08 juin 2009

Impact

On peut me reprocher de souvent ressortir les aspects sombres de l’existence, et ainsi vilipender la bêtise des hommes, cracher sur la monstruosité ordinaire des choses, et ainsi apparaître comme un être « doté d’une conscience qu’il peut croire virginale tant il se réclame d’être pur de toute pensée négative ». Hélas, trois fois hélas, je ne vaux guère mieux que mes contemporains, je ne saurais être exclu de la masse grouillante et stupide qui se vante de consommer, qui s’inquiète temporairement (le temps d’un dîner devant TF1…) de l’avenir d’une république africaine, et qui finalement clame ses bons sentiments à des fins de propagande pour soi. Tant que la confrontation est lointaine, pas étonnant que l’on se contente de rester coi et silencieux, rien de traumatisant à l’idée que la violence soit éloignée, si possible d’un océan, d’un continent, ou au moins d’une chaîne de montagnes.

Mais certains se prennent la vérité en pleine face, comme un uppercut de poids lourd, brisant alors les images d’Epinal, dépiautant l’âme au point d’en devenir obsession. Celui qui voit, celui qui vit, celui qui subit les images apprend à ses dépends que les sentiments sont parfois insuffisants, et que l’on recèle en soi des coins si sombres que même trois millénaires de réflexion philosophique n’arrivent pas à les analyser. On ne repart pas indemne de Beyrouth, on ne revient pas de Bagdad serein, on ne décolle pas de Mogadiscio le cœur en fête, on ne prend pas le navire à Bombay sans être à jamais marqué par la ville. Touristes ? Nous le sommes quand notre regard se défile et que l’on se contente du superficiel. Menteurs ? Tous nous sommes d’affreux et criminels menteurs quand nous prétendons nous faire du souci, ceci l’espace d’une discussion ou d’une conversation très « formelle ». Ah ça, on sait dire que l’avenir du monde nous turlupine, le tout en jetant négligemment notre gobelet de plastique par terre… Et pourtant, il y a tellement pire…

Les images sont devenues de simples morceaux dépourvus de sentiments, l’impact n’est plus vraiment celui attendu. D’inquiets observateurs de l’actualité, nous sommes devenus des voyeurs friands de sensationnel et de brutale réalité. Quoi ? On parle de la famine sans montrer de gosses gonflés et difformes ? Comment ça, on ne présente pas les mutilés de guerre ? Ce sont les réactions classiques des gens d’aujourd’hui. Je fus outré quand, au détour d’une conversation, j’ai entendu « qu’on » (sans moi, je m’exclue de ce on malsain), je cite « voudrait bien voir les débris du vol 447 ». Hé oui : il faut montrer, observer, sans pour autant être inquiété par cette distance rassurante que met la télévision entre soi et les violences quotidienne de notre monde.

Et parfois certains subissent le choc, celui d’être face à face avec la mort, la haine, le quotidien des autres, celui qu’on n’envie pas, celui que l’on craint pardessus tout. Guerres, reliques de guerres passées avec les mines et les bombes non explosées, guerres futures avec la montée de la haine, et puis cette violence permanente, de celle qui terrifie le tout à chacun… jusqu’au moment où elle est acceptée comme ordinaire. Voir un môme de Gaza, ça ne fait peur à personne, voir en vrai son regard déjà vide de son innocence, là, c’est saisissant. Cherchez donc les mots qui vous font le plus souffrir ou trembler, mettez les sur leur existence, et songez donc qu’ils sont mille fois plus forts en vrai qu’en imagination, et là, éventuellement, vous pourrez un peu effleurer leur réalité. Pas celle fantasmée, pas celle des médias qui se contentent de survoler.

Leur vie, enfin, ce qu’il en reste.

Tant qu’on ne voit pas, on ne sait pas, pourrait-on dire tels des Saint Thomas d’opérette. Ce que j’ai vu ? Des villages fantômes aux murs criblés d’impacts d’armes, des façades tagguées avec des propos racistes pour l’ethnie d’en face pour leur interdire de revenir, des forêts abandonnées à cause d’un panneau mentionnant « attention, mines ». Et puis j’ai vu cette source thermale où les gens viennent faire de la rééducation, réapprendre à se servir d’un corps mutilé auquel une bombe a ôté un bras, une mine déchiqueté une jambe, ou bien encore un éclat crever les yeux et ainsi rendre à jamais aveugle. J’ai entendu la complainte de l’ancien combattant ivre mort, qui, dans sa chair, sent encore le bout de fer fiché au bas des vertèbres et que personne n’ose extraire.

Cela fait de moi quelqu’un de différent ? Je ne sais pas, je n’ai pas la prétention de l’être, et encore moins de faire la leçon à qui que ce soit. Ce que je sais, c’est qu’un dessinateur, lui, a vu des choses aussi effrayantes et ordinaires, dans cet ailleurs lointain qu’on connaît de nom sans vraiment en savoir quoi que ce soit.

Suivez le lien ci-dessous. C’est engagé, les propos sont peut-être gênants pour certaines sensibilités ou opinions, mais il a vu… Et je comprends ce qu’il dit.

Que trop bien.

Bonne lecture.

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