26 novembre 2008

Les dialogues

Souvent difficiles à monter, les dialogues tant dans les films que dans les livres sont de véritables défis. En effet, le rythme et le phrasé sont des composantes difficiles à appréhender pour l’esprit. L’auteur, souvent confronté à la question, tente désespérément de se glisser dans la peau de son personnage. Anonnant, braillant, chuchotant, notre pauvre bougre taillé comme un escogriffe peinera donc à trouver la juste intonation et la parfaite réplique à mettre dans la bouche de son stentor furieux d’avoir été trahi. Oh bien sûr certaines phrases très « clichés » arrivent bien à sauver les meubles et insérer des hésitations permettent bien des raccourcis, toutefois de telles magouilles ne seraient que peu supportables sur la durée d’une pièce de théâtre ! Alors quoi, écrire un dialogue serait un art ? Je n’en doute pas un instant.

Il y a autre chose de très amusant avec l’écrit c’est que le dialogue doit être bien plus mis en scène qu’au cinéma, ce qui est paradoxal à dire. En effet, le cinéma vous martèle ses images et il devient difficile de renier le souvenir d’un bon mot du baraqué viril dans un incendie alors que cette même remarque dans un livre nécessite un enrobage textuel des plus rigoureux. Dire simplement « c’est un incendie » ne suffit pas à mettre en place la tension nerveuse ainsi que l’environnement, non, il faut réellement insister sur chaque chose de sorte à ce que l’imaginaire ait de quoi se nourrir. Alors franchement, rédiger un dialogue dans un livre tient franchement d’une souffrance !

Et il y a ces dialogues, improbables, incongrus, stupides, faits pour étonner ou bien involontairement étonnants. C’est généralement une constante dans le cinéma navet où les répliques fortes sont si exagérées qu’elles en deviennent risibles. Il y a de vrais maîtres dans le domaine et le cinéma d’action américain n’est pas avare dans ce domaine : Chuck Norris est d’ailleurs vénéré sur Internet pour ces phrases si « fortes » qu’elles en sont pathétiques et drôles. Qui ne rit pas à un « Je mets les pieds où je veux, et c’est surtout dans la gueule ! » Amusant, mais déplacé dans un film où la dite réplique est supposée moucher le méchant... Bref, encore une fois cela confirme qu’à vouloir bien faire l’on fait rire au lieu de faire réfléchir. Ceci étant, les dialogues décalés me font souvent réagir car ils scrutent les fondements de la langue et s’amusent à tricher avec les règles de compréhension. A l’instar d’un Vaudeville bien mené, une scène jouée à contresens est un plaisir pour celui qui sait y déceler l’ironie et les jeux de mots parfois bien cachés.

Imaginez donc...

Imaginez une salle d’attente d’hôpital, une de ces pièces anonymes où les murs blancs disputent leur froideur avec l’éclairage glacial au néon. Sentez la vague odeur d’éther et écoutez les pas cadencés sur le linoléum ciré à outrance. Ressentez cette crainte d’être là car rien n’est moins naturel que d’être présent dans une salle d’attente lorsqu’on est en bonne santé...

Trois types sont assis, tous se sont saisis d’un journal différent pour trahir leur attente et faire en sorte que le temps soit moins suspendu. Ordinaires, aussi différents qu’ils sont identiques dans leur commune inexistence, ils n’osent pas trop parler de peur de rompre le silence commun à toutes les pièces où des nouvelles doivent tomber. Cependant, l’un d’eux se décide à parler, plus par le jeu de la politesse que par nécessité d’entendre des banalités.

- Alors c’est pour bientôt ? Commence-t-il en baissant son journal.
- Aucune idée, depuis le temps que ça dure ! Répond le second sans quitter des yeux son magazine.
- Ah bah ça franchement j’aurais pu m’en passer ! Fait le troisième en frottant sa barbe naissante.
- Ce n’est pas un heureux évènement pour vous ? Reprend le premier en s’étonnant.
- Vous en avez de bonne vous ! Vous appelez « ça » un heureux évènement ? Râle alors le troisième en réajustant ses manches. On aura tout entendu !
- Ben je ne sais pas moi... franchement ça m’a rendu heureux et fier dès que je l’ai appris, rebondit le premier en soupirant. C’est vrai que ça fatigue et que c’est assez définitif comme étape, mais de là à s’en plaindre.
- Je voudrais vous y voir, vous avec ces grandes pensées. Moi, j’espérais que cela ne m’arriverait pas !
- Et moi je suis d’accord avec vous ! C’est vrai quoi, on a toute la vie devant soi ! Acquiesce aux propos du second le troisième qui commence à s’emporter. Et puis en être fier faudrait voir à pas déconner !

La discussion s’envenime, les mots fusent de plus en plus fort quand une charmante infirmière arrive, avec le sourire qu’on attend d’une personne chargée de calmer les patients. Au premier elle annonce alors que son fils est né dans de très bonnes conditions, au second que sa pauvre mère malade d’Alzheimer a été placée en gériatrie et au troisième que le cancérologue l’attend dans son bureau pour planifier sa chimio...

Ambiance, dialogue, contresens...

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