02 septembre 2009

Le drame

C’est un drame ! Un désastre ! Quelle infamie, quelle torture morale, j’en souffre de tout mon être tant c’est insupportable. Que voulez-vous ? Que je sois serein et détendu alors que, là, dans l’instant, mon existence s’effondre totalement ? Permettez moi d’être égoïste pour une fois bordel ! Moi aussi, j’ai le droit de me plaindre, de ne plus accepter la cruauté cynique d’un quotidien glacé !

Mais qu’est-ce qui se passe ? Comment !? Vous ne le savez pas ? Les journaux et les médias sont donc si corrompus qu’ils gardent cruellement le silence ? Mais pauvres diables désinformés et nourris au Nutrasweet et à la caféine de mauvaise qualité, mon stylo à bille a rendu l’âme ! Que l’on sonne au clairon le chant des morts, que l’on fasse tonner les canons pour son inhumation ! Ce pauvre stylo, fidèle ami de tous les instants, coupable d’avoir été trop longtemps à mon service, a vu sa vie s’écourter dans son tiroir. L’encre séchée, la bille ravinée par des kilomètres de papiers parcourus à grand rythme, il est parti de sa belle mort. Mes larmes coulent, je le regretterai, cet ami impartial dans ses traitements, ce copain qui aura toujours su mettre aux nues mes sentiments les plus profonds !

Comment ça, vous vous en foutez ? Mais, votre ignominie n’a d’égal que votre bêtise ! Le stylo EST le compagnon vital, c’est le camarade dont on ne devrait jamais se départir ! Qui, sans stylo, saurait signer une condamnation à la guillotine (si ce n’est avec son sang) ? Quel escroc pourrait vivre sans ce frère de falsification ? Mon stylo, c’était un pote, un vrai, de ceux qui ne vous fuient pas dans les poches, de ceux qui savent se tenir aussi bien au bureau qu’au comptoir d’un restaurant pour parapher un chèque. Uniformément honnête, le stylo est, à lui seul, le symbole de la culture. Vous savez écrire, il vous aidera à le faire partout. Vous voulez exprimer vos désirs à une jolie demoiselle ? Il se fera alors chantre de vos sentiments et envies. Respectez donc mon vieil ami qui, à présent, a rejoint le néant.

Jamais il ne m’a fait le coup de la panne. Contrairement à ces faux frères à plume qui, sous couvert de distinction, s’amusent de vos déboires en s’écrasant, en bavant, voire en vous jouant la scène du manque avec dramaturgie, mon bille, lui, s’est systématiquement inquiété de mon bien-être. Ah, c’est pas un plume qui aurait survécu à la machine à laver sans broncher ! Ce n’est pas ces roublards de critériums qui acceptent sans blêmir d’être effacés d’une gomme rageuse ! Le bille, mon bille, c’est définitifs, sans repli, sans mensonge.

Il a bien failli perdre son rang quand l’imprimerie à domicile est apparue. Reclus, vivant dans un pot miteux trônant là, pour rien, il ne s’est pas démonté. Pas de faiblesse, propre sur et sous lui, mon bille a fait preuve d’un stoïcisme que l’on ne retrouve guère que chez les gardiens de goulag. Pas question de faiblir soldat ! Tu peux encore faire acte de bravoure en égrainant l’alphabet des mouflets ! Et sois brave s’ils te mordillent, tu es là pour tenir, pas pour baver ! Tenace, coriace même, mon bille a supplanté ses cousins à couleurs bariolés, ces feutres sans âme qui meurent aussi vite qu’ils se vident. Regarde les, mon bille, tu leur as survécu si longtemps !

Le remplacer ? Mais vous êtes de grands malades ! Cruels que vous êtes, remplacez-vous un frère parti par un substitut sans âme ni épaisseur ? Vous laissez-vous séduire par les chants de sirènes à bas prix ? Je ne cèderai pas : mon bille est et restera irremplaçable. Il a tout donné, jusqu’à sa dernière goutte d’encre pour que je sois satisfait. Sois fier de toi mon bille, je saurai préserver ton souvenir tant il m’est précieux et essentiel. Nous avons traversés tant de choses : la signature des recommandés, le paraphe d’un chèque, le gribouillage compulsif d’un schéma technique… Tu as toujours été à la hauteur, constant dans l’effort et la détermination.

Bon, c’est pas tout ça mon bille, mais il me faut pouvoir griffonner des informations sur un papelard. Tu me conseillerais quoi ? Ce pourri de feutre qui n’attend que moi pour ne pas fonctionner ? Cette ordure polymorphe de quatre couleurs qui n’a que deux teintes réellement utilisables ? Ou encore ce bouffi d’orgueil de surligneur qui, sous couvert de couleur fluo, se marre en faisant dégouliner et baver les encres qu’il met en exergue ? Sois de bon conseil, j’aimerais tant que ton héritier et remplaçant soit aussi fidèle que tu l’as été. Mais sache une chose : ne me fais pas prendre le chemin des saletés sans marque ni âme qui, sous prétexte de ne pas être chers, s’avèrent être d’immondes et inutiles crachoirs à encre pâteuse et puante. Alors mon bille…que dirais-tu que je prenne ton jumeau ? Il est là, tout prêt à frétiller, droit et propre dans son emballage pas encore violé par mes doigts gourds et boudinés. Allez hop !

Bille, je te présente bille. Trêve de politesses, au boulot !

1 commentaire:

Shuriken a dit…

Il a fallu que je perde mon appareil photo numérique dans une salle de cinéma faute d'inattention. Il comportait des photos auxquelles je tenais d'un habituel voyage sur Paris. Il s'y trouvait à l'intérieur une photo de Ben Harper et moi; une rencontre des plus fortuite survenue le 07/07/07. Il est vrai qu'il y a de ces choses qu'on ne puisse remplacer facilement et non seulement pour une question de prix. Ce n'est pas essentiellement l'apn en lui même qui m'importe, mais plutôt ce que j'en ai fait et ce qu'il y avait dedans. Tant que vous continuez à écrire avec la même passion, c'est le plus important. Encore mieux, dans ce cas, si Bille est identique et que le premier reste à vos côtés...
Un de vos fidèles lecteurs.