06 mai 2009

C’est par la haine que commence la création

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la création est terriblement tributaire de la haine, de la violence et de la peur de la différence. Ainsi, contrairement à l’apparente richesse créatrice des « génies » (proclamés par la foule, ou simplement établis ainsi par quelque autocrate), c’est bel et bien dans la destruction que s’exprime le plus la force inventive.

N’abordons pas l’ingénierie, tous nous savons que la guerre est grande consommatrice de progrès, car détruire la vie est une façon redoutable d’avancer dans la technologie. Non, là je songe à l’art, ce superflu indispensable à la société et vital à toute représentation d’une civilisation. Quand on songe aux romains, on pense autant aux invasions et guerres qu’aux miracles d’architectures implantés un peu partout en Europe. Quand on parle des mayas, c’est ces temples monumentaux qui marquent les esprits. Mais à la gloire de quoi ? De la puissance d’un pouvoir terrestre ou religieux, en l’honneur de héros vivants ou morts, et enfin pour symboliser tout l’orgueil qu’un peuple peut porter en lui. Tenez, n’est-ce pas de l’autosatisfaction que de bâtir un arc de triomphe ? N’est-ce pas aussi par simple prétention que tous les rois et empereurs se sont faits mécènes des arts ? La toile fut tout autant vecteur politique que le devient le cinématographe dans les années 30… Certes, d’une manière autrement plus léchée (selon nos critères modernes), mais la finalité était la même : flatter l’ego, vanter la force d’un dictateur et le présenter comme un Dieu à la population.

Je comprends difficilement les gens qui supposent que l’art est contre le pouvoir, contre la richesse, bref contre tous les systèmes. L’art est tributaire de l’argent autant qu’il peut devenir lui-même source de revenus ou de spéculation. Historiquement, les artistes furent non pas des créateurs solitaires, mais des artisans de la beauté, travaillant à la commande pour des puissants autant emprunts de passion artistique que de pragmatisme. Rien n’est plus impressionnant qu’un Botticelli dans un salon, et de la même manière Florence fut avant tout le siège de l’art à façon, et les Médicis surent se servir de l’art comme vecteur de la réputation de la ville. Somme toute, la majorité des toiles et sculptures de la renaissance durent autant au génie créatif et non conformiste de rigueur dans la ville, que des finances d’une famille de banquiers aux méthodes souvent peu scrupuleuses.

Alors quoi ? N’est-ce pas malhonnête que de prétendre à l’art sans rémunération ? Certes, nombre de grands ne furent reconnus qu’une fois recouverts de pissenlits, mais combien d’autres jouèrent avec intelligence de leur éclat éphémère ? Ne soyons pas enfantins : la création artistique sait être aussi cynique qu’elle peut être magnifique. Les musées du monde entier témoignent de la destruction engendrant la création : portraits de conquérants, scènes de bataille, bronzes de cavaliers, et même la représentation de la Marianne révolutionnaire. La guerre, la haine et le meurtre surent se mettre en scène avec autant de beauté que les scènes naïves et bucoliques si chères à toute une génération de peintres.

On définit l’art moderne comme une famille de peintres et toiles sortant des carcans de la convention. Personnellement, je crois que l’art moderne c’est aussi les médias modernes tels que le cinéma, ou à présent l’informatique. Nous disposons de supports capables de servir autant l’art que la propagande, et la vidéo s’est souvent fait chantre des tyrans. Trop de gens sont convaincus que le cinéma est libre d’influences… Ah ? Parce qu’il n’y a pas de notion de financement ? Les grandes structures politiques telles que l’armée ou les services de communication des présidents sont tout aussi moteurs pour assister les créateurs de films conventionnels à la gloire de leurs services, qu’ils sont de redoutables censeurs quand un tordu tente une critique lucide de son temps. Tout le paradoxe est donc que le créateur est souvent bâillonné… parce que le vrai génie, celui qui crée pour la création, celui qui ne dépend pas des codes, est souvent solitaire dans ses idées, et souffre bien souvent d’être traité en anarchiste. Le cheminement de l’art n’est donc qu’un équilibre précaire entre compréhension critique de son monde, que dans sa capacité d’être suffisamment cynique pour en vivre. Même les plus grandes plumes et pinceaux furent capables de mettre au monde des œuvres, parce que l’estomac dictera toujours sa loi au cerveau…

1 commentaire:

Thoraval a dit…

Sans commentaire. L'art comme instrument de l'affirmation de l'Etat, de l'Empire ou toute autre tête d'un pouvoir n'est pas une nouveauté.
Il y a, cependant, dans tous les âges, des artistes qui ont contredits ces pouvoirs. A l'exemple d'un Machiavel.
Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que l'ensemble des artistes se veut le garant de la contradiction et de la liberté. A l'exemple du fameux Train de Berlin, je suppose.
Un artiste devrait se tenir à ses oeuvres, et ces dernières devraient le faire reconnaître. Mais est-ce le cas?