02 novembre 2009

Tout a vingt ans


J'apporte une correction tardive grâce à mon ami Thoraval. Tout le détail qu'il y a en commentaires (que je vous recommande de lire) est précis et circonstancié. Merci à lui.

Donc, c'est bien le 9 Novembre 1989 qu'est tombé le mur de la honte.

Bonne lecture.

Vingt ans, le bel âge. Vingt ans, deux décennies qui emportent vite les souvenirs et les sensations. Vingt ans, le moment des premiers émois. Vingt ans, une éternité pour l’être humain. Le 9 Novembre1989 tombait le mur maudit, le « mur de la honte », celui que les adolescents ne connaissent que sur des photos et des vidéos aujourd’hui datées. Le mur de Berlin. Quelle révolution se fut quand ce bloc de béton fut anéanti sous les coups de masses, de pioches et de piolets des habitants des deux Berlin ! Qui aurait cru que cette division inepte d’une capital en deux blocs finirait par tomber ainsi, sans violence ni coup de feu ? Quel jeune de moins de vingt ans peut comprendre tout ce que cela pouvait représenter ?

Aujourd’hui, l’étoile rouge semble oubliée. La mémoire flanche, la foule apparaît incrédule quand on explique qu’une capitale puisse être scindée en deux par un bout de béton armé, et que tenter de le traverser pouvait coûter la vie. Fait unique dans l’histoire, Berlin fut partagé par les grandes puissances au sortir de la deuxième guerre mondiale. Non contente d’avoir subie le feu de la colère Soviétique, la capitale Allemande fut alors balafrée en son sein, tout cela pour imposer le partage des territoires. Les partageurs de monde s’octroyèrent chacun une part du gâteau : à l’ouest, l’alliance de la bannière étoilée, à l’est le marteau et la faucille. Et dire que les Soviétiques bâtirent le mur de la honte pour empêcher la fuite des habitants vers l’ouest, vers ce qu’ils pensaient être la liberté et la paix !

Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est croire que le système est pourri, mais qu’il n’existe pas d’autre ennemi que les terroristes à barbe épaisse avec le Coran sous l’aisselle. Avoir vingt ans, c’est se désespérer de s’insérer dans la vie active, et c’est aussi admettre que son diplôme n’a de valeur que pour soi, et rarement pour les employeurs. A l’époque, avoir vingt ans, c’était craindre le feu nucléaire, c’était apprendre que Tchernobyl avait explosé, que l’URSS faisait peser sa chape de plomb sur les pays du pacte de Varsovie, et que la démocratie en Europe ne valait que pour quelques pays. Le rideau de fer avait un sens, il était là, inévitable dernier rempart entre le communisme et l’économie de marché. Combien sont passés en fraude, combien furent abattus pour un espoir, un idéal ? Cela semble à présent incroyable, et pourtant, cela a existé. Les images, les photographies semblent dorénavant irréelles. Le noir et blanc s’est étalé sur les clichés, des personnages sont devenus emblématiques de la lutte pour la liberté : depuis ce soldat passant en courant les barbelés, jusqu’à ceux qui ont creusés un tunnel sous le mur, tous sont aujourd’hui des souvenirs, des symboles pour une génération sacrifiée.

Qu’est-ce qu’un jeune peut saisir de l’Histoire ? Nous ne sommes pas égaux devant les évènements, ceci ne serait-ce que chaque nation a sa trajectoire. On explique aisément les relations entre pays, on trace avec facilité et décontraction les anciennes frontières, mais qui peut réaliser ce que cela pouvait être ? Fut une époque, Berlin était le cœur, le centre même de la guerre froide, haut lieu pour les échanges d’espions, les actions souterraines, l’intoxication de la propagande, et parfois aussi l’emblème de la folie humaine. Qui connaît la STASI ? Qui a une idée de ce qu’elle fut pour les Berlinois ? Certaines statistiques mentionnent qu’un quart de la population travaillait directement ou presque avec cet organe équivalent au KGB Soviétique. Donc, un quart des habitants surveillait les trois autres, et les dénonciations étaient légion. A qui faire confiance ? A qui confier ses sentiments, ses craintes ou ses désirs ? Berlin Est était une prison à ciel ouvert, une ville cachot où penser était interdit. Et dire que le mur est tombé par hasard, et que nul soldat ne fit acte contre la révolte populaire ! Le miracle d’un peuple qui se lève contre l’oppression, d’une population dont l’âme est exsangue, dont le cœur a été déchiré pendant un demi siècle, une nation coupée en deux.

J’ai une sorte de mélancolie en me souvenant des avenues de Zagreb. Etant gosse, les avenues de ma capitale étaient teintes en rouge, l’étoile maudite estampillée jusque sur les immatriculations. Le Berlinois de l’est, lui, ne connaissait pas les voitures construites à l’ouest, il n’avait le droit qu’à l’immuable Trabant, aux salaires fixés par l’état, et aux magasins désespérément alimentés par les entreprises collectivisées. Quand j’en parle avec mes parents, c’est un sourire désabusé qui se fixe sur leurs lèvres. Liberté ? C’était une envie, une idée, pas une réalité comme je la vis au quotidien. Gorbatchev, dernier chef d’état de l’URSS, est présenté comme un « héros de la démocratie ». C’est oublier qu’il a subi, comme tous les autres, la révolution sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Par bonheur, ce fut un homme de bon sens, d’honnêteté politique qui reconnût la fin d’une ère. La fin d’une époque, la mort du communisme Soviétique, l’éclatement de 80 ans d’histoire. Comment percevront les prochaines générations ces réalités d’un autre monde ? Comment pourront-ils saisir qu’il y eut Hitler, qu’il y eut en face Staline, que les vautours mondiaux se partagèrent le monde à la faucille, et qu’un jour un pays reprit ses droits de ses propres mains ?

Aujourd’hui il y a une seule Allemagne, unie par les lois, unie par le drapeau et l’hymne. Sont-ils réellement unis ? Le fossé creusé entre l’est et l’ouest existe encore, et ce n’est que maintenant que le peuple commence à se reconnaître comme étant une seule entité. J’imagine le vieux soldat, celui qui a porté l’uniforme de la Wehrmacht, pendant la seconde guerre mondiale, qui a vu la fin de sa capitale, et qui a connu le joug communiste. Je le vois assis près de la porte de Brandebourg, sur un banc public, réajustant un vieux chapeau mou, et manipulant une canne de bois. Il regarde sa ville qui a changée, son Berlin où il versa son sang avec ses camarades, et où ses amis connurent l’oppression Soviétique, les prisons politiques, et même la mort. Sous ses yeux où la peau s’est détendue et qui s’est mouchetée avec l’âge, il y a une mâchoire qui ne sait plus vraiment choisir entre le sourire et la tristesse. Est-ce le Berlin qu’il a aimé ? Est-ce la ville de ses premiers amours, ou bien celle des grandes peines ? Quand lui, survivant d’un passé douloureux, s’en ira à jamais, ses petits-enfants ne comprendront probablement pas ce qu’il a vu et subi. Ils n’auront que le souvenir d’un grand-père souvent mélancolique et silencieux, d’un homme taciturne mais pourtant aimant et sincère. C’est ainsi, nous oublions, nos enfants oublient, et un jour, tout sera oublié comme si cela n’avait jamais été.

A toi, le Berlinois, l’Allemand à qui l’on a imposé par deux fois l’horreur et les larmes, à toi je dédie ces lignes. Qu’elles soient gravées pour que jamais l’on oublie tes souffrances, que jamais l’on fasse disparaître la mémoire de ce courage d’avoir été droit dans la victoire et la défaite, d’avoir été simplement toi. Allemand. Homme avant tout, humain après tout. Tu es revenu de l’infamie de tuer, de la faim et du froid, des larmes qui ne coulent plus. A toi, je dis que je n’oublierai pas, que je n’effacerai pas ma fierté de croire que tu es un frère, un camarade, et que, moi jeune sans combat et sans guerre, je te souhaite d’être honoré. Tes vingt ans furent fêtés dans les ruines de ta capitale, tes quarante derrière les barbelés et le béton armé, tes soixante dans une ville devenue étrangère… et peut-être as-tu fêté tes quatre-vingt avec, à nouveau, un seul et même drapeau pour tous les Allemands.

Mein Bruder, Danke Schön.




1 commentaire:

Thoraval a dit…

9 novembre 1989, pour la chute physique du mur. Le 7 octobre, c'était le 40° anniversaire de la création de la RDA, si ma mémoire est bonne. Il y avait eu une grande manifestation à la soviétique, dernière manifestation du pouvoir en place.
Le 18 octobre, Honecker se casse en laissant la place à Egon Krenz. Un départ qui entraine le renouveu de la volonté du Peuple, en commençant par la manifestation de Leipzig le 23 octobre. La puissance du régime est fissurée ouvertement, bien que le régime était vacillant depuis quelques temps (en grande partie à cause de l'écart des salaires entre Ouest et Est).
Le 28 octobre, début de la Révolution de Velours; avec le 30, une manifestation d'un demi million de personnes à Berlin Est.
Les 4 et 5 novembre, un million de personnes défilent pour des élections libres. Démission du gouvernement le 7.
Le 9, suppression de la séparation des deux Allemagnes par le nouveau gouvernement de Modrow. Les premiers coups de masse sont donnés dans le mur.
Fin novembre 1989, Helmut Kohl présente le premier plan de réunification de l'Allemagne de l'Est à celle de l'Ouest et reformer ainsi l'Allemagne d'avant guerre. Voilà pour les dates.

Pour ta vision de la chose dans ton texte. Certaines choses me heurteraient si j'avais un regard à court terme. Mais comme à long terme je suis d'accord avec toi, je ne dis rien. D'autant plus que voulant rester honnête avec moi-même, je me dis que si le régime d'Hitler méritait la sanction de l'Histoire, il n'en va pas de même du peuple allemand. Ce mur fut pas celui de la honte, à mon sens. Il est celui de l'incapacité des hommes à gérer une victoire avec justice.
Sans le Traité de Versailles, il n'est pas dit que Hitler eût pu devenir ce qu'il fut. Le mur fut une espèce de Traité de Versailles à sa manière et il est heureux que ses effets ne fussent pas aussi néfastes.
Comme dit l'adage, il est plus facile de faire la guerre que de préparer la paix.
Maintenant, d'autres murs de la honte existent, invisibles. Nous appelons cela des embargos. Comme celui fait sur l'Irak après la première guerre du Golf. Un demi million d'enfants morts, pour ne parler que d'eux.
Bonne soirée à toi, Ami.