15 novembre 2010

Elites

Ces derniers temps, un terme revient régulièrement sur le devant de la scène, et il est employé, à mon sens, à tort et à travers. Elites par ci, élites par là, mais qui sont diable ces élites qui semblent avoir tous les pouvoirs, qui apparaissent comme intouchables, invulnérables, sur lesquelles les scandales et les manipulations glissent visiblement sans laisser de tache ? Est-on donc gouvernés, dirigés, embrigadés par une minorités d’idéologues, à tel point que nous sommes devenus incapables de réfléchir indépendamment de la doctrine officielle ? Même si cela semble caricatural, force est de constater une forme bizarre d’incitation à la soumission à des autorités, à des « élites », alors que nous sommes maintenant dans la quasi impossibilité d’en identifier le véritable visage.

J’aurais pu me lancer dans une dithyrambe contre les élites politiques, lyncher les attitudes malsaines où un condamné pour malversations revient aux affaires, démolir les systèmes où les états s’entendent contre les intérêts communs pour les intérêts d’un petit nombre et j’en passe ; pourtant, point de théorie du complot. Illuminatis ? Franc-maçonnerie ? Sectes ? Ce n’est pas le fond du problème. J’estime bien plus inquiétant le fait que les gens, les électeurs, vous, moi, nous ne sanctionnions pas ces fraudes et autres embrouilles. Si un élu est temporairement banni des affaires, pourquoi le réélire ? C’est alors accepter et légitimer le principe qui dit que la politique ne peut se faire que par la magouille. Or, dans l’absolu, nous réclamons de nos élus qu’ils soient honnêtes. Paradoxal, et pourtant c’est un fait commun et avéré.
Je n’ai jamais été un grand amateur de la théorie du complot, ceci parce que le complot, l’entente, les accords derrière les rideaux fermés, ce sont des choses aussi vieilles que le monde. Les empires de l’antiquité payaient des chefs de tribus « barbares » pour s’éviter des guerres, plus proche de nous, les états se sont partagés le monde en traçant sauvagement des grands traits sur des cartes abstraites, et aujourd’hui encore, les états négocient, tergiversent, ceci selon les intérêts du moment. Dans ces conditions, rien de vraiment neuf sous le soleil, encore faut-il en avoir conscience, et ne pas l’accepter en faisant son devoir de citoyen en ne votant plus pour l’escroc reconnu comme tel, mais en votant pour celui que l’on suppose honnête.

Le premier des cas intéressants, et non des moindres, c’est la présence devenue inévitable des réseaux sociaux. Dans l’absolu, ils offrent des possibilités énormes d’échanges, de discussions, de retrouver des amis perdus de vue, et j’en passe. La transmission des idées, la fédération des connaissances, tout ceci est donc, en théorie, particulièrement profitable à tout le monde, d’autant plus si la chose se fait sans véritable capacité de contrôle de l’extérieur. Or, la vérité me semble autrement moins idyllique : quid de la vie privée ? Quid de la sécurité des données ? Quid du droit à l’image ? Facebook, le monstre incontesté du réseau, est aujourd’hui inévitable. Où que vous alliez ou presque, vous aurez le droit à un logo pour faire partager au monde le fait que « vous appréciez un site », de partout on vous incitera à laisser un commentaire sur le profil Facebook de X ou Y. Pire encore : tant les politiques que les personnalités médiatiques utilisent clairement Facebook dans la trame de communication à destination du grand public. De ce fait, nous sommes face à un dilemme : partager sa vie sur le réseau social, ou alors s’en exclure au risque de passer pour un paria.
J’entends déjà les esprits chagrins me vanter tous les bienfaits de la chose, cet échange naturel et rapide, ainsi que la capacité énorme d’organisation qu’offre Facebook. Alors, à moi de « vanter » les dérives de la chose : est-ce légitime que vos photos, vidéos, informations personnelles ne vous appartiennent plus ? Est-ce logique que ces informations soient utilisées pour faire des statistiques, puis que celles-ci soient revendues sans vous verser un centime ? En pratiquant inconsidérément Facebook, nous prêtons donc le flanc au flicage, et le plus ahurissant, c’est que les mêmes qui râlaient contre les contrôles et autres bases de données policières partagent les mêmes informations sur un réseau privé ! Grandiose, et terrifiant à la fois. On approche le milliard d’inscrits, c'est-à-dire schématiquement une bonne part de celles et ceux qui ont accès à la toile. Qu’en penser, si ce n’est que Facebook détient dorénavant les clés de la vie privée du monde entier ?
Sorti de toutes les idées de paranoïa qui peuvent en découler, Mark Zuckerberg, Pdg de l’entreprise, est aujourd’hui une élite de la toile. Symbolisant la réussite foudroyante, il est aussi, à mon avis, le représentant le plus effrayant de ce que le réseau peut donner. Un réseau policé, où l’on sait tout de vous GRACE à vous, où la morale et les idées formatées sont plus diffusées que la critique, l’opinion ou l’imagination. Ces données, c’est le pouvoir. C’est pouvoir négocier l’information à des tiers. Détenir le savoir, c’est être une élite, et cette nouvelle élite pourrait aisément retourner le fonctionnement du système contre nos libertés individuelles. C’est la raison majeure qui me fait refuser toute présence sur le réseau social Facebook.

Dernier aspect de cet embryon de réflexion, c’est qu’au quotidien nos données circulent à la vitesse de l’électron. Partage, communication, discussions, tout semble devoir finalement rejoindre les tuyaux de la toile. Pourtant, c’est en cela que nous sommes à présent des proies potentielles pour de nouvelles élites, pas issues de l’ENA, mais plutôt issues de faculté de technologie comme le MIT, et où on discute sans complexe de gouvernance de la toile autour d’un café, alors qu’en substance, ces nouvelles élites parlent de liberté d’expression, de libertés fondamentales, de protection de la vie privée. On ne peut décemment pas faire confiance aux entreprises pour nous garantir que nos données ne seront jamais consultées par des tiers, pas plus que ces mêmes sociétés ne pourront s’engager à résister aux gouvernements fascistes. HADOPI a bien démontré que l’on peut imposer à une société privée de fournir des listes d’abonnés, tout comme cette même loi inique nous rappelle, au quotidien, que la première des méfiances est vis-à-vis des opérateurs. Une entreprise fléchira toujours ou presque face aux états… Sauf si la dite entreprise se révèle avoir tellement de poids que l’état en devienne anecdotique. C’est alors le point critique, le basculement des systèmes classiques vers la ploutocratie. Ploutocratie : faire contrôler les pays par des entreprises, voir le pouvoir politique des élus réduit à néant ou presque, faisant de la décision des urnes une simple formalité folklorique.

Je ne veux surtout pas de cette nouvelle élite. Qu’elle s’enrichisse, je n’ai rien contre. Qu’on légitime un pouvoir inavouable et pourtant évident, pas question. Charge à chacun de comprendre qu’en s’exposant de la sorte, en fournissant toutes les clés aux sociétés telles que Facebook et consoeurs, c’est notre droit élémentaire à la vie privée que nous soldons. Imaginez le pire, puis revenez un peu dessus : alors, à ce moment où vous serez effrayés par la perspective que Facebook fournisse votre réseau « d’amis » à un état devenu dictatorial, que vous vous direz que, finalement, c’est bien mieux de partager discrètement, entre véritables amis, des photographies privées… et pas à travers un réseau qui détiendra, sans possibilité de suppression ou de modification, vos clichés privés. A vous de voir, comme je l’ai déjà dit, moi, j’ai choisi.-

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Big Brother... On est en plein dedans... Quel visionnaire ce George Orwell !