08 juin 2009

Un peu d’aventure imaginée

J’aime cette étrange faculté de pouvoir créer, sans vraiment trop savoir comment, des mondes et des situations improbables. En quelques instants, on s’emplit l’esprit de lieux, d’images, et l’on arrive parfois à le rendre si réel qu’il semble être tangible. Ainsi, face à l’imaginaire, la réalité semble alors fade et morcelée. Quel plaisir alors de pouvoir retranscrire une ambiance n’étant présente qu’en son esprit ! Je m’amuse, je joue, pétris et déforme les éclairages intérieurs, modelant à loisir l’endroit où se dressent rêves et espoirs confinés en moi, pour enfin les laisser se déverser par mon clavier.

Moi, conteur ? Allez savoir, peut-être suis-je saisi d’images provenant d’ailleurs, de vraies mondes que je crois tirés de mon esprit, et que je suis, comme tous les autres auteurs, qu’une interface, une sorte de téléviseur intérieur où seraient diffusés la « vérité », enfin, des vérités parallèles, différentes, oniriques ou sinistres… Et là, l’imagination, terreau incroyablement fertile, génère sa floraison d’idées tordues, drôles ou tristes, agréables ou inquiétantes. Depuis l’écriture d’une aventure poétique jusqu’aux romans parlant de démons et de maléfices, tous sortent de ces cortex parfois malades, mais toujours prolifiques.

Laissez vous aller. Fermez les yeux, écoutez votre environnement, divaguez, sombrez, remontez, l’esprit doit choisir seul sa direction. Abandonnez les commandes au rêve, qu’il soit maître à bord, et que vous soyez ouverts aux mots qu’il vous chuchote. Que dit-il ? Quelle aventure narre votez songe ? Y a-t-il un endroit inconnu à percevoir ? Si vous voulez vous aider, n’hésitez pas à user et abuser de la musique. N’importe quel morceau, n’importe quelle ambiance musicale peut vous permettre d’ajouter des couleurs. Et moi ? A quoi je songe là ?

Elle s’est assise au bord de la falaise. Monumental, le cratère sous ses pieds déploie ses kilomètres de profondeur et de largeur. Telle une enfant, ses jambes emmitouflées dans sa combinaison pressurisée battent lentement la mesure. Elle rêve. Au loin, il n’y a pas d’horizon, pas de nuages, pas d’atmosphère, rien que l’espace, le vide, omniprésent, presque oppressant et pourtant si familier. De la main, elle pointe vers les astres qui brillent comme autant de prunelles rieuses la fixant pour l’éternité. C’est étrange, cette sérénité du silence, quand l’air n’existe pas et que les sons ne peuvent donc pas se diffuser. Le seul bruit qu’elle entend est celui de sa respiration, lente, pondérée, calme, comme si être assise ici représentait la plus grande des méditations possible.

Elle esquisse un sourire en décodant les messages du temps : mouvements célestes, objet volant en orbite très basse, tous ces mouvements de rotation, de translation, comme suspendus dans des mains invisibles. De la paume de son gant quadruple épaisseur, elle manœuvre la visière de protection solaire, puis savoure l’éclairage d’un astre qui vient caresser les grises collines de son astre. Ils sont parvenus jusque là, colons d’un autre genre, explorateurs de cailloux célestes, et plantés un drapeau futile, pour l’éternité ou presque. Ses camarades sont quelque part, ils doivent travailler à leur retour. Elle, quelle importance, se dit-elle en battant encore et encore la poussière de ses jambes. Elle y est, enfin, à tout jamais, éternellement arrivée au bout de la route des étoiles. « On ne voit même pas la terre » dit-elle à haute voix pour elle-même. Loin, trop loin pour percevoir le petit rocher habité, le petit morceau de vie temporaire, l’oasis au milieu du froid et de la chaleur.

D’une poussée sur ses mains elle s’envole, légère, flottant presque dans le néant. La gravité est si faible, elle n’est plus qu’une plume sans vent, un oiseau sans battre les ailes, les bras écartés, amusée comme une gosse de ne plus être pesante, de ne plus être humaine à deux jambes, piégée par l’attraction, prisonnière d’un monde ordinaire où chacun ne sait que marcher et pas voler, se traîner par terre et pas rêver, survivre et pas vivre réellement. Lentement elle redescend. Une seconde impulsion, elle remonte, encore plus haut, plus haut, toujours plus haut… à en toucher les étoiles éloignées de mille ans de voyage, d’un million d’années, d’une éternité, d’un tout de suite, ou d’un jamais. Les yeux écarquillés, elle s’enrobe de l’image du céleste, de la rougeur d’une planète vue sur la droite, du bleu azur d’une autre plus lointaine encore, du gigantisme de ce rocher qui flotte tout proche, et du minuscule de ce soleil inconnu. Tout en perspective, comme en elle, grandeur, décadence des astres, force de la gravitation, absence de pouvoir de l’âme sur le temps.

Puis enfin, après une infinité de secondes, elle se repose, ses pieds bottés lèvent une fine poussière grisâtre, une farine douce amère de pierre éternelle, signe d’un temps immuable qui parvient à tout éroder. Un voyant se rappelle à elle : il est rouge, il clignote juste sous ses yeux. A l’intérieur du casque, une voix synthétique lui parle d’oxygène, de gaz carbonique, de danger… Elle s’en moque. A quoi bon s’en soucier ? Ses camarades sont là-bas, sur le lieu du crash. Le module s’est mal posé, il y a eu une brèche. Ils sont tous morts, noyés célestes, figés par le froid de cette étoile qu’ils devaient visiter pour la gloire. Qui viendra la chercher ? Personne, trop loin, beaucoup trop loin et pas assez de temps pour elle. Elle a prévenu sa base, on lui parle, la rassure, puis elle a fini par interrompre la communication. Trop pénible d’écouter ces mensonges faits pour l’empêcher de paniquer, enfin, de les laisser paniquer là-bas. Elle s’en retourne, pas après pas, vers la partie viable qui reste du module de retour. Il filtre le gaz mortel, le dioxyde poison, cela lui laisse encore quelques jours de rêve, de voyage intersidéral, de vagabondages solitaires dans la chaleur et le froid.

La lourde porte se referme, elle pressurise. Le chuintement significatif se produit, elle se dépoussière, se décontamine, et abandonne sa combinaison pour finir légèrement vêtue. N’est-ce pas là la plus belle des sépultures ? Elle sourit. Elle a déjà alignés les corps sans vie de ses camarades, là, au dehors, sans risque de les voir perdus ou emportés par le vent. Momies modernes, ils resteront là, à jamais. Puis d’un geste elle vérifie le temps qui reste sur ses équipements, fait un bilan des vivres : dernière manie d’une femme entraînée à toutes les situations… Toutes, sauf celle d’attendre patiemment des secours qui seront en retard, ou d’attendre la Mort. Ou de la choisir. Armée d’un sourire, elle observe une dernière fois : plus qu’une journée, deux peut-être. Les autres réservoirs sont vides, ses équipements défaillants ne lui offrent plus suffisamment de répit. Ils lui ont dit « quatre jours, patientez quatre jours !». C’était hier soir, enfin soir… Leur soir à eux. Alors, rieuse, elle leur dit adieu à la radio, se tourne vers l’issue de secours, se saisit de la poignée, la tourne…

Et tire à jamais la dernière manette.

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