19 janvier 2010

Les vieilles pôtées

Ah, le souvenir de la soupe de la grand-mère qui fume dans la cuisine chauffée par un feu de bois, la saveur du paprika qui s’accroche aux papilles quand on dévore des plats à la sauce rougeoyante… Difficile de résister à l’appel de la nostalgie, aux sens éveillés, et à la mémoire qui fait verser la petite larme de tendresse. Pourtant, ce genre de moment est tout personnel, et l’on a du mal à partager nos émotions, quant bien même celui qui vous tient la main dans la pièce du passée est l’être aimé.

Ce n’est pas une brève poétique qui me pousse à évoquer ce genre d’instants, c’est plutôt une partie de l’actualité cinématographique qui me fait réagir. Coup sur coup, ce sont des souvenirs trop anciens pour les adolescents qui s’étalent en cinémascope : Clint Eastwood avec Invictus, et Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar. Avant que l’on ne vienne me critiquer sur mon avis sur ces deux films, je n’ai vu aucun des deux, donc ma chronique ne portera ni sur les qualités de ces réalisations, ni sur l’opportunité, ou non, d’aller les voir. Ce qui m’amène, c’est plutôt le fait que l’on veuille faire vibrer des fibres très particulières à travers ces réalisations.

Tout d’abord, le mimétisme des acteurs avec leurs personnages. Invictus parle de Nelson Mandela, et Gainsbourg du chanteur compositeur si connu. Le mimétisme des acteurs est flagrant, et même stupéfiant. Pour peu que l’on ne sache pas que ces films sont à l’affiche, on pourrait prendre les images (voir les bandes annonces sur Internet) pour de véritables images d’archives, des documentaires exhumés d’un dossier perdu pendant des années. C’est flatteur pour les acteurs et le choix du casting, potentiellement bien moins pour le réalisateur. Imaginez donc si le scénario s’éloigne de la réalité pour laisser un peu place à la poésie ? Alors automatiquement ces deux films seront taxés de mauvais car ne respectant pas scrupuleusement le déroulement des évènements. C’est quelque chose de très dangereux, surtout quand le film est pourtant de qualité. Cela ne serait pas la première fois qu’un film serait boycotté par les « intellectuels », sous prétexte qu’ils ne sont pas totalement fidèles à l’œuvre originale. Je me souviens des envolées lyriques des fanatiques de Tolkien dissertant des qualités de la trilogie du seigneur des anneaux au format cinéma… Un drame ! Un film, c’est avant tout un point de vue, un regard, une réinterprétation, pas un documentaire (surtout quand il s’agit d’une œuvre fantaisiste !)

Le second point qui m’incommode un peu, ce que ces films auront du mal à trouver un public parmi la « jeune » génération. En effet, Mandela, c’est loin, Gainsbourg encore un peu plus, et je doute qu’en dehors d’un accompagnement parental, que les adolescents puissent se pencher sur ces deux films. Mandela est pourtant le symbole même de la révolution « pacifique », l’émancipation des noirs, la fin de l’apartheid, mais cela semble aller de soi en France par exemple. Peu de gens se préoccupent réellement des droits de l’homme, alors de Mandela… Pire encore : Gainsbourg, le compositeur à la trajectoire si atypique, à la musique si personnelle, n’évoquera guère que des références obscures, ou sera identifié comme « le disque ringard de mon paternel ». Pourtant le grand Serge a offert des œuvres intemporelles, des styles si surprenants qu’ils peuvent, aujourd’hui encore, en étonner plus d’un. Du poinçonneur des lilas, en passant par mon légionnaire, jusqu’à sa réinterprétation toute personnelle de la marseillaise, Gainsbourg évoque le génie mêlé de folie, l’autodestruction par le tabac et l’alcool, et cette élégance mâtinée de nonchalance unique en son genre ; Est-ce alors abordable par les gens n’ayant jamais entendu Gainsbourg sur les ondes ? J’en doute un peu.

Et puis, espérons que ces œuvres soient suffisamment fortes pour marquer les esprits. Eastwood va avoir quelques deniers de ma part tant j’ai confiance en lui, par contre, pour Gainsbourg, je suis déjà plus prudent. C’est ainsi : j’ai adoré Gran Torino du géant Clint, et je ne connais pas la filmographie de Sfar, alors, patience. Ce qui me dérange un peu, finalement, c’est qu’au lieu d’innover, nous mangeons du « La vie de X » à travers le cinéma : Gainsbourg, Mandela, précédemment Piaf, Maradona (si si !)… la nostalgie fait recette, mais pas forcément avec talent. Pitié, faites de bon films, offrez vous des scénaristes capables d’écrire autre chose qu’un « En fait, c’est la vie de X… on colle une histoire de … dedans, un peu de belles photos, une bonne musique et roulez ! »

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