24 novembre 2008

Une mère

Elle qui m’a donné la vie, je me demande ce que tu peux penser de moi. Suis-je à la hauteur de tes attentes, es tu fière de ce fils qui chaque jour doute de lui-même autant qu’il doute de l’existence ? Comment poser des questions à celle qui fut épaule pour consoler, cœur pour éduquer puis aussi bras pour soutenir et nourrir le gosse que je fus ? Souvent l’on croit que communiquer est simple, qu’il suffit de dire et d’exprimer mais dans le fond ce n’est pas une vérité absolue. Chacun ressent différemment sa relation avec ses parents, certains les craignant, d’autres les révérant à l’excès. Moi, ma mère est un ange aux épaules larges qui dût prendre en charge une famille et se découvrir des ressources inconnues.

Raconter son enfance ? Elle-même en parle avec fierté disant qu’elle apprit à lire en surveillant un pâturage et que le trajet de cinq kilomètres à pied pour aller à la « communale » n’a jamais été pénible. Démunie ? Douloureuse ? Peut-on sereinement parler de dénuement quand soi-même l’on est né dans le coton ? Je connais cette maison où l’eau courante n’est toujours pas installée, où l’eau représente une corvée, où chaque chose est un labeur. La campagne se mérite, elle se vit la goutte de sueur au front. Enfant elle a connu cette existence tout en estimant ne rien avoir à regretter. Courage ? Abnégation ? Ma grand-mère tient elle aussi ce discours en décrétant que le passé est vécu et que seul le futur mérite qu’on s’y intéresse. Allez savoir, c’est peut-être la meilleure approche possible.

Grandir, encore et toujours, devenir adolescent puis adulte. Je n’ai pas à me plaindre, j’ai connu un foyer, il fut ce qu’il fut mais jamais je n’eus à subir de violence ou pire encore. Fut-elle martyrisée ? Non, elle affirme un amour sincère et entier pour ses parents, elle me dit même espérer être un jour aussi bien qu’eux. Pourtant devoir sacrifier ses rêves parce que l’argent manquait c’est ce qu’elle fit en orientant ses études vers la restauration plutôt que vers la comptabilité. A qui le reprocher ? Personne ne peut être responsable de la misère, personne n’est à blâmer quand la viande est un plat de luxe, quand une orange est un fruit offert comme cadeau de noël. Dire que nous sommes tous pourris gâtés ne me semble pas être exagéré vu cet écart incompréhensible pour les égoïstes que nous sommes devenus.
Alors travailler, encore et encore, se sacrifier pour pouvoir envoyer un peu d’argent à la maison, aider aux tâches ménagères, qui se sent encore capable aujourd’hui de tels sacrifices ?

J’ai honte de l’admettre car je me suis souvent senti trop fier de ma carrière professionnelle, mais elle est un exemple : toujours levée aux aurores, dernière couchée, épuisée mais vaillante, jamais baisser sa garde malgré l’usure et la bêtise humaine. Plus d’une personne aurait cédée à cette existence avec un fils décédé en bas âge, une vie d’immigrée parlant à peine le français et un époux aussi travailleur que capable de s’enivrer pour s’abrutir à mort. A-t-elle été courageuse ? Le silence qu’elle a quand il s’agit de parler de cette époque semble s’exprimer à travers ses prunelles bleu pâle avec une profonde tristesse. J’ai connu ces moments de larmes silencieuses, ses larmes qu’elle laissait parfois perler mais qu’elle étouffait pour ne pas nous blesser. L’enfant se souvient, quoi qu’on puisse croire au sujet de sa capacité à oublier les douleurs.

Aussi rapide qu’un courant d’air le temps passa, l’ivresse disparut et ses deux enfants devinrent des adultes. Grand-mère à présent, elle accorde enfin un peu de sa vie non à trimer mais à s’amuser en compagnie de cette descendance tant espérée et crainte à la fois. Crainte ? Oui la crainte tacite qu’un fils ait à vivre le même calvaire qu’elle a vécu en perdant un enfant, crainte aussi que la vie de famille se disloque à cause de la dive bouteille. Ceux qui commentent ce genre de choses sans avoir ce vécu se doivent de se taire, rien ne saurait exprimer l’angoisse de faire grandir des enfants à proximité de telles difficultés. Miracle ? Raison ? Tout disparut à la naissance du premier petit fils, comme s’il était un ange qui se chargea de mettre un terme à cette existence. Merci à lui, merci pour ce miracle auquel je ne croyais plus.

Puis là aujourd’hui tu as 56 ans. Tes cheveux sont blancs, tes jambes, ton dos trahissent plus le poids des heures passées à travailler que ton âge et pourtant tu souris, tu nous aimes et tu le dis. Que te dire ? Je n’ai pas de mot pour rappeler à quel point je te suis redevable, qu’il m’arrive de regretter certains mots que je me serais bien gardé de dire, et puis si je n’ai qu’une chose à te dire, à te répéter à chaque fois : je t’aime maman.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

ha ça c'est malin, les collègues vont se demander pourquoi j'ai une tite larmichette au coin de l'oeil.
le plus beau de tes textes "sérieux" sans aucun doute !
c'est exactement ce que j'attendais qd je te demandais de parler de toi...à la virgule près.
il est magnifique ce texte, plus que ça il transpire le respect et l'amour, et il dévoile une facette de toi méconnue pour ma part, je trouve ça..ENORME...tout simplement
Bibi touaaa
Didine

Anonyme a dit…

Je me sens toute petite au lire de ton texte... plein d'Amour de respect avec cette pudeur, cette retenue en parlant de ta Maman...
Tu as vraiment un don le sais tu ?? tu es à toi seul, le plus doux des calmants... tu sais apaiser et faire rêver tout en stimulant et en révélant le meilleur de nous.. Ta maman ne peut qu'être que fier de son fils qui est devenu un homme de coeur, bien plus riche que le plus milliardaire du monde ! car il connait le véritable sens du mot ... AIMER...
Merci pour d'être là, d'être toi...
Une AMIEratrice... (amputée du coeur)