tous crever ! »

En retour, les marins observaient Colomb avec un désespoir grandissant. Son regard d’illuminé, son amaigrissement dû aux privations, ainsi que son entêtement à porter l’uniforme d’apparat malgré la chaleur, tout concourrait à faire passer le chef de l’expédition pour un cinglé fini. « Un coup de soleil, ou alors il s’est foutu la tronche dans une poutre de la cale ! » affirmaient les plus vindicatifs. Hé oui, ce commandant, ce n’était qu’un terrien, un prétentieux en quête de gloire, comptant plus sur le fric que sur la compétence. Il avait les marins qu’il avait daigné payer, c'est-à-dire les plus mauvais, les incompétents, le fond du panier, ceux que personne d’autre ne voulaient embaucher. « Qu’il gueule ce con ! » répondaient les marins en chœur, car, au fond, lorsque le petit chef se mettait à grogner, cela ne les faisait pas pour autant se rapprocher d’une côte quelconque. Ce voyage était condamné d’avance, ils allaient tous crever en mer, à côté d’un demeuré qui aimait à se prendre pour un explorateur…

Puis la terre apparût au loin.

Puis le nouveau monde fut conquis.

Puis Colomb devint une légende, et ses marins restèrent des anonymes.

Moralité : honneur et gloire sont réservés aux pourris !

Aucun commentaire: