08 octobre 2008

Assurance du mâle

Comme il peut être étrange de décortiquer l’attitude des hommes (au sens masculin du terme) en situation urbaine ! Loin d’être aussi neutre qu’on voudrait le prétendre, l’homme ne trimballe pas sa libido, son surpoids et ses frustrations sans jouer un minimum la comédie sociale de se mettre proprement en avant. Par essence, l’homme se doit d’être assuré, fier, droit, limite constipé et de présenter le profil du gagnant estampillé « sourire du champion des affiches vantant des rasoirs à douze lames ». C’est ainsi, l’homme moderne n’est plus à l’abri des obligations de l’apparence.

Certes, il faut évidemment reconnaître que la femme est déjà victime de cet adage qui dit « apparence est existence ». Jusque là je supposais son homologue non émasculé épargné par la vampirique nécessité d’être présentable, mais plus je penche sur le cas du spécimen commun moins je crois au déni d’esthétique. Drame terrible à mes yeux, l’homme est dorénavant tenu de marcher dans la mode comme d’autres baptisent leurs chaussures dans des déjections canines. Quelle plaie ! Pourquoi respecter une codification quand le propre de l’être humain est justement d’être unique et d’avoir la faculté (hélas rarement employée) d’avoir une réflexion individuelle ? C’est sûrement aussi castrateur et réducteur que l’est le régime nord coréen sur les idées de libertés et d’égalité. Quoi qu’il en soit, il faut une attitude digne, un maintien acceptable à l’homme de la rue de sorte d’une part à satisfaire l’image masculine qu’il se doit d’offrir à sa compagne ou à celles qu’il regarde avec désir et frustration, et d’autre part pour affronter ses congénères moins lucides et plus imprégnés par le culte de l’image.

Relativisons : contrairement à la femme l’homme a encore cette chasse gardée de pouvoir paraître attirant tout en traînant sur lui ce qui serait plutôt de l’ordre de la tare génétique : calvitie, pilosité anarchique, visage simiesque s’ornant d’une inutile et pénible barbe, et n’oublions pas la petite brioche quasi inévitable passée un certain cap. Certaines femmes affirment que ces détails font partie du charme du sexe opposé... Admettons, je ne suis pas bégueule je leur concèderai cela comme l’on concède les Sudètes à un dictateur, c'est-à-dire plus par obligation que par réel désir de conciliation. En fait l’homme moderne se heurte lui aussi au phénomène de la cosmétique ciblée : baume après-rasage supposé soigner les balafres, déodorant empestant le musc viril ou ne sentant plus rien du tout (concept du déodorant sans odeur... merci de m’expliquer), bref l’homme lui aussi se voit courtisé par les géants de la tartine de gélatine vaguement parfumée. A quand le maquillage au masculin ? A quand le fond de teint pour homme ? Stop ! Merci de me laisser ce dernier carré de quiétude où je peux trôner sans émotion le visage dénué de tout artifice poudré !

Si je songe à l’attitude, je songe avant tout à celle du dominant que l’on nous prête dans les médias : fier, le regard énigmatique, le menton légèrement incliné pour inviter au doute... Si vous connaissez ce genre de gravure de mode faites moi signe car la plupart du temps ma psyché me retourne plutôt le personnage pataud, mal dégrossi et passablement ébranlé par le labeur quotidien et les doutes qui sont mon pain intellectuel. Quel drame, quelle cruauté que ce miroir qui se fissure au moment même où l’on souhaite y voir un athlète et qu’on y perçoit un pachyderme en quête de sommeil réparateur. Avoir la démarche assurée, arpenter le bitume avec la ferme intention de s’imposer dans la trépidante foule agglutinée aux abords d’un arrêt de bus anonyme, voilà ce qui est supposé être notre destin ! C’est tenter de vendre du sable pour de l’or ! Chacun va et erre de son pas personnel engoncés que nous sommes par les soucis, emmitouflés dans la névrose de quelques évènements contrariants montés en mayonnaise et finalement nous sommes fermés à toute velléité d’apparaître. Oh, je sais bien qu’il y a toujours un minimum de charme à aborder, un minimum d’illusion à la Pinder à mettre en avant, mais arrêtons tout de suite : l’homme est ce qu’il est, aussi misérable que sublime dans sa détresse d’être pensant.

Si l’abord du sexe opposé est si difficile c’est aussi parce que le rôle supposé du « mâle » est d’être celui qui fait le premier pas, celui qui s’avance et invite une partenaire inconnue à le suivre dans une danse endiablée se finissant au petit matin dans l’odeur amère et agréable du café chaud. Trêve de rêves : être timide n’est pas spécifiquement féminin pas plus que le courage n’a de sexe. Séduire c’est à deux que cela se fait, et plaire n’est pas un attribut quantifiable. Je suis parfois lassé par l’imbécile exigence qu’ont certaines personnes envers l’autre bord. Entre ces femmes fantasmant sur l’homme parfait aux traits idéalement campés par un acteur à la mode, et ces hommes s’abreuvant de mensurations et quêtant vainement le visage de porcelaine d’une poupée peu bavarde et prompte à céder à tous leurs caprices, il y a de quoi douter de la santé mentale de l’humanité.

Je crois que la dernière chose que j’exècre le plus reste encore ce cliché inusable qu’emploie certaines jeunes femmes lorsqu’elles parlent de celui qui leur sert d’ornement plus que de compagnon. « Mon homme ». Risible, pathétique expression supposée poser un statut de virilité pour ce type qui s’avère être un gringalet, un chétif, ou a contrario un rondelet bonhomme jovial et chaleureux. Rien qu’à l’expression « mon homme » on s’attend à voir apparaître le bellâtre musclé et polyglotte, pour finalement avoir la déception de découvrir un gus ordinaire, peu bavard et somme toute déprimant de médiocrité. Doit-on leur dire ? Doit-on leur expliquer qu’il est à l’image des autres hommes qui se croisent chaque jour dans le monde ? Surtout pas, il ne serait pas judicieux de briser l’illusion car cela tiendrait lieu de crime à la hauteur du vol d’une sucette à un gosse. Après tout si cette description du mâle lui convient, pourquoi lui ôter ses dernières illusions puisque le cancer, la calvitie et la sempiternelle prostate se chargeront bien de lui rappeler avec cruauté la vraie nature de l’homme... moderne ou pas.

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