25 mars 2010

Effacé

Qui êtes-vous ? Qui suis-je ? Pourquoi ce prénom plus qu’un autre ? Qu’est-ce qui définit une identité ? La reconnaissances des autres, un document officiel, ou encore le fait qu’on ait un reflet dans le miroir ? L’identité est chose si volatile, qu’elle devient même un outil pour certaines personnes. Pourtant, nous nous saluons par nos prénoms, nous détenons une histoire, tant faite de nos expériences, que de notre ressenti avec les histoires des autres, ceci bâtissant peu à peu notre personnalité. Telle une peinture complexe et jamais terminée, c’est par ces touches d’interactions que nous devenons ce que nous sommes, des êtres dotés d’un semblant de conscience, des mammifères « pensants » qui vivent à travers et grâce à ce phénomène que nous nommons « l’âme ».

La première chose que le bébé fait, c’est de s’inscrire dans l’espace, de comprendre qu’il « existe » au sens psychologique du terme, tout en faisant l’apprentissage de son propre corps : usage désordonné des mains, des pieds, regards curieux, audition, émission de sons, odorat, toucher, l’enfant en bas âge définit donc son périmètre, ce qui, à terme, déterminera sa personnalité. Mais, est-ce réellement suffisant ? Il est à noter que les enfants, jusqu’à un certain âge, fonctionnent sur la base de stéréotypes que nous leur inculquons. De l’imagination ? Ils reproduisent, piochent dans leurs connaissances, et modèlent ainsi de nouvelles idées, un peu comme nous le faisons tous au quotidien. Dire qu’un enfant est réellement inventif, c’est oublier qu’il est en pleine phase d’apprentissage. En fait, il n’invente pas, il tente de recréer, voire de modifier cette recréation à la lumière de ses découvertes.

Mais une fois adultes, nous pensons donc être des entités individuelles, parfaitement définies et inscrites dans notre temps. D’une certaine manière, nous supposons donc qu’être « quelqu’un », reconnu par notre famille, nos amis, ou le commerçant du coin, suffit réellement à affirmer notre existence, or c’est une erreur assez terrifiante. Qu’est-ce qui nous définit réellement, si ce n’est notre capacité à interagir ? Etre vu, cela ne garantit pas que nous puissions raisonner. Etre entendu ne nous octroie pas plus une « âme », tout comme être tangible d’ailleurs ; un caillou est visible, on peut le porter, le toucher, mais on ne lui accordera aucune âme, pas plus qu’une conscience. Pire encore, nombre de personnes estiment que les animaux n’ont pas d’âme, parce qu’ils sont classés comme étant inférieurs aux hommes. Dans ces conditions, ce n’est donc pas notre existence physique qui exprime notre réalité philosophique, mais bel et bien notre possibilité d’échanger non des actions, mais des pensées.

Alors, si c’est donc la reconnaissance de notre philosophie de vie, de nos idées, qui fait de nous des hommes, qu’advient-il de nous si nous procédons à notre isolement ? Nombre d’expériences sur l’isolement (notamment avec des détenus considérés comme dangereux) ont permis de démontrer que d’isoler un être humain de toute reconnaissance de son identité, c’est le mener à la folie, et souvent, au suicide. Concrètement, enfermez n’importe qui, sans le torturer ou l’affamer, mais ôtez lui sa réalité humaine en supprimant toute communication et encore plus en procédant à un isolement sensoriel (silence total, éclairage ne changeant jamais, décoration absolument neutre…), vous obtiendrez tôt ou tard une personne gravement désorientée et devenue inadaptée à la vie en société. Agir de la sorte, c’est briser toutes les constantes d’une vie ordinaire : l’identité, c’est être compris et non entendu. L’identité, c’est échanger et non s’isoler. L’identité, c’est mourir si l’on se voit ainsi « effacé » de l’humanité telle que nous la concevons.

D’un point de vue purement éthique, procéder à de telles expériences est un acte de torture morale. Un camp de concentration agissait de la même manière : uniformes identiques, numéro de matricule remplaçant noms et prénoms, tout cela dans le seul but de briser l’humanité des détenus. Une fois dépourvus de leur humanité, il s’est avéré que les détenus des camps devenaient rapidement dociles et serviles. La survie devient alors le seul refuge, comme si nos instincts les plus primaires revenaient à la surface. Aujourd’hui, imaginez donc ce que nous pouvons faire pour briser un homme sans même le torture de quelque manière que ce soit : effacez le de l’état civil et de la sécurité sociale, il devient un inconnu, une personne à mettre en prison. Otez lui ses ressources en effaçant son identité bancaire, et il sera complètement perdu. Ne le harcelez pas, semez le doute dans son entourage en le faisant arrêter sans raison, puis libérez le, faites lui subir ce que Kafka a décrit dans ses écrits. Tôt ou tard, à force de questionnements, l’homme sera amené à croire qu’il est coupable de quelque chose. Quoi ? Peu importe, du moment que cela lui offre la compréhension de sa « nouvelle » identité de substitution. L’innocence et la culpabilité sont des jugements de valeurs, alors qu’appartenir à l’humanité, quitte à être un coupable, est un critère constructif de notre identité humaine.

Dans ces conditions, il est donc vital de se connaître, et surtout de ne pas s’oublier au milieu des identités temporaires que nous créons via le virtuel. Chaque nouvelle image de soi laissée sur le réseau n’est qu’une instance temporaire de soi. Or, c’est celle qui est perçue par les autres, avec pour seule possibilité de compréhension ce que nous acceptons de dire ou présenter. De ce fait même, nous serions susceptibles de craindre d’être « effacés » du réseau, de la même manière qu’un tortionnaire effaçait un détenu de la société. Il est essentiel de ne surtout pas laisser au virtuel la possibilité d’être un outil déterminant dans la construction de l’âme. Toute « réalité » se doit d’être soumise à la critique, notamment quand cette réalité peut être aussi facilement déstructurée. Faire l’acteur, mentir, tricher peut revêtir une tenue fort séduisante, surtout pour se faciliter le contact, cependant c’est aussi déformer ce que nous sommes, et ainsi emprisonner notre véritable fond dans un carcan « virtuel ». Alors, la prudence est de mise.

Vous avez plus d’amis en « @ » qu’en vrai ?
Vous refusez de sortir en inventant un prétexte pour rester derrière l’écran ?
Vous connaissez énormément de gens uniquement à travers un pseudo, et en parlez comme s’ils étaient des amis ?

Posez vous la question… et soyez prudents : l’identité, la conscience de soi sont des éléments aussi vitaux que respirer ou se nourrir.

A vous de procéder à votre introspection.

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