02 avril 2010

Intolérance sociale

Je ne peux pas rester silencieux face à des réactions inacceptables, surtout en cette période où l’emploi est devenu une chose précaire, et surtout rare. En effet, le ministre de l’industrie, Christian Estrosi, condamne l’occupation d’une usine par ses employés, par les mots suivants : « l’attitude inacceptable d'une minorité ». Est-il normal que le ministre réagisse de la sorte ? Est-il même légitime qu’il réagisse à la situation ?

Je ne saurais évidemment pas cautionner la course à la menace. En effet, les ouvriers de l’usine Sodimatex, à Crépy-en-Valois, menacent de faire exploser le site, si rien n’est tenté pour sauver les emplois, ou du moins compenser financièrement la perte des 98 emplois du site. La menace n’est pas anodine, et le vandalisme n’est pas une fin en soi, notamment quand il s’agit de dialoguer. Toutefois, que le ministre de l’industrie se mettre un instant à la place des employés ! N’est-ce pas là l’attitude de gens désespérés ? Quand on vit pour une entreprise, et que les solutions de repli sont inexistantes, comment ne pas se battre pour son emploi ? Les ouvriers de cette usine ne se battent pas pour des demandes illégitimes, ils défendent leur droit de vivre, leur outil de travail, la compétence d’une population sur le territoire Français. Et l’état permet de délocaliser sans broncher ? Nombre de régions en France sont sinistrées, suite à la disparition des activités industrielles. Pire encore, ces activités, pourtant rentables, ont été sabotées, puis transférées dans le tiers monde, ceci pour augmenter les marges opérationnelles, donc in fine les cadeaux faits aux actionnaires…

Je suis donc particulièrement scandalisé par l’attitude de monsieur Estrosi. Sur le fond juridique, je comprends, mais ce n’est pas à lui de décréter que c’est inacceptable, c’est à la justice de trancher ! Monsieur Estrosi a son rôle pour l’industrie, non pour l’emploi dans l’industrie. Oublie-t-il que réduire à néant la production en France, c’est créer des milliers de chômeurs ? A une époque où les caisses de l’état sont vides, la bonne attitude ne serait pas plutôt de préserver l’emploi, d’inciter les entreprises à rester en métropole, et donc de maintenir la richesse dans les foyers, au lieu de la déverser dans l’actionnariat et la bourse ? Je n’admets pas qu’on puisse passer outre ces considérations quand on regarde la situation de l’emploi, la vie des ouvriers.

Pourtant, les chiffres sont éloquents : la dernière étude INSEE parle de huit millions de personnes vivant dans une sorte de tiers-monde à la Française. Mal logés, mal payés, scolarisation des enfants chaotique, analphabétisme galopant, engendrant, à terme, de la violence et de la délinquance ! Cela me semble pourtant élémentaire : un ministre de l’industrie se doit d’avoir la double casquette : celle de celui qui incite à l’innovation, en aidant les entreprises, et celle de négociateurs avec ceux qui produisent, les petites mains, les employés de Sodimatex. Je ne saurais pas tolérer que tenir un rôle de ministre se borne à préserver le capital à tout prix. Il n’y a rien de déshonorant à avoir des usines en France, c’est même une fierté qu’on se devrait de revendiquer à l’international. La France a des compétences, des connaissances, de l’expérience, et nous la soldons à bas prix sur l’autel du capitalisme sauvage.

Ce qui m’ulcère encore un peu plus pardessus le marché, c’est que tenir de tels propos affranchit le patronat de toute considération pour l’emploi. « Quoi ? Des ouvriers se plaignent d’être virés ? Rien à cirer, ils ne rapportent plus assez ». Cautionner cela, c’est déjà tuer l’activité industrielle, c’est assassiner des couches complètes de la société, ceci sous couvert de bonne conscience juridique. Oui, une prise d’otages d’une usine n’est pas légale, mais elle se comprend comme un acte de résistance, de prise de maquis, pas de chantage éhonté de terroristes plus intéressés par l’argent que par la morale. Encore plus inepte encore : en quoi est-ce si difficile pour nos chers capitalistes, de mettre la main au portefeuille pour verser des indemnités ? Pour des raisons comptables et de bilan à présenter aux actionnaires ? En gros, si je suis le raisonnement, on se préoccupe plus de tenir des statistiques, plus que de connaître la véritable productivité de l’entreprise… Et ceci, peu importe son activité réelle. A ce titre, je suis convaincu qu’il y a un sacrifice tel de notre production, qu’à terme, nous pourrions devenir le nouveau tiers-monde, pressé à être payés moins, ceci à cause d’une concurrence bidon, uniquement basée sur des actions de délocalisation. Et puis quoi encore ? Pourquoi pas payer les employés Français au prix des pays émergeants ?

N’y voyez pas un point de vue raciste : je rêve d’une situation où le nivellement se ferait par le haut, faisant s’aligner les plus pauvres sur les plus riches, ceci offrant d’autres perspectives que le chômage, ou l’emploi précarisé à outrance. Les contrats CDD, l’intérim, les contrats « première embauche » sont des solutions certes souples, mais aussi facilitant des crises sociales monstrueuses. Qu’est-ce qu’un salarié aujourd’hui ? Une ressource jetable, un type tenu de cumuler les emplois, voire de s’orienter vers le statut d’auto entrepreneur…en sachant que cela offrira un nouveau type d’employé aux grandes entreprises : le salarié jetable. Pourquoi jetable ? Parce qu’il s’agira alors de contrats ponctuels de sous-traitance, réalisés sur des bases financières peu favorables à l’auto entrepreneur (eu égard à la concurrence farouche qu’il y aura), et qui plus est facilement dénoncé par la grosse structure, simplement en ne le renouvelant pas ! Est-ce vers ça que vous voulez mener la France, monsieur Estrosi ? Pas moi : l’ouvrier n’a pas à avoir honte de ce qu’il est, pas plus que l’entreprise doit abandonner son statut de productrice de biens… et d’argent.

J’espère sincèrement que nos gouvernants vont comprendre qu’il faut défendre l’emploi, pas le solder ni matraquer ceux qui veulent travailler.

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