28 décembre 2009

Elle est arrivée

Comme tous les miracles, on ne sait pas trop quand ils arrivent. Et pourtant, la voilà, elle a poussé ses premiers cris, ouvert les yeux sur ce monde qui sera peut-être autant de coton que d’acier froid. La voilà, elle va bientôt prendre de la place, on va pousser les meubles, déplacer des montagnes, et, pour elle, aménager le plus confortable des couffins. C’est de la magie, de la sorcellerie même tant son regard peut nous envoûter. Bienvenue dans ce monde Milana, ma nièce, bout de chou qui va grandir chaque jour, qui va envahir peu à peu notre vie. J’attends alors avec impatience tes premiers sourires, tes babillements, puis un jour tes premiers « Tonton ». Je souris tendrement, et, pour une fois, je n’éprouve pas l’envie d’être acide.

Va savoir si tu vas aimer ce monde, va savoir s’il ne va pas te paraître, tout comme à moi, stupide, insupportable, et pourtant si beau quand on le veut. De cette folie ambiante, de cette course effrénée après le temps il ne subsiste finalement que la poussière s’amoncelant sur les souvenirs, et un peu de cendre dans les cheminées. Pourtant, certaines choses ne s’useront pas, elles persisteront dans les cœurs, tels des monuments dans le temps. Toi, tu es arrivée en plein hiver, un 27 Décembre merveilleux malgré la pluie persistante et la bise qui engourdit. L’oubli ne saisira pas cette date, elle deviendra une occasion de se souvenir de ton arrivée sur cette terre.

Petit rien sur la balance, sous peu tu seras comme tous, tu te bâtiras de quoi être un jour nostalgique, de quoi regarder ta famille en songeant aux cheveux blancs qui arrivent trop vite, aux paupières alourdies par le poids des ans, et aussi à la canne qui accompagnera un jour les pas de ceux que tu aimeras. On n’interrompt jamais la fuite des jours, on ne cesse jamais de vieillir, et ce dès le premier jour. D’abord l’on compte les heures, puis les jours, les semaines, puis on finit par tenter d’oublier de compter les années. Tu verras, toi aussi un jour tu regarderas en arrière, en te demandant où s’est enfui le cours du temps. Tu verras, toi aussi tu verras des photographies, et tu demanderas s’il s’agit bien de toi dans le couffin, toi dans le bain battant des mains, toi babillant devant la caméra.

On dort, puis l’on rampe, on marche, puis finalement l’on s’allonge à jamais. Prends ton temps, choisis ton rythme Milana, ne t’empresse pas de rejoindre la folie des adultes qui ne connaissent jamais le repos. Laisse leur la bêtise de croire qu’il faut être riche pour être heureux, laisse les aux malheurs qu’ils créent en oubliant que le bonheur c’est vivre, et non dépenser. Offre toi ce répit qu’on n’a plus le loisir d’avoir quand le monde nous impose, tôt ou tard, son pas cadencé et sonore. Tu as encore tout le temps de scruter les couleurs, les reliefs et les formes de ce qui t’entoure, ne fais pas comme nous qui sommes alors blasés. Une forêt, c’est une ville naturelle, un jardin, c’est un monde miniature sans cesse en perpétuel renouveau. Apprécie le parfum de la violette, tout comme savoure le pain chaud sortant du four. Goûte la joie d’embrasser ta mère sur la joue, et de serrer la main calleuse de ton père. Profite des instants passés avec tes grands-parents, forge toi ce bagage de joies entassées dans ta petite tête qui deviendra gigantesque.

Absorbe la vie, les choses, la vérité, la beauté et la laideur, prends les en toi et trie les. Apprends, sans cesse, sans hésitation, donne toi l’occasion de découvrir et expérimenter toute la richesse de ce monde que l’on fait mourir un peu plus chaque jour. J’espère vous léguer, à tes deux frères et toi, autre chose que des ruines et des cendres, j’espère arriver à me dire, au couchant de mon existence, que je partirai de ce monde avec la conviction d’avoir fait mieux que mes prédécesseurs, pour vous léguer, à vous, petits maillons de la chaîne de l’humanité, autre chose que des guerres, des génocides, et vous épargner le ressentiment et la haine. Peut-être verras tu, Milana, des hommes marcher sur Mars, des voitures volantes, des villes couvertes de verdure, un monde où les hommes se seront pardonnés. Rien que pour ce maigre espoir, rien que pour cette infime possibilité, je crois que cela vaut la peine d’exister. Alors, qui sait, tu pourras te souvenir de ton oncle en arborant un grand sourire attendri, et tu parleras à tes enfants de ce vieux fou que je serai un jour, ce vieux râleur à barbe honnissant la bêtise, radotant ses souvenirs d’un passé lointain où le CD n’existait pas encore et où l’on se battait pour des idées ou pour l’argent. Tu leur diras que nous vivions un monde de fous, vous regarderez les images de mon passé, un passé où tu n’étais pas née, et tu songeras à mon frère, ton père, et à ta mère, en te disant qu’ils auront tout faits pour que tu sois heureuse. Sois assurée que nous serons toujours là pour toi, ma puce, petit bout de chair ne pesant rien d’autre que l’immensité de nos sentiments à tous.

Bienvenue dans ce monde Milana.

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