27 janvier 2011

Pacifique

Parmi toutes les images sombres, les histoires glauques et les réactions humaines déprimantes, il est parfois nécessaire de trouver quelques instants de quiétude et de magie. Se laisser porter, respirer l’air enfin dépourvu de notre propre incurie, et enfin savourer le fait de vivre, tout simplement. Nous réduisons trop vite nos existences à de simples équations, nous cantonnons trop vite notre devenir à des objectifs mesquins, alors qu’il est si simple d’avancer d’un bon pas, sans qu’on soit tenu de piétiner les autres. Alors, rêvons, divaguons, même si ce n’est que sur quelques lignes, même si ce n’est que pour quelques instants. La vie est fugace, temporaire, alors les bons moments le sont tout autant, non ?

Assis dans l’herbe haute d’un printemps qui se termine, nous pourrions partager la vue d’une vallée qui a reprise ses droits sur les neiges de l’hiver, et respirer à pleins poumons les senteurs des fleurs vivaces et sauvages. Détendus, débattant de tout, de rien, le sourire sur les lèvres, nous partagerions alors la brise caressant nos peaux hâlées, tandis que les chants d’oiseaux disputeraient l’espace sonore aux mélodies animales terrestres. Le beuglement d’une vache, les aboiements du chien de berger, toute la nature ferait son concert afin que nous sachions que jamais nous sommes seuls ici bas. Qui voudrait abîmer la vue sur ce sommet blanc ? Qui voudrait ruiner ces escarpements rocheux où déambulent paisiblement les chamois ? Qui voudrait que les nuages vaporeux deviennent gris sale ? Qui oserait envisager de faire disparaître ces forêts de sapins ? On discuterait du bonheur de boire directement à la source, de pouvoir récolter nos fruits et nos légumes sans se préoccuper de la pollution des sols, et l’on se demanderait simplement comment les autres faisaient, quand ils détruisaient le monde sans vergogne.

A des milliers de kilomètres de là, ils seraient assis, eux aussi, regardant l’horizon en songeant à nous autres Européens, loin des yeux mais près du cœur. Ils auraient plongés leurs pieds dans le sable chaud du désert, dégustant un thé sous la tente, respirant l’air surchauffé et pourtant agréable. Au fond d’une besace, ils tireraient des dattes séchées pour un repas frugal en apparence, mais généreux en saveurs et en sentiments. Vêtus comme depuis toujours, ces bédouins se diraient qu’ils ont le bonheur d’être libres, sans frontière ni papier à présenter pour tout et pour rien. Eux aussi débattraient de la vie, du sens du voyage, d’être nomades sur cette terre qui les as vu naître, et qui sera leur sépulture un jour ou l’autre. Ils ne s’inquiéteraient pas du risque de croiser une autre tribu, tout le monde partageant le sens du voyage, de l’hospitalité, et du respect mutuel. Ils prieraient, et personne ne leur en ferait reproche. Ils préserveraient l’eau, les rares endroits où le sable n’a pas tout englouti, et ils se satisferaient du fait d’être heureux, entres amis, en famille.

Et puis, là, derrière une autre ligne d’horizon, il y aurait ces gens qui, chaque jour, se ravissent de voir à leurs pieds la forêt primaire. Ils en verraient toute la richesse, la splendeur éternelle, la curieuse osmose entre biologie et magie. Croiser un animal bigarré n’aurait rien de surprenant, les grands singes ne seraient pas menacés d’extinction, et chacun prendrait le temps non de prendre, mais de recevoir le don qu’est la diversité de la forêt. Ils mangeraient le nécessaire, ils pourraient vivre comme ils le souhaiteraient, sans craindre les braconniers, les entrepreneurs qui rasent les arbres pour les vendre, et on écouterait autour du feu les histoires millénaires transmises par les anciens. Les gosses pourraient alors jouer dans le ruisseau sans craindre la pollution des orpailleurs, ils sauraient trouver leur chemin parmi les lianes et les troncs, et nul ne chercherait à les expulser de leurs terres. Patiemment, ils avanceraient dans l’existence, comme nous devrions tous le faire, comme nous avons cessé de le faire à force d’ambition démesurée et d’autosatisfaction mesquine.
Vivons, visons un idéal pacifique, avec l’espoir au cœur…

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