12 novembre 2010

Un regard porté sur le néant

Je me suis déjà exprimé, et ce plus d’une fois, concernant le devoir de mémoire et de respect pour les anciens combattants, de quelque origine qu’ils soient. Conscrits, prisonniers, volontaires, résistants, celui qui prend les armes n’est pas à blâmer, c’est sa cause qui peut l’être. Pire encore, comme le vainqueur sera celui qui écrira l’histoire, même les meilleures causes pourront être réduites au silence. Dans ces conditions, j’ai énormément de mal à pardonner celles et ceux qui crachent sur la mémoire des anciens, des soldats, qui vomissent leur haine sans distinction. Tous les soldats ne sont pas des bourreaux, tout comme les bourreaux ne sont pas nécessairement des soldats. J’estime même que celui qui a choisi la barbarie a perdu le droit aux honneurs qui sont dus aux vrais combattants, à celles et ceux qui, au quotidien, luttent pour notre tranquillité d’esprit. Il est autrement plus facile de faire le bourgeois, confortablement enfoncé dans son fauteuil, que de se traîner dans la boue et les cendres.

Je songe à ce 11 Novembre. Il est triste, pathétique, pluvieux. Il l’est non pour le souvenir des combats, pas plus que pour la météo exécrable. Il l’est, parce que la véritable mémoire des tranchées s’en est allée avec monsieur Ponticelli. C’en est fini de la possibilité d’écouter de vive voix ce que fut Verdun, la bataille de la Somme, ou les taxis de la Marne. C’en est fini du souvenir des gueules cassées, des soldats dont les noms sont à présent des reliques sur des morceaux de pierre ou de bois. C’en est fini, de la mémoire vivante de 14-18. On se croit maintenant épargnés du devoir de ne pas les oublier, on se croit débarrassés du cauchemar des tranchées, on se croit affranchis des atrocités de la guerre de position. Or, c’est tout le contraire. Nous leurs devons d’autant plus de respect que, grâce à leur sang versé, nous avons pu comprendre à quel point une guerre peut devenir inique, cruelle, insoutenable. Tous, sans exception, nous avons un souvenir à exalter, à préserver, à transmettre à propos de conflit. Un arrière grand-père tombé au combat, une arrière grand-mère infirmière ou cuisinière pour les poilus, une famille démembrée après avoir fuie la zone de guerre, que sais-je encore… Chaque famille se doit d’honorer ses disparus, d’honorer la vie pardessus toute chose.

Qu’ont-ils vécus ? Les mots manquent, les sensations sont insuffisantes, et les descriptions totalement dépassées ; Les chiffres, eux aussi, ne sont que néant, statistiques qui ne décrivent rien que des volumes, des proportions. Ineptie que de vouloir dépeindre le quotidien d’hommes, souvent jeunes, qui se sont enlisés dans des tranchées infestées de rats et de vermine, d’hommes mutilés par les obus et les balles, gazés, torturés par la faim et le froid. Que pouvoir dire à leur place ? Qui suis-je pour faire passer les sentiments de ces gens là ? Eux, ils ont pataugés dans l’horreur, piétinés des corps, tués, été tués à leur tour, tout cela pour avancer ou reculer que de quelques kilomètres, parfois bien moins. Dix millions. Comment se représenter dix millions de soldats morts en vain ? Comment voir ce que cela représente ? Bien des nations n’ont même pas cette population, et nous regardons ce nombre comme si de rien n’était, comme si dix millions ce n’était que symbolique, comme si ce n’était plus qu’une méchante additions de cimetières dont on se moquerait. Je ne m’en moque pas, je regrette qu’on puisse faire comme si cela était anodin.

Ils ont eu peur. Ils ont souvent hurlé de terreur et de rage mêlées. Ils ont couru vers les mitrailleuses. Ils ont été balayés par les mines, les bombes, les fusils, les éclats. Ils se sont étouffés dans la fumée, les gaz, la terre de la tranchée qui s’est effondrée. Ils sont morts, anonymes, corps disparus à tout jamais, ou alors retrouvés des décennies plus tard. Même la mort ne leur accordera pas de répit, tant des gens osent profaner la sépulture qu’est devenue la terre de France. Honte à vous, honte à ceux qui ramassent la médaille, le matricule, et qui en font un objet de collection. En agissant ainsi, vous profanez une tombe, un lieu où reposent des âmes, des jeunes gens tombés pour des idéaux qui n’étaient pas les leurs.

Préservons à tout prix le souvenir de ces catastrophes. Enseignons à nos enfants que la haine de l’autre, c’est se préparer au grand carnage. Apprenons leur à discerner le bien du mal, et que le mal, c’est avant tout d’envoyer nos enfants se battre contre d’autres enfants. Apprendre à utiliser un fusil, cela peut toujours servir. Devoir s’en servir contre un humain, c’est être mis face à une responsabilité monstrueuse, celle de devoir, ou pas, ôter la vie. Faisons en sorte que ce choix ne puisse plus avoir à être répété. Battons nous pacifiquement, intellectuellement, intelligemment, pour que plus personne ne parle « du salaud d’en face ». Pour qu’on n’ait plus jamais à voir des images de charniers, pour que jamais plus la terre d’Europe devienne un immense bourbier, une tombe sans nom, sans souvenir, sans espoir. Chaque nation a payé un tribu inacceptable à 14-18. Nous avons fait payer à l’Allemagne cette guerre, au point de la jeter dans les bras du nazisme. Voulons-nous un nouveau conflit mondial ? Voulons nous encore opposer des jeunes pour des notions politiques ? La guerre, c’est l’ultime solution, la pire des solutions.

N’oublions jamais 14-18, pour que plus jamais un de nos fils n’ait un jour à parler, comme monsieur Ponticelli, de l’horreur d’avoir peur de mourir.

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