03 novembre 2009

Obscurité

Les couleurs de la révolte sont souvent le rouge et le noir. Le rouge pour le sang, le noir pour le deuil. On couvre souvent d’un drap blanc, signe de paix, les cercueils de ceux fauchés par l’oppresseur, et l’on pose celui de la « nation » sur celui des soldats défendant l’ordre établi. Qu’il est triste, cet étalage de coloris, qu’il est dramatique ce florilège de ferraille qu’on épingle au revers des disparus ! Qu’on soit de ceux qui se battent pour la liberté, ou au contraire pour le maintien d’une dictature, on se doit tôt ou tard de mourir. Le destin est le même, identique, cynique et froid.

Nous visons la tranquillité avant même de viser l’idéal. On se veut en paix, on se veut « libres » de nos choix, mais ceci sans pour autant se poser de questions existentielles sur ce que sont ces choix. Nul ne s’offusque quand le liberticide devient une arme courante, personne ne semble prêt à se redresser contre quoi que ce soit, excepté quand cela touche nos petits intérêts personnels. Petit, tel est le mot le plus important de la phrase, car nous sommes petits, veules et lâches, et surtout sourds aux cris désespérés des autres. Jusqu’au jour où ces cris deviennent nôtres, et que nul n’est plus présent pour les entendre.

Dans l’obscurité des geôles dans le monde, c’est avant tout l’obligation de silence qui règne en maîtresse impitoyable. Mitard, sanction morale ou physique, suppression de « privilèges », l’arsenal des gardiens est large et efficace. On ne regarde pas ce que sont les prisons, car qui dit prison dit culpabilité. « C’est bien connu, tous les détenus sont innocents ! » répondra un matricule anonyme dans la cour de promenade. Et il aura raison : qu’est-ce que l’innocence ? Quels sont les critères qui définissent la culpabilité d’un détenu ? Nous pensons, du moins nous espérons que cela soit établi sur la base d’une morale, d’une réflexion juridique et judiciaire menant à exclure de la société les gens dangereux. Dangereux pour qui ? Pour nous tous, les piétons sans but qui craignent l’agression au coin d’une rue, nous tous, la mère solitaire poussant une poussette sur un passage piéton, nous tous, la grand-mère qui sort de la banque avec sa maigre retraite. Seulement, derrière les murs des prisons, ce n’est pas que le « criminel » qui croupit, c’est aussi le penseur, le libertaire, le déviant politique qui refuse le formatage étatique, ou encore le chanteur qui a tourné en dérision le pouvoir en place.

C’est, les yeux fermés, les oreilles bouchées, que nous signons chaque jour des contrats juteux avec des bourreaux. C’est, à chaque instant, que nous cautionnons par notre silence, la détention de journalistes s’étant élevé contre le traitement inhumain des femmes, ou encore contre les méthodes barbares employées par la pseudo police. Notre silence tue, il torture, il emprisonne et il autorise tous les excès. Nous tolérons, nous tergiversons, et quand une organisation quelconque prouve, avec forces preuves à l’appui, que nous négocions avec des tortionnaires, les voix murmurent dans les coulisses, et en public on se fait consensuel. Est-on tenu de cirer les chaussures des monstres pour en obtenir le meilleur profit ? Cette lâcheté est criminelle, indigne d’une nation qui arbore une devise telle que « Liberté, Egalité, Fraternité ».

Ce qui est encore plus effrayant, pour ne pas dire tout simplement terrible, c’est que nous aussi, nous agissons avec une égale brutalité. Sous couvert de réduire à néant des dictatures, nous autorisons d’affamer des populations entières par des embargos iniques, nous leur refusons les soins médicaux élémentaires en rendant inabordables les médicaments, et nous allons même jusqu’à acheter en sous main la production de ces mêmes dictatures qu’on abhorre en public. L’obscurité est la règle en diplomatie, elle est nécessaire même car nul ne saurait être un bon donneur de leçons. Quelques exemples ? La France peut-elle parler de respect des droits de l’homme quand ses propres prisons sont insalubres ? Peut-elle donner des leçons de démocratie quand des lois de censure et de contrôle des masses se voient votées à l’assemblée ? La Suisse a-t-elle le droit de parole quand elle brasse les capitaux issus des saisies faites pendant la seconde guerre mondiale ? Peut-elle parler des droits de l’homme quand elle « efface » l’ardoise du fils Kadhafi quand celui-ci torture son personnel de maison ? Les USA peuvent-ils parler d’humanité quand ils bombardent impunément des civils, ont usés de l’agent orange au Vietnam, ou encore brassé les pétrodollars des dictatures du golfe Persique ? Nul n’est propre en politique, nul n’a de virginité morale, ce qui rend le tout obscur et malsain.

Le détenu pour délit d’opinion regarde par la meurtrière qui lui sert de fenêtre sur cour. Il vit, enfin survit dans des conditions inhumaines. Sale, malade, affaibli, il continue tout de même à résister à la pression de ses matons. Pourquoi ? Parce qu’il a quelque chose que l’Homme devrait porter en lui : le respect de lui-même. Nous avons vendu notre âme au Diable, nous la vendons quotidiennement, et ce sans vergogne, parce que ce marché nous coûte moins cher qu’être droits et honnêtes. Le détenu, ne possède plus rien, il n’a plus de vêtements à lui, il n’a plus sa maison, sa femme, ses enfants, pas même sa liberté. Mais il possède ce que nul ne peut posséder, ce que nul ne peut enfermer : la droiture d’opinion. Soyons comme lui, regardons notre monde avec courage, ne fuyons pas l’analyse et la contradiction sous prétexte que cela dérange nos habitudes ! Le silence cautionne tout, il autorise tout et rend inerte les sociétés. Nous sommes silencieux quand l’horreur frappe à notre porte, nous le sommes tout autant quand la mort frappe à quelques mètres de nous. Sous l’obscurité des ponts, des gens meurent, des gens luttent, des gens désespèrent. De quoi désespèrent-ils ? D’eux-mêmes, et de nous tous, car nous tous nous les oublions, nous éteignons la lumière, tirons le rideau sur la fenêtre, et nous espérons que l’inconnu en haillons ira s’échouer ailleurs.

Par respect pour ceux qui connaissent le sens du mot souffrance, et pour ceux qui luttent sans prendre une autre arme que la parole, ouvrez votre cœur, agissez avec dignité. Pensez, pensez encore et toujours, soyez critiques et constructifs, réfléchissez, partagez vos connaissances, soyez pourvoyeur de culture. N’acceptez ni censure ni même la démagogie, offrez vos idées à la critique, et critiquez en retour celles des autres. Le monde change, il se mondialise, les réseaux s’interconnectent toujours plus. Donnez, recevez, mêlez, bâtissez les colonnes du temple dédié à la connaissance universelle, au savoir, à l’Homme. Ne créez pas d’idoles, doutez, hésitez, comparez. Ceux qui vivent dans l’obscurité, ceux qui périssent dans les cachots méritent qu’on fasse la démarche pour que leur souvenir ne soit jamais effacé. Internet n’est pas qu’un outil, c’est un lieu de partage, une nouvelle forme de liberté.

Arborez un seul et unique slogan : « La Liberté de penser ne doit ni fléchir ni être encadrée. La liberté d’être soi-même ne doit pas être soumise à des choix arbitraires. Etre libre, c’est vivre. »

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