28 septembre 2010

Paranoïa

Je m’amuse souvent à songer au fait que notre société s’est brutalement entichée des pires théories du complot qui soit. En effet, nombre de séries, films et autres bouquins relatent, non sans un plaisir malsain à terroriser le beauf Norbert et son épouse ménagère mégère de moins de cinquante balais accroc au loto et autres tacogratte arnaque, les pires scenarii paranoïaques, ceci à travers la menace tacite d’un gouvernement omniprésent et omnipotent. La liste est longue, démesurée, et pourtant, toutes ces œuvres s’appuient sur l’inconscient collectif qui affirme que nous sommes tous surveillés : depuis les envahisseurs, en passant par X-Files, 24, ou encore les films tels que traque sur Internet, ou encore ennemi d’état, tout concourt à conforter les gens dans l’idée que les états ne sont que des voyeurs, prêts à tout pour conserver leur autorité, et surtout qu’ils jouent avec nous sans pitié.

Qu’en penser ? On a tous entendu parler de la théorie du complot concernant l’assassinat de Kennedy, pour les attentats du WTC, ou encore sur l’usage intensif des données des gens pour les fliquer. Qui n’a pas vu un reportage sur la possibilité de prendre des voleurs sur le fait, ceci à l’aide de leurs mobiles ? D’un point de vue purement technique, l’immense majorité des techniques dictées dans les films et autres séries sont au mieux difficiles à effectuer (trop de données à analyser, recouper, et surtout trop de données différentes à mettre en rapport), voire juste impossibles à mettre en œuvre. Donc, on peut encore (temporairement) suggérer que nos libertés sont relativement protégées, d’autant qu’il faut non seulement de la technologie, mais avant tout des analystes pour s’en servir. Prenons une analogie : la masse d’informations qui circulent serait une immense bibliothèque, dans laquelle chaque livre serait le résumé de nos actions journalières (téléphonie, achats par carte bleue…). Déjà d’une : il faudrait combien de temps à une machine pour indexer, par thème, par catégorie le tout, puis ensuite à un être humain d’y trouver l’information nécessaire pour piéger et pister le voleur/terroriste/pédophile/escroc ? Ca n’est pas aussi facile que dans les films, loin de là.

Cependant, notons tout de même certaines corrélations d’idées et d’actions qui me mènent à remettre en doute ce bilan précédent. En effet, jusqu’à présent les données étaient dites non corrélées, c'est-à-dire non liées les unes par rapport aux autres. Prenons un exemple simple pour expliquer cette notion : prenez votre propre cas. Vous disposez d’un compte en banque, donc d’un historique d’achats à travers votre carte bleue, vos chèques… Mais il n’y pas de liaison directe entre ces achats et la liste des produits que vous avez acquis. Techniquement, le magasin a une somme encaissée sur un virement validé, ainsi que des historiques de quantités vendues, mais rien (en principe) n’est supposé faire la liaison. Maintenant, dites vous que vous avez la carte de fidélité qui, elle, est liée à votre identité, mais également aux achats que vous faites, puisque chaque produit vous rapporte des sous, ou des avantages quelconques. De ce fait, on a lié vos habitudes d’achats à vos dépenses, et l’on peut donc en déduire plein de choses intimes : vous achetez des couches ? Vous avez potentiellement un enfant en bas âge à votre domicile. De l’huile moteur ? Vous avez une voiture. Et ainsi de suite. On joint donc indirectement de l’information de par nos actions. Maintenant, poussons le vice plus loin : quelque soit vos actions, celles-ci sont traquées par les différents systèmes informatiques qui sont en place de par le monde : banques, sécurité sociale, administrations, paie, consommation de masse, Internet, achats en ligne, téléphonie fixe et mobile… Pour peu que l’on puisse recouper les données de manière cohérente, force est de constater qu’un peu de déduction suffirait à faire de ce monde un 1984 sans de trop grosses difficultés. Encore faut-il s’en donner les moyens.

C’est là que notre paranoïa collective revient à la charge. Entre virus informatiques, piratages montés en mayonnaise par les médias, ou encore tout récemment ver informatique soi-disant utilisé pour effectuer une attaque massive sur un ou plusieurs états, le quidam se voit peu rassuré, voire même conforté dans son idée que le flicage virtuel et intangible sur la toile devient réalité. HADOPI, que je brocarde régulièrement dans ces mêmes pages, n’est pas réellement, à mes yeux, un outil dédié à la protection du droit d’auteur. Non. HADOPI est une validation à grande échelle des outils et méthodes tant juridiques que techniques pour qu’un état puisse se doter d’un arsenal de surveillance, voire de riposte sur la toile. Quand on autorise la surveillance permanente des utilisateurs, que par défaut on les déclare coupables tenus de prouver leur bonne foi, il y a là un décalage dangereux entre droit fondamental, et mise en application d’un nouveau droit de surveillance massive. Je ne crois absolument pas au bien fondé de cette méthodologie, car elle offrira un véritable attirail pour toute dictature potentielle. On commence par surveiller, puis, tôt ou tard, on interpelle. C’est le mécanisme classique du despotisme.

Nombre d’acteurs dans la création et la mise en application de ces lois et autres manœuvres ferment littéralement les yeux, en partant du principe stupide que « si je ne le vois pas, je ne le sais pas, donc je ne le crains pas ». Pourtant, il me semble particulièrement redoutable d’autoriser une systématisation et une automatisation de la mise en accusation, surtout dans un domaine où l’expertise de l’usager moyen du réseau est à mettre en doute. Certains parlent d’analogies entre les radars automatiques et ce dispositif. Rien à voir : le radar automatique photographie un véhicule réellement en infraction, et le signale au système des contraventions. Il ne filme pas en permanence, il ne scrute pas notre vie privée. HADOPI, lui, est là, tacite, inséré à la toile, nous écoutant tous. De quoi devenir, et à juste titre, assez parano, non ? J’en suis d’autant plus inquiet que nombre de dictatures ont déjà ces outils en place (Chine notamment), et en font usage au quotidien. A croire que la liberté d’expression et la libre circulation des données et des idées n’est qu’une vaste utopie.

Ceci étant, pour moi, la plaisanterie serait qu’un officiel soit mis en accusation pour piratage. Ne serait-ce pas ironique qu’un ministre, ou un député responsable de la loi HADOPI se voie notifié par courrier qu’un de ses fils a récupéré le dernier jeu à la mode par des moyens illicites ? J’en serais non seulement hilare, mais en plus satisfait, au titre que l’arroseur arrosé est rigolo, mais que surtout cet élu serait alors confronté au quotidien du citoyen ordinaire, celui qui va être menacé par courrier, inquiété pour rien, alors qu’il n’est même pas en mesure de comprendre de quoi il en retourne. Une autre blague à faire serait qu’un véritable virus offensif, du genre agressif, vienne à polluer la toile, le tout pour retourner la puissance des machines vers un ou plusieurs états. Cela légitimerait la paranoïa ambiante, mais également pourrait pourrir l’existence à quelques états totalitaires. Oui je sais, je suis pourri, mais à pourri, pourri et demi !

Le ver stuxnet, qui fait fantasmer les théoriciens du complot

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