09 décembre 2008

Enfer du devoir

C’est en regardant une série injustement méconnue en France nommée Babylon 5, que bien des questions se sont imposé à moi sur le rôle d’un militaire dans un environnement sensible, et qui plus est de l’impact d’obligations d’obéir lorsque les ordres sont graves. On reproche bien souvent au militaire d’être le fer de lance d’une résolution des problèmes par la violence et non comme les gardiens d’une paix toujours précaire. Alors, dans l’absolu, peut-il exister une liberté sans les armes, et si non alors que faire si la dite liberté est en jeu ?

Dans toute défense des droits la violence est un recours ultime, le dernier pion que l’on avance qu’avec énormément de circonspection. A présent que les nations européennes se tiennent un peu tranquilles les militaires se retrouvent à faire de l’interposition entre nations, ethnies ou forces militaires de sorte à tenter une solution négociée. Pourtant, il me semble essentiel de se demander d’une part si le soldat arrive à appréhender son rôle véritable, et d’autre part s’il a la latitude nécessaire pour douter de ce qu’il est supposé faire. Par essence le soldat doit obéissance et respect à sa hiérarchie car sans ordre point d’efficacité. Toutefois, est-il acceptable de ne pas tirer quand l’ordre est donné tandis qu’un massacre a lieu sous vos yeux ? Entre devoir et obligation morale l’uniforme ne permet pas vraiment de faire de subtiles analyses, il est là pour cantonner le soldat à l’action et non à la réflexion. Chacun son rôle dira l’officier, le soldat lui fera en sorte « d’oublier » ses doutes. Une balle ne réfléchit pas...

Les exemples ne manquent pas : poilus refusant de partir dans un assaut suicidaire décidé en haut lieu, désertion dans toutes les guerres, insubordination suite à l’incompétence notoire d’un officier, bref les minutes des tribunaux militaires regorgent de noms d’hommes qui ont choisi de réfléchir, quitte à y laisser leur vie au peloton ou au bout d’une corde. Sont-ils défendables ? En toute objectivité c’est difficile à peser : d’un côté je suis le premier à affirmer que refuser de massacrer des civils sous couvert que « c’est la guerre », c’est un acte de courage énorme, mais d’un autre c’est aussi s’assurer à coup sûr d’une défection des soldats aux alentours et inciter ses compagnons à agir de la même manière. L’ennemi lui se moquera de telles considérations et tirera sur tout soldat qu’il croisera, ne serait-ce que parce qu’il se vengera de ceux qui n’auront pas eu le cran de se révolter. La guerre est paradoxale car elle exalte tant le courage que la folie pure et dure. Héros ? Certains le sont sûrement par un choix raisonné de se sacrifier, d’autres deviennent dingues et donnent la charge en ne se préoccupant plus du tout de leur sécurité. Délicat équilibre entre pensée et ineptie.

Servir, être aux ordres et avoir la fierté d’être dans un régiment. C’est essentiel et constructif pour les armées et ce qu’elles soient antiques ou modernes. Le légionnaire romain par exemple était certes un mercenaire dans les faits mais il avait pour principale obligation de savoir obéir et réagir selon les ordres, donc il agissait comme un bras armé dénué de pensée personnelle. Ce n’est pas pour rien qu’il est interdit de se syndiquer dans l’armée car une conscience politique sous entendrait alors d’agir à l’encontre des obligations stratégiques. La stratégie est amorale car elle s’encombrera non d’idéologie mais avant toute chose de faits. On ne demande pas une division blindée de rouler sur un village par envie d’y coller un drapeau, non on le fait par nécessité, la nécessité absolue d’une armée : vaincre. Dès que le soldat oublie son devoir de vaincre l’ennemi il oublie sa propre survie. Pactiser c’est déjà accepter la mort de ses camarades, même si l’on est « le méchant ».

J’estime enfin que plus les rôles de l’armée deviennent complexes (action humanitaire, action dans le but d’obtenir la paix, gestion de crises sanitaires...) plus le soldat doit devenir intelligent. Le port du casque lourd ne suffit plus, il faut que la tête qui le supporte doit être également prête à réfléchir au-delà du bout du canon. C’est en cela que le devoir peut devenir un enfer, car comprendre c’est alors aussi pouvoir mettre en doute les choix effectués plus haut. J’espère que les officiers aujourd’hui responsables de cette jeunesse impétueuse et souvent pétrie d’idéaux soient prêts à analyser cette problématique et qu’ils soient alors capables de la prendre en main. Je ne saurais trop douter du bon sens humain quand certains se bornent à déclarer sans frémir qu’un soldat, c’est avant toute chose fait pour mourir. Le soldat de demain devra être un technicien, mais aussi quelqu’un de politiquement éduqué, ne serait-ce que pour savoir quoi faire en situation de crise... mais après tout, si moi j’y pense je ne dois probablement pas être le seul à y réfléchir. Espérons...

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