06 septembre 2010

Démente démesure

Il y a quelques temps déjà, j’avais abordé, non sans ironie, la folie qui peut menacer les grands géniteurs de plans architecturaux. Solidement ancrée dans l’imaginaire collectif, les grandes barres d’immeubles semblent être le summum de l’abomination faite habitation. Et pourtant, on ne saurait reprocher à ces cinglés d’avoir voulu jouer les égoïstes : en leur temps, ces immeubles disposaient du confort moderne (eau courante, électricité, gaz, parking, caves...), chose que nombre d’habitants des agglomérations ne possédaient même pas. Hé oui, les toilettes et la douche sur le palier, cela existe aujourd’hui encore ! De fait, l’horreur que sont devenues ces cités inhumaines et isolantes est plus le fruit d’une politique que d’une mauvaise volonté initiale. Mais alors, que penser des démesures auxquelles ont eu le droit bien des peuples de part le monde concernant leur habitat, ainsi que leurs cadres de vie ? Il y a nombre de bâtisses qui vouent un culte à la grandeur, à l’imposante rectitude des lignes, ceci non pour être agréable, mais juste pour terrifier.

Depuis le fond des âges, les dictateurs ont toujours désiré marquer leur époque. Qu’est-ce d’autre qu’un tombeau prétentieux et démesuré qu’une pyramide ? Aujourd’hui, nous nous extasions sur leur taille, leur présence étrange dans le désert Egyptien, mais c’est aussi oublier leur fonction première : servir de « connexion » avec l’autre monde pour un tyran quelconque. Magnifique, dans le genre on n’a guère fait mieux depuis ! Admirez l’alignement, la position de la chose, sa stature, et dites vous que c’est une tombe, et rien d’autre. Bon, je sais, je suis méchant, mais tout de même, se faire construire un truc pareil, c’est quand même un foutu signe de mégalomanie, non ? Par la suite, dans d’autres civilisations, le rite s’est résumé à créer un tumulus, chose que nous retrouvons parfois par hasard, parce qu’une colline au milieu d’une plaine, ça ne ressemble à rien de géologiquement cohérent. Franchement, une tombe, il y a plus simple et économique : demandez donc aux Celtes qui incinéraient les dépouilles... Bref, tout ça pour être bien vu d’un ou plusieurs dieux, il y a de quoi douter de la santé mentale de ces gens là.

Mais hélas, l’histoire ne se contente pas de tombeaux, il faut aussi donner dans la démesure de son vivant ! Allez hop, une cathédrale pour en imposer au petit peuple, pour « élever » le rang d’une ville et la rendre inévitable. Et allez qu’on fait les poches à la foule, aux dévots, aux maires, aux guildes, de sorte à ce que tous se sentent obligés de construire une énorme structure qui n’aura alors pour seul but que d’imposer la « loi divine » sur tous. Intéressant concept : je bâtis et je finance ce qui représentera pour toujours l’autorité despotique de types en soutanes qui me menacent des enfers à chaque petit écart. Comme quoi, nul besoin de la badine, il suffit de coller la frousse du siècle à ceux qui sont voués corps et âme à la foi. Notez également que le concept fut bien rôdé : non content de lessiver les finances publiques, ces édifices se sont révélées d’excellentes pompes à finances à travers les deniers du culte ! Impôt direct, puis impôt « volontaire ». Essayez donc de faire cotiser les gens à des caisses dont ils ne verront jamais le moindre cent, et nous reparlerons de l’efficacité de l’impôt !

Il y a pire, car oui, il y a toujours pire grâce à l’imagination humaine. Depuis les pyramides, en passant par les édifices religieux, tout ceci était lié au « divin », à l’âme (bien que le pouvoir n’y soit jamais étranger). Alors, que dire des grandes « œuvres » mégalomanes et déshumanisées des despotes du vingtième siècle ? Les exemples sont légion : Le troisième Reich et ses folies issues des esprits de Hitler et son architecte Speer (puis le projet dément de Germania, capitale du monde !), l’architecture Soviétique rasant une cathédrale pour en faire... rien, puisque la zone en question fut inexploitée pendant des décennies, ou encore Bucarest revue et corrigée par un malade nommé Ceauşescu, difficile de faire plus abominable. Massifs, imposants, effrayants, ces bâtiments, rues, travées ne furent conçues que dans le seul but de glorifier un système et son autorité omnipotente. Difficile de ne pas trembler face à ces portes qui font dix mètres de haut, le tout surmonté d’un aigle agressif. Difficile de rester serein face à des immeubles dont la seule vue vous fait penser à une prison de haute sécurité. Difficile de faire pire cauchemar qu’une ville construite sur ces modèles glacés et dénués d’humanité.

Mais finalement, nous avons continués dans le même esprit, mais pour des dieux, ou des pouvoirs différents : New York, ode à l’argent roi, La Défense, chant des entreprises prétentieuses et se prenant pour New York justement, le pseudo modernisme de nombre de bâtiments supposés traverser les âges (grand stade, opéra Bastille, Palais Omnisport de Bercy) et j’en passe. Plus consensuels car finalement utiles pour la culture, ces bâtiments n’en demeureront pas moins la signature de dirigeants avides d’une certaine « gloire », d’un désir de marquer leur temps. Comme quoi, la mégalomanie peut également toucher les plus démocrates d’entres-nous...

Architecture totalitaire, sur darkroasterdblend.com
Quelques liens vers des photographies des horreurs à Bucarest, sur wikipedia

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