16 juin 2008

La grande muette

Actuellement tout tourne autour du pouvoir d’achat : et que les prix à la pompe sont trop élevés, et que la marque X revendique d’être la plus économique, et que le gouvernement clame à tue tête qu’il veut réduire les dépenses… Certes, savoir combien les ménages peuvent dépenser est un critère essentiel de la santé économique d’une nation, toutefois j’aimerais que les gens restent prudents concernant les économies qui sont effectivement à réaliser. Contrairement à ce que peuvent penser énormément de personnes n’ayant pour vue que leur fiche d’impôt, une nation ne fonctionne absolument pas comme le budget d’une famille et encore moins comme une entreprise. Dans les faits on pourrait alors dire (à tort) que tous les services dits administratifs seraient des improductifs puisque ne dégageant techniquement pas de chiffre d’affaires. Observer un état ce n’est donc pas analyser la santé d’une société… loin de là.

Là où ma réflexion intervient c’est sur la publication d’un « livre blanc » décrivant les coupes à faire dans les budgets de la défense avec à la clé 54.000 postes qui seraient supprimés à l’horizon 2015. Dans le détail on notera donc des réductions dans tous les corps d’armée, dans les structures dépendant des budgets militaires (DGA et SGA), sans pour autant spécifier si ces budgets seront réalloués ou dépensés sous une autre forme. Si le document précise bien des pistes intéressantes (comme par exemple des dispositifs de surveillance par satellite, le renforcement du pouvoir de l’assemblée dans les choix de maintien ou non des forces armées sur les terrains opérationnels…), il n’édicte pour autant pas une vraie politique de défense à moyen terme. Identifier ses « ennemis » c’est bien, savoir lutter contre eux c’est mieux.

Commençons par les fondamentaux. Il est évident que les troupes mobilisées en masse sans formation militaire suffisante fait partie du passé et qu’aujourd’hui le métier de faire la guerre appartient à une expertise tant technique que physique. Difficile en effet de demander à un conscrit à peine instruit d’utiliser les équipements modernes de communication ou bien d’user avec bon sens des appareils de géo localisation. De là un constat s’impose de lui-même : les nations « modernes » ont donc besoin de forces aisément projetables (c'est-à-dire facilement déplaçables à travers le monde en un temps réduit, avec le suivi logistique nécessaire), faites d’experts dans divers domaines, et surtout adaptables à tous les climats et environnements que ces forces seront amenées à rencontrer. A l’heure actuelle, en dehors des troupes de type commando, voire quelques corps plus ou moins bien préparés, il est difficile et même pour ainsi dire impossible d’envoyer au feu une bonne partie de notre armée, simplement parce qu’elle manque de préparation. Relativisons : toutes les forces armées du monde ont ce problème de professionnalisation et surtout ce besoin d’expertise qui n’est pas facile à dispenser. La menace n’étant plus à nos portes, les interventions de l’armée française seront donc faites à l’étranger, en territoire probablement hostile (civils défavorables à la présence de troupes étrangères dans l’immense majorité des cas), et avec bien des difficultés incompressibles de maintenance et d’approvisionnement. Si cet aspect me semble essentiel, c’est surtout pour se demander si réduire les troupes effectivement en poste a un sens, et surtout quelles sont les troupes qui seront impactées. Depuis la disparition du service obligatoire nombre de casernes sont inutilisées et les hommes servant à l’encadrement reclassés voire simplement mis à la retraite. Qui va-t-on alors dégraisser ? L’indispensable logistique, les administrations qui somme toute font un travail vital de renseignement et de suivi, ou bien sur les comptes de « crapahuteurs » ce qui fera de l’armée une « armée mexicaine » faite de généraux sans soldats ?

Second point non négligeable et plutôt inquiétant : l’intendance. Chaque année la France et les chefs d’états successifs se gargarisent avec les avions modernes, les hélicoptères impressionnants, les chars fabuleux et les missiles infaillibles. Soit. C’est joli, ça en jette, mais qui se rend compte que nombre de ces équipements sont inutilisables faute de pièces, ou même de budget pour s’offrir les réparations nécessaires ? Sait-on que les blindés ne tirent à obus réels qu’à de rares occasions par souci d’économie des munitions ? Nous n’avons pas une mauvaise armée, nous avons une armée à qui il arrive d’avoir des manques flagrants de budgets pour des postes vitaux… à quoi bon avoir des dizaines d’hélicoptères de combat si les deux tiers sont cloués au sol pour réparation ? En temps de paix aucune nation n’apprécie de s’offrir le luxe d’une armée prête à combattre, d’autant plus si les voisins sont pacifiques, cependant il faut alors se poser le choix cornélien qui est soit de réduire son influence internationale en réduisant son armée, soit de plomber les budgets en maintenant une armée solide en ordre de marche. On ne fait pas défiler des décors de carton pâte une fois en opération… loin de là.

Ce qui me chagrine c’est qu’à force de vouloir faire dans l’exclusivité et le « cocorico » pathétique, nous en sommes à assumer le budget d’un porte-avion comportant des tares inacceptables, des chasseurs (Rafale en tête) qu’on arrive à peine à vendre et qui coûtent autrement plus chers que ceux mis à disposition par la concurrence, ou des blindés certes incroyablement efficaces mais trop chers à déployer. Historiquement les allemands avaient parmi les meilleurs blindés du monde, mais c’est la masse qui a valu la victoire à l’URSS, et l’on ne retient rien de cette leçon élémentaire de guerre dite moderne. En tout état de cause nous préparons (d’après le livre blanc) la guerre de l’information, nous voulons des satellites espions, mais pour autant savoir sans pouvoir réagir, à quoi bon ? Je ne vois pas réellement l’intérêt de se doter d’une nasse à infos sans pouvoir d’exploitation…

Dernier point et non des moindres, le livre blanc propose que l’assemblée nationale soit partie prenante dans les décisions de prolongation ou de maintien des actions de l’armée française.

Je cite :
« Parmi les autres points forts, on retiendra qu'après la révision constitutionnelle, le Parlement sera informé des interventions à l'étranger au plus tard dans les trois jours suivant le déploiement des forces. Ce qui laisse de la marge, car le Livre blanc ne dit pas s'il s'agit du début ou de la fin du déploiement, parfois très long. Et surtout, toute prolongation au-delà de quatre mois devra faire l'objet d'une autorisation par les assemblées parlementaires. En toute logique, les opérations en cours au Liban, en Côte d'Ivoire, au Kosovo et en Afghanistan devraient donc faire l'objet d'un débat si la révision de la Constitution est adoptée. »
Là j’ai énormément de mal à cautionner. Pourquoi ? Depuis quand les politiques seront de bon sens concernant les stratégies militaires, et ce qui plus est en sachant qu’ils voudront concilier défense et économies ? On ne peut décemment pas demander à des troupes de faire des miracles, et encore moins leur dire « rentrez à la maison parce que vous coûtez trop chers ». A quand des tableaux de statistiques opérationnelles pour démontrer à l’opinion publique que « Oui ! Nous, l’état, nous pensons que ça marche parce que 100% des civils que nous protégeons sont satisfaits de nous voir tirer sur l’ennemi ». Ridicule, et surtout dangereux en cas de guerre réelle.

De fait, je ne suis pas fermement contre la réduction des budgets militaires, mais je suis pour que la réflexion soit menée dans un ensemble cohérent, pas dans un esprit de propagande permettant à chacun de se rassurer en se disant que la grande muette coûtera moins cher.

Lien vers l'article du journal le point


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