18 novembre 2009

Les percussions du cœur

De mes doigts, j’ai pu frôler quelque chose qui devrait être impalpable. De mes yeux, j’ai pu effleurer un sentiment qui est supposé être invisible. Et pourtant, je les ais tenues en main, ces décorations, ces médailles, cette fanfreluche aussi vaine qu’indispensable, ce métal symbolisant tant le courage d’une personne que la reconnaissance d’un peuple pour ses actes. J’ai serré ces surfaces dorées et frappées par la tristesse et la fierté mêlées, je me suis senti ridicule et minuscule face au poids du sens de ces médailles. Aujourd’hui, une bonne partie des gens estiment qu’il n’y a pas de raison de soutenir ceux qui défilent en kaki, et que le militarisme est une valeur du passé. Comment dois-je réagir, après avoir serrés les médailles de mon oncle ?

Bien souvent, ces décorations n’ont de sens que pour ceux qui savent les identifier. Ainsi, il nous est impossible de saisir l’ampleur de ce qu’est une bataille que lorsqu’on la vit, et, de plus, il nous est tout particulièrement impossible d’en juger l’importance. Ceux qui furent décorés à titre posthume ont donné leur vie pour une cause, qu’elle soit juste ou non n’ayant plus d’importance. Pour nous autres, ces civils ingrats qui acclament les soldats le lundi et les insultent le jour suivant, une étoile épinglée à la boutonnière n’a qu’un sens prétentieux et ostensible, mais pour ceux qui arborent la dite étoile, c’est un acte de fierté et de respect pour tous ceux qui furent près d’eux dans les pires moments. J’ai l’immense fierté de savoir que mon oncle s’est battu, qu’il a assumé son volontariat jusqu’au bout, et qu’il a pu en parler avec moi après la guerre.

Ne vous méprenez pas, la guerre est quelque chose que je trouve honteux et dégueulasse, qu’elle ne résout rien, et qu’en plus elle engendre que haine et frustrations pour le futur. A mes yeux, ce que j’honore ce n’est pas le combat au sens large, mais le courage de ceux qui le mènent. Je n’irai jamais cracher sur la tombe d’un soldat, aussi brutal ou honteux qu’il fut. Nous n’avons pas le droit de juger du courage, mais nous pouvons juger la cause défendue. Ne crachons pas sur les soldats de 1914, pas plus que sur ceux de 1940. Tous ont défendu des idées, des opinions, tous les cimetières et fosses communes contiennent des gens s’étant vaillamment défendu pour cela. Ils ne méritent pas d’être humiliés parce qu’ils n’avaient pas le bon insigne à l’épaule ou sur le cœur. Ceux que l’on doit humilier et punir, ce sont ceux qui décident, ceux qui revendiquent, les colporteurs de malheur, les assassins par la plume, les bouchers par la décision.

J’ai souvent une colère intérieure, celle des médaillés de la légion d’honneur. Nous n’avons pas à distribuer ce titre honorifique à n’importe qui, pas plus qu’à l’épingler au revers de n’importe quelle ordure qui a fait sa place au soleil par la tricherie et le mensonge en politique. La légion d’honneur, c’est un titre, mais c’est aussi un devoir de mémoire pour tous ceux qui furent décorés de cet ordre pour faits d’armes, ou pour un véritable courage. Je ne mettrai jamais dans le même sac puant le musicien sans talent mais adulé par les foules, et le résistant ayant subi la torture de la Gestapo. Je ne donnerai jamais autant de valeur au ruban rouge des poilus, à celui d’un dessinateur de BD devenu célèbre grâce à son irrévérence. Décorer quelqu’un, c’est, à mes yeux, lui adresser le message fort que la patrie lui est reconnaissante. Pas qu’on veut en faire une vedette parmi tant d’autres dans un annuaire mondain des « décorés de la légion d’honneur ».

A chaque fois que les villes et villages célèbrent les grandes dates, j’ai un pincement au cœur en voyant ces hommes et ces femmes qui s’alignent près des monuments aux morts. Ils ont de l’émotion dans le cœur, et de la fierté sur la poitrine. Eux, ils savent le sens du mot sacrifice. Eux, ils connaissent le sens du mot camaraderie. Où qu’ils furent, que la guerre fut juste ou intolérable, ils furent là, au service de leur nation, se battant pour les trois couleurs. J’ai honte pour cette jeunesse qui les dénigrent, qui les conspuent même en ne voyant en eux que des « troufions ». Tas d’ingrats, d’ordures satisfaites par la chance de vivre en paix, remerciez les plutôt d’avoir versé leur sang et détruit leur âme pour que vous, générations suivantes, puissent savourer la liberté et le droit de s’exprimer. Les décorations qu’ils portent sont autant de signes des étapes qu’ils eurent à surmonter pour survivre, et cracher sur eux, c’est cracher sur tous les autres anonymes tombés au champ d’honneur. Il n’y a pas de honte à les saluer, il n’y a pas de honte à raconter leurs histoires individuelles et celle, tout aussi importante, collective.

J’ai un battement au cœur, une percussion silencieuse pour les autres mais bruyante en moi. Elle bat la mesure de l’émotion pour ces portraits qui s’alignent dans les cimetières ou dans les salons des familles arborant fièrement leurs morts. Nous sommes tous les héritiers d’un passé, et, si douloureux soit-il, nous devons en assumer les conséquences sur notre quotidien. Verdun, le chemin des Dames, Dunkerque, Omaha Beach, Dien, Beyrouth, ces lieux sont autant de souvenirs, de batailles, de dates qu’on enseigne plus ou moins à l’école. Mais ce sont surtout des hommes et des femmes, des gens, des vies et des morts. Les oublier, voire même les fustiger serait de l’ingratitude et de la bêtise. Honte à ceux qui ne veulent pas comprendre, et pire encore, honte à ceux qui ne veulent pas expliquer à ceux qui ne comprendraient pas.

Les percussions roulent, ils défilent en rangs serrés. Ils sont nos fantômes, ces millions de fantômes de nos morts à tous, de notre histoire commune, celle du monde tel qu’il est aujourd’hui. Ils sont vêtus d’uniformes, de tenues de civil, certains marchent main dans la main, d’autres au pas de l’oie. Tous sont l’âme et le sang d’une terre que l’on croit être nôtre. Pourtant, eux se battirent pour des frontières, des causes perdues, parfois pour un pâté de maison ou moins encore, mais ils furent là, jusqu’au bout. On raconte que des résistants Français, au moment de leur exécution, chantèrent l’hymne nationale. On dit également que les soldats chargés de presser la détente se sentirent humiliés de tuer ainsi des personnes courageuses. A celui qui sifflera l’hymne qu’ils défendaient, je dis attention : tu siffles et insultes des gens honnêtes, au sens pur du terme. Suis-je nationaliste ? Peut-être, mais l’essentiel n’est pas là : je ne cracherai pas sur un drapeau, je cracherai toujours sur des idées et je maudirai les idéologues pervertissant le sens premier des courants d’idées.

Défendons l’identité Nationale : pas celle de la couleur, pas celle de la « foi », celle où chacun se reconnaît comme habitant la même terre, se voit comme le frère du voisin, et où chacun respecte et honore la mémoire collective. Je n’assumerai jamais les actes des autres, j’assumerai en revanche d’être un des détenteurs du souvenir de leurs actes. Oublier, c’est maudire les victimes. Se souvenir et gérer ce passé, c’est rendre hommage à tous, sans distinction ni hypocrisie. Marcher droit, ce n’est pas s’éloigner des autres, c’est aller dans la même direction, avec l’espoir de bâtir une société où chacun aura une place, et où le paria sera un mot dénué de sens. La différence, qu’elle soit par l’origine, l’existence ou l’opinion, sera une richesse, et nous serons alors, je l’espère, riches des enseignements des autres.

Marchons. Tout simplement.

1 commentaire:

Thoraval a dit…

RAS.